ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 321 - 01/04/1997

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Congo

La "débrouille" des handicapés zaïrois

by Josiane-Stella Filla, Brazzaville, Congo, janvier 1997

THEME = VIE SOCIALE

INTRODUCTION

Au "Beach" de Brazzaville, de nombreux handicapés se greffent au trafic entre le Congo et le Zaïre. Un regard sur ces personnes qui refusent le vol, la mendicité ou la prostitution

Entre le Beach de Brazzaville (Congo) et celui de Kinshasa (Zaïre), la distance est d'une demi-heure en bateau. Une proximité qui a de tout temps facilité les échanges humains et commerciaux entre les deux capitales. Pour beaucoup de chômeurs et de petit trafiquants valides, le Beach de Brazzaville est une "manne céleste".

Des commerçants pas comme les autres...

Etonnante peu paraître la présence bouillonnante, à cet endroit, de Zaïrois, handicapés physiques, munis de leurs tricycles-carrioles, de fabrication artisanale. Ils y montrent leur capacité, et non leur handicap. On les compte parmi les commerçants, pas comme les autres. Ils bénéficient des réductions douanières. "Ces handicapés participent au trafic des marchandises entre Brazzaville et Kinshasa. Ils sont utilisés par des commerçants et des voyageurs ordinaires qui évitent de payer la douane", explique un agent de police du Beach de Brazzaville. Il précise qu'un colis ne coûte que 75 francs cfa, mais la personne handicapée ayant un tricycle ne paie que le tiers de la somme exigée sur la marchandise.
Perchés sur leurs tricycles-carrioles, transformés en d'énormes porte-bagages en tôles, cette ferraille dépasse parfois la taille du conducteur. Une fois chargées de marchandises, ces fourgonnettes, qui peuvent contenir 10 sacs de riz de 50 kgs, ne roulent pas seules. Ces handicapés embauchent des jeunes valides. Ceux-ci ne poussent pas que les tricycles, ils chargent et déchargent les marchandises. Malgré la force fournie, ces pousseurs appelés "bana-mayi", pour gagner un peu d'argent, doivent négocier avec les commerçants en partance et en provenance de Kinshasa avec de lourdes charges. Et leurs tarifs sont à la portée de tous.
"Quand une personne a beaucoup de colis qui méritent d'être taxés chers à la douane, elle nous les confie. On lui fixe un prix forfaitaire. 5.000 francs cfa par exemple, selon la quantité de la marchandise. Pour ne pas perdre le client, car ici il y a la concurrence, on peut aller plus bas. Cette somme on la partage avec le pousseur. Chez le policier, on lui donne juste de quoi acheter une bière", raconte Mamalé, qui exerce cette activité depuis 1995.

"Je me sens bien dans mon travail"

Le marché de Poto-Poto, surnommé "Taiwan", un quartier populaire très animé et cosmopolite, est le point de repère de ces handicapés physiques. On les trouve devant les dépôts des produits alimentaires, les magasins de vêtements tenus par les ouest-Africains. Ils y assistent leurs "travailleurs" en train de charger les marchandises qui traverseront le fleuve.
Il s'agit souvent de produits de première nécessité, qui sont de l'or au Zaïre: cartons de beurre et de tomates, de bidons d'huile végétale, des ballots de textile importés du sud-est asiatique, des sandales en plastique... Après, il faut avaler environ 3 km de Poto-Poto au Beach, sur des tricycles hyper- chargés. Ce sont des hommes et des femmes qui sacrifient leur vie familiale.
Parmi eux, Mama thé-thé, 36 ans, explique sa satisfaction. "Je me sens bien dans mon travail. J'ai compris que l'infirmité n'empêche pas de travailler"...
Nguijo, est pousseur, il a débarqué un jour du Zaïre pour faire ce travail. "En travaillant, je vais économiser pour me payer un billet Kinshasa-Bruxelles. Je sais que c'est difficile de faire ce boulot-là. C'est même parfois humiliant. En tout cas cela me demande de la patience, mais je ne suis pas malheureux, comme d'autres qui ont opté pour le vol ou la prostitution".
De Kinshasa, ils ramènent des produits qui ravitaillent le Congo: biscuits, savons de ménage, sucre en poudre, médicaments fabriqués par des laboratoires indiens qui ont envahi le marché congolais, Coca-Cola... Et des pièces détachées de voitures, commandées par des fournisseurs brazzavillois.

Les sourds guident les aveugles...

Autre nouveauté sur le terrain, la présence, depuis quelques temps, des sourds-muets et des aveugles, qui ne veulent plus aller mendier devant les magasins ou les pharmacies. Après avoir fait leurs achats, ils portent les marchandises sur la tête ou dans le dos, jusqu'au Beach. Les aveugles se font guider par les sourds, et ils font le voyage de Kinshasa ensemble.
Pour mieux contrôler ces handicapés qui participent aussi à l'émigration clandestine, on les autorise à faire la traversée trois fois par semaine. "Il y a trois ans, confie le capitaine Gilbert Makita, les handicapés, ou plutôt ceux qui les envoyaient, contribuaient fortement à l'immigration clandestine. En effet, chaque handicapé de nationalité zaïroise se faisait accompagner par deux ou trois personnes, qui restaient définitivement sur le sol congolais. Parmi les clandestins, il y avait souvent des ouest-Africains. Pour arrêter cette pagaille, nous délivrons des badges sur lesquels figurent les photos des personnes accompagnant des handicapés sur le territoire congolais. Seuls les ressortissants zairois et congolais peuvent servir d'accompagnateurs".

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