ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 321 - 01/04/1997

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Sénégal

L'offensive américaine

by J. Mendy, Sénégal, 17 février 1997

THEME = ECONOMIE

INTRODUCTION

Les Etats-Unis d'Amérique entendent renforcer leur présence en Afrique, particulièrement dans les domaines économique et commercial

Une émission de "World Net", qui a réuni par satellite, le 6 février dernier, des journalistes africains et des spécialistes américains en matière de commerce et d'investissements, a fait clairement ressortir qu'en lieu et place de l'aide publique au développement, les Etats-Unis entendent plutôt entretenir et intensifier des relations commerciales avec le continent noir. Une proposition de loi dans ce sens sera soumise au Congrès, en septembre prochain. Elle a été élaborée par trois "Congressmen" (députés à la Chambre des Représentants) démocrates, en relation avec le "groupe africain pour le Commerce et l'Investissement".

S'adressant aux pays africains "engagés dans des politiques de réformes économiques et politiques", incluant une démocratie réelle, une économie de marché et un soutien au secteur privé, le projet prévoit, entre autres:

- la mise en place d'un "Fonds pour l'infrastructure et l'équité", d'une dotation de cent millions de dollars pour chacun des deux secteurs dès l'année 1998;

- l'instauration d'un "Forum économique Etats-Unis/Afrique" au niveau ministériel, de périodicité annuelle, qui sera axé sur les initiatives et politiques bilatérales et multilatérales de commerce et d'investissements des parties concernées (environ 200 institutions américaines auraient déjà donné leur accord pour apporter leur appui à un tel projet);

- la constitution d'une "Zone de libre échange Etats-Unis/Afrique" permettant au président américain de développer un plan pour la signature d'un ou plusieurs accords commerciaux avec des pays d'Afrique au sud du Sahara d'ici à l'an 2000;

- la création d'un système d'octroi de prêts et de garanties, par la Banque américaine Export-Import à des opérations d'importations et d'exportations entre l'Afrique et les Etats-Unis.

Selon les spécialistes américains ayant participé à cette émission, ce texte "créera une ambiance plus propice aux investissements américains en Afrique", mais il offrira aussi à des opérateurs africains l'opportunité d'intervenir sur le marché américain qui leur offre de nombreuses possibilités.

Une réorientation acceptable

Pratiquement accepté par l'administration démocrate du président Bill Clinton, ce projet a des chances de l'être aussi par le Congrès et par l'opinion publique en général.
En fait, l'aide publique au Tiers monde, notamment à l'Afrique, est très peu populaire aux Etats-Unis. Elle est également contestée, quant au volume proposé par le gouvernement, par les Républicains, majoritaires dans l'appareil législatif. Ceux-ci apprécieraient donc, de manière positive sans doute, cette proposition qui, d'une part, permettrait la réduction de l'aide publique et, d'autre part, n'accorderait des avantages privés qu'aux pays qui ont introduit des réformes économiques, sociales et politiques libérales, "libérant ainsi les talents et l'énergie de leurs populations".
Le parti démocrate, quant à lui, "estime qu'aider les populations d'Afrique à développer les extraordinaires potentialités de leur continent et à résoudre leurs principales difficultés, est un devoir dans l'intérêt des Etats-Unis".

