ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 321 - 01/04/1997

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Afrique du Sud

En quête de réconciliation, le prix de la vérité

by Sean O'Leary, Afrique du Sud, mars 1997

THEME = JUSTICE

INTRODUCTION

La Commission sud-africaine pour la vérité et de la réconciliation (TRC, en anglais) a déjà atteint en grande partie son but: guérir les blessures d'une nation divisée et très éprouvée, mais il reste encore beaucoup à faire

Dans une salle comble, près de quatre cents personnes écoutent, en retenant leur souffle, les dépositions de cinq agents blancs de la sûreté. Ils racontent en détails imagés les circonstances ayant entouré les meurtres de dirigeants de cette communauté, au cours des années '80.
Ce n'est pas une audition pour l'amnistie, c'est plutôt une audition de lourdes violations des droits de l'homme. On a engagé les cinq policiers à comparaître devant la communauté à laquelle ils ont causé tant de souffrance et de douleur. Les membres de la famille des victimes écoutent en silence. Il n'y a ni admiration ni condamnation pour la comparution et les déclarations des policiers. Mais quelque chose de très profond se passe entre le bourreau et les victimes.
La guérison s'opère. Les agents de la sûreté ne disent pas qu'ils regrettent et ne demandent pas le pardon. Ce qu'ils font c'est reconnaître que ce qu'ils ont fait dans le passé était mauvais.
Le P. Smangaliso Mkhatshwa, ministre-adjoint de l'Enseignement, siège à une audience d'amnistie et, pour la première fois, il apprend qu'il y a eu une tentative de meurtre contre lui à l'aéroport de Durban en 1987. Le policier explique qu'une femme passait sans cesse entre la mire télescopique d'un fusil caché et la tête du prêtre. Cette fois le policier demande pardon, et le P. Mkhatshwa l'invite dans sa paroisse pour demander pardon à la communauté. De nouveau, il se passe quelque chose de sacré. La guérison s'opère.
Pour la première fois en vingt ans on connaît officiellement le nom des responsables de l'assassinat de Steve Biko. Cinq agents de la sûreté ont adressé à la TRC une demande d'amnistie pour leur participation au meurtre de Biko.
Les meurtriers de Matthews Goniwe et de ses trois compagnons ont aussi fait une demande d'amnistie. Lentement mais sûrement apparaît la vérité derrière la face cachée de la violence, et on peut lier d'innombrables enlèvements, meurtres et disparitions aux noms d'agents de la sûreté et d'autres agents du gouvernement d'apartheid.
Des auditions sur les lourdes violations des droits de l'homme ont eu lieu à travers tout le pays. Complémentairement aux témoignages des victimes enregistrés par des responsables de la Commission, des auditeurs parcourent le pays pour recueillir sur le terrein les déclarations de tous les intéressés. A ce jour, 10.000 dépositions ont été enregistrées. Pour la victime, le fait d'exprimer son chagrin, sa frustration et sa colère, et de se permettre de ressentir pleinement l'étendue de sa souffrance, a permis la guérison. Ce qui est important c'est que la Commission ne minimise d'aucune manière cette souffrance et qu'elle veille à ce que la victime soit traitée avec dignité et que sa peine soit reconnue.

L'amnistie

On a fait moins de progrès dans la question de l'amnistie. A ce jour, il y a eu environ 6.000 demandes d'amnistie. Beaucoup de celles-ci émanent de criminels endurcis qui voient dans la TRC une chance d'être libérés rapidement.
Cependant, les quelques décisions prises jusqu'ici par le sous-comité d'amnistie indiqueraient que la grande majorité de ceux qui ont demandé l'amnistie ne l'obtiendront pas. Il semblerait que le demandeur doit non seulement révéler complètement tout ce qu'il ou elle a fait, et prouver que ce fut pour un but politique, mais il doit encore prouver qu'il faisait partie d'une structure politique qui cautionnait ce comportement.
Un exemple très clair de cela est la demande faite par les meurtriers de Chris Hani. Les demandeurs, un immigrant polonais, Janusz Waluz, et Clive Derby-Lewis, parlementaire du Parti conservateur, ont tout révélé. Leur acte était, de façon évidente, politiquement motivé. Pourtant, leur demande échoue sur le fait que leur structure politique, le Parti conservateur, n'incluait pas une politique d'assassinat politique des opposants. C'est pourquoi leur demande et le reste est condamné à échouer parce qu'ils ont agi indépendamment de leurs structures politiques.
Il semblerait que ceux qui travaillaient pour l'Etat et ses multiples dispositifs de sécurité ont le plus de chances d'obtenir l'amnistie.
Il faut alors poser la question: de quel niveau de la hiérarchie émanaient ces ordres? A mesure que la vérité se dévoile, il apparaît que les ordres émanaient de la plus haute autorité politique et on pourrait s'attendre à ce que les deux présidents, P.W. Botha et F.W. De Klerk aient du sang sur les mains. Les fera-t-on comparaître devant la Commission pour la vérité et la réconciliation? Cela reste à voir!