Une concurrence ouverte

C'est là une politique arrêtée par la Maison Blanche après une conférence sur l'Afrique en 1994, qui a procédé à une analyse approfondie de la situation du continent. On y est arrivé à la conclusion qu'après les leçons du développement en Asie et la rapidité des progrès réalisés dans les pays d'Amérique latine, c'est maintenant au tour de l'Afrique. Ce sont là les propres termes de feu le secrétaire d'Etat américain au commerce, M. Ron Brown, au troisième sommet Afrique/Etats-Unis, tenu à Dakar du 2 au 5 mai 1995.
Cet homme d'Etat américain eut des mots très forts pour signifier cette "modification profonde" de la politique de Washington à l'égard de l'Afrique: "...Les pays du continent africain sont sur le point d'influencer fortement le climat qui existe dans le monde sur le plan politique et sur le plan économique... Mon pays est mis au défi d'investir ses ressources humaines et économiques dans la renaissance de ce continent... L'Afrique offre d'extraordinaires débouchés aux chefs d'entreprises américains..., qui sont capables de faire concurrence aux partenaires commerciaux traditionnels des Africains, tels la France et le Portugal... Désormais, les Etats-Unis n'abandonneront plus les marchés africains aux fournisseurs européens...".
Brown devait répéter cela à la veille d'un périple dans cinq pays africains (Ghana, Ouganda, Côte d'Ivoire, Kenya et Botswana), du 17 au 25 février 1996, martelant que l'ère de la domination économique et de l'hégémonie commerciale de l'Europe en Afrique était révolue et que les Etats-Unis n'entendaient plus laisser les marchés africains aux Européens, notamment à la France et à la Grande-Bretagne.
Au cours de ce voyage, il s'est entretenu avec des responsables gouvernementaux d'une quarantaine de pays d'Afrique au sud du Sahara, conviés à Abidjan, Nairobi et Gaborone (capitales respectives de la Côte d'Ivoire, du Kenya et du Botswana).
C'est peu de temps après ce périple que Brown fut victime d'un accident d'avion mortel.
Le flambeau fut repris par le secrétaire d'Etat d'alors, M. Warren Christopher, en octobre dernier. En tournée dans cinq pays d'Afrique (Mali, Ethiopie, Tanzanie, Afrique du Sud et Angola), il n'a pas dit moins que Brown: "Le temps est révolu, a-t-il déclaré, où l'Afrique pouvait être découpée en zones d'influences, où des puissances extérieures pouvaient considérer des groupes entiers comme leurs domaines privés; aujourd'hui l'Afrique a besoin du soutien de ses nombreux amis et non plus seulement du patronage de quelques- uns". Et sa conclusion fut nette: "Ce voyage a renforcé ma conviction que l'Amérique doit rester engagée sur le continent africain..."
Même si Brown et Christopher ne sont plus membres de l'administration Clinton, tout laisse à croire que cet engagement américain à l'égard de l'Afrique est désormais irréversible, en dépit du mutisme (provisoire) sur la question du nouveau secrétaire d'Etat, Mme Madeleine Albright.
Il faut souhaiter seulement qu'il ne donne pas lieu à des confrontations violentes, directes ou par tiers interposés, mais qu'il soit l'occasion d'une incitation à la concurrence loyale pour le plus grand bien des affaires sur le continent et des populations locales.

Le Sénégal: une cible privilégiée

Depuis l'accession du Sénégal à la souveraineté nationale en 1960, la coopération américano-sénégalaise péchait, et pèche toujours, par le niveau relativement faible des échanges commerciaux et des investissements entre les deux pays.
Le nouvel ambassadeur américain (en poste depuis août 96) le déplore et invite le secteur privé à participer au raffermissement des liens entre Washington et Dakar. Bien qu'encore timide, il se dessine une tendance dans ce sens.
On peut noter les faits suivants, qui sont récents:

- La prise de participation d'un groupe américano- suédois dans le capital de la Société nationale des télécommunications (SONATEL) du Sénégal.

- La Société nationale de commercialisation des oléagineux du Sénégal (SONACOS), en voie de privatisation, est convoitée par la Cargill International américaine, qui souhaite obtenir 70% de son capital contre les 51% prévus par les autorités locales pour le partenaire stratégique. D'autres investisseurs américains (et aussi européens) sont également intéressés.

- En attendant sa privatisation, deux sociétés américaines, la GTI et la GPU (General Public Utilities Corporation), ont déjà fait des options sérieuses pour leur présence au sein de la Sénégalaise d'électricité (SENELEC), unique société de production et de distribution d'énergie électrique au Sénégal, en signant des accords avec celle-ci.
La convention passée avec la GTI porte sur l'exploitation, pendant quinze ans, d'une centrale de 50 Mw et la vente du produit à la Senelec. Ce document a été signé le 14 décembre dernier.
Quant à l'accord avec la GPU, signé le 20 décembre 96, il prévoit un transfert à la Senelec de connaissances techniques dans le domaine de l'énergie, et l'organisation d'une série de réunions et d'échanges entre les cadres supérieurs et les techniciens des deux entreprises au cours des deux prochaines années.
Parmi les autres secteurs de cette coopération, nous pouvons noter celui de la santé. La quatrième conférence annuelle des villes jumelées américaines et africaines (US - Africa Sister Cities Conference) s'est tenue à Dakar, du 28 juin au 2 juillet 1995.
Depuis lors, une équipe mixte dirigée par un chirurgien de la ville de Phoenix, aux Etats-Unis, est venue effectuer des interventions chirurgicales à coeur ouvert à l'hôpital Aristide Le Dantec, à Dakar, en octobre-novembre 1996. Ce personnel médical américain était déjà intervenu pour d'autres cas, lors d'un précédent déplacement en avril de la même année et il a programmé le mois de mars '97 pour une troisième visite de travail.
En mettant l'accent sur le Sénégal, les Américains ont sans doute mesuré la position géo-stratégique de ce pays et l'impact qu'il peut avoir sur les autres Etats du continent. Ils prennent ainsi conscience que, comme l'a dit Warren Christopher, "le continent africain ne se résume pas à l'Afrique du Sud". Les temps sont en train de changer...

END

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