Restitution et réhabilitation

Là où la TRC n'est pas à la hauteur, c'est dans le domaine de la restitution et de la réhabilitation. Il s'agit en fait d'un sous-comité qui doit élaborer une politique et des recommandations sur le type de restitution ou de réhabilitation auxquels on pourrait avoir recours. Seules les victimes qui ont comparu à des auditions du comité sur les violations des droits de l'homme, ou celles dont on a pris les dépositions entrent en ligne de compte pour une restitution.
L'application de ces recommandations ne commencera qu'après l'expiration du mandat de la TRC. On envisage que des ministres du gouvernement soient responsables de l'application des recommandations. Le problème c'est que, à ce jour, les ministres n'ont rien prévu au budget pour ce poste.

Les bénéficiaires d'une restitution ont été divisés en cinq catégories.
La première comprend ceux qui sont encore psychologiquement traumatisés par les événements et ont un besoin urgent d'un traitement psychiatrique.
La seconde catégorie inclut ceux qui sont atteints physiquement, d'une façon ou l'autre, à la suite du dommage subi et nécessitent d'urgence des soins médicaux.
La troisième catégorie est constituée par ceux qui ont besoin d'une aide financière, généralement parce que le soutien de famille a été tué. Ces gens recevront peut-être une pension ou une allocation.
Le quatrième groupe est celui de ceux qui n'ont pu accéder àl'enseignement. On suggère de leur donner des bourses d'études.
La cinquième et dernière catégorie est caractérisée par sa fonction symbolique, et incite la nation à être fidèle au devoir et à l'obligation du souvenir. On envisage d'élever des monuments au passé, tels une "Tombe du compagnon inconnu" (terme utilisé pour désigner les militants anti-apartheid), le rapatriement et l'enterrement des restes de ceux qui sont morts en exil ou l'inscription des noms de tous ceux qui sont morts dans la lutte pour la liberté.

Impliquer le pays entier

Dans un sens, le sous-comité pour la restitution et la réhabilitation offre la meilleure chance d'atteindre le double objectif: guérison et réconciliation. Beaucoup croient qu'il faudrait former un trust par lequel le pays entier pourrait contribuer financièrement au processus de guérison. Comme dans le passé, au temps de l'apartheid, le monde des affaires garde visiblement le silence en ce qui concerne le travail de la TRC.
Après quinze mois en-dessous de la normale, la Commission pour la vérité et la réconciliation a finalement atteint la vitesse supérieure. Aucun jour ne se passe sans qu'on ne révèle les horreurs de ce qui s'est passé. Il est certain que toutes ces révélations sur ce qui est arrivé dans le passé vont contribuer à ce que l'Afrique du Sud puisse faire face à son horrible héritage. Le fait qu'il n'y a pas de justice individuelle pour les victimes a été en quelque sorte amorti par la quantité d'informations actuellement disponibles sur les événements du passé.
Ce dont la nouvelle Afrique du Sud peut se glorifier c'est que personne d'où qu'il soit, ne crie vengeance. C'est un signe de la maturité et du caractère unique de la "nation arc-en-ciel" sortie des cendres de l'apartheid il y a à peine trois ans. On a beaucoup réalisé et il y a encore beaucoup à faire pour guérir les blessures de notre pays divisé et meurtri.

END

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