ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 322 - 15/04/1997

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Zaïre

Les conditions pour une paix durable

by Louis Kalonji, Kinshasa, 15 mars 1997

THEME = GUERRE CIVILE

INTRODUCTION

Là où il arrive, Laurent Kabila sembre être accueilli en libérateur. Serait-il "la" solution pour le Zaïre? En fait, que désire la population zaïroise?

Voilà bientôt cinq mois que la rébellion des Tutsis "Banyamulenge", soutenus par les forces rwandaises, burundaises et ougandaises, a investi la province zaïroise du Kivu. Aujourd'hui, les régions du Nord- Kivu, du Sud-Kivu, du Haut-Zaïre et une bonne partie de la région du Shaba sont aux mains des rebelles. Kisangani, chef-lieu du Haut-Zaïre et base de la contre-offensive de l'armée zaïroise, est tombée sous leur contrôle, le samedi 15 mars. Des combats d'une rare intensité ont fait rage. Le chef rebelle, Laurent Kabila, était déterminé à s'emparer de cette ville stratégique pour pouvoir imposer ses vues lors des prochaines négociations prévues à Nairobi et à Lomé.

Cette guerre a causé de nombreuses pertes en vies humaines, et jeté de nombreux Zaïrois et réfugiés rwandais sur le chemin de l'exode. De plus, on parle de charniers et de fosses communes dans les territoires occupés par les rebelles.

Plusieurs pays demandent aux belligérants d'observer un cessez-le-feu immédiat. Mais, fort de son avantage sur le terrain, le chef rebelle ne semble pas disposé à cesser les hostilités. De son côté, le président Mobutu, qui avait rejeté le plan de paix de l'ONU, vient enfin de l'accepter. Après les consultations de Cape Town, d'autres rencontres au sommet sont prévues pour rechercher des solutions pacifiques à la crise. Mais quelles en sont les conditions?

Les pillages commandités et planifiés

Selon des témoins oculaires du nord-est du Zaïre, les actes de pillage et de vandalisme perpétrés dans toutes les villes de cette partie du pays sont l'oeuvre des soldats des Forces armées zaïroises (FAZ), identifiés par leurs insignes, et qui fuient les combats. Ils pillent, volent, violent et dépouillent les gens de tous leurs biens; ils détruisent les biens d'utilité publique (écoles, hôpitaux, ponts, usines, bureaux, etc.); ils s'en prennent aux commerçants et aux paroisses qu'ils pillent de fond en comble avec brutalité et cruauté.

Dans un rapport détaillé, publié par l'Agence DIA paraissant à Kinshasa, Mgr Charles Mbogba Kambale, évêque d'Isiro-Niangara, décrit en termes pathétiques les pillages dans son diocèse et dans celui de Wamba.

Quand on sait que ces actes de pillage et de vandalisme ont duré des mois sur des centaines de kilomètres, sans qu'aucune mesure ne soit prise pour les en empêcher, on peut penser que cette destruction du tissu économique et de toutes les organisations sociales entre dans le cadre d'une politique de destruction commanditée et planifiée par le régime dictatorial pour mettre le peuple à genoux.

Aux plaintes des victimes, les instances militaires et gouvernementales donnent toujours la même réponse: "Nous ne pouvons rien faire pour vous, débrouillez- vous". Cette démission de l'autorité, qui conforte les pillards dans leur basse besogne, démontre qu'il s'agit d'une action commanditée, d'une politique de terre brûlée.

Au sujet de ces pillages dans son diocèse, Mgr Joseph Banga Bane, évêque de Buta, déclarait: "Au delà de la peine pour les dégâts matériels et plus encore pour les pertes en vies humaines, il résulte de cette situation une profonde souffrance morale de devoir assister à tant de mal, sans pouvoir rien faire. Un mal infligé à des hommes et des femmes, à toute une population pauvre qui n'a aucun tort. C'est profondément humiliant de subir tout cela. Comme évêque, j'ai honte d'avoir peur, de devoir fuir, de ne pouvoir rien faire pour les gens ni même pour l'Eglise dans cette situation; d'être fils d'un pays où l'on peut encore vivre une telle sauvagerie. C'est très frustrant et révoltant d'éprouver la sensation que les malfaiteurs sont toujours les plus forts. On est au seuil de la tentation d'une colère qui risque de devenir désir de vengeance ou de revanche...".

Laurent Kabila accueilli en libérateur

Alors que les FAZ se font détester et même haïr par les population locales, Laurent Kabila et ses hommes sont accueillis en "libérateurs". Leur arrivée constitue une libération pour les populations qui aspirent au changement et veulent être débarrassées de la mauvaise gestion et de toutes les anti-valeurs des cadres du régime Mobutu. Même à Kinshasa, de nombreuses personnes chantent: "Kabila, yaka!" ("Kabila viens!"). Le chef rebelle est sans conteste la nouvelle coqueluche du public. Les gens considèrent sa guerre comme une guerre de libération et son "Alliance" comme un mouvement révolutionnaire du peuple.

Les rebelles usent de la technique de dissuasion chaque fois qu'ils sont en face des soldats gouvernementaux. Ils interrogent les soldats des FAZ: "Pourquoi combattez-vous? Vous voulez pérenniser la dictature de Mobutu? Vous voulez demeurer pour toujours les esclaves des Ngbandi (ndlr: ethnie de Mobutu)?"

Un rescapé qui revient du front confirme la connivence entre la population et les rebelles en ces termes: "On sentait qu'il y avait dans la population un regain d'intérêt envers les rebelles. Parfois, nous nous demandions pourquoi ces gens pour lesquels nous combattions paraissaient nous haïr. Pourquoi pactisent-ils avec les rebelles et nous méprisent-ils?"

Les informations rassurantes en provenance des villes du Kivu administrées par les forces de Kabila finissent par rendre les Zaïrois optimistes sur l'arrivée du chef rebelle. Ces informations font état de la reprise du sens de la droiture, de l'honnêteté, de la conscience professionnelle, de bonne gestion dans ces territoires occupés (libérés). Ainsi, l'argent perçu en taxes entrerait tout droit dans la caisse de l'Etat et non dans les poches des individus. Egalement, les ministres de Kabila seraient des hommes simples et préoccupés du vécu quotidien de ceux qu'ils dirigent.

Voilà pourquoi la ville de Kisangani a réservé un accueil triomphal et pacifique au chef rebelle et à ses hommes; des drapeaux blancs ont été brandis en signe d'allégeance. Ce faisant, le chef-lieu du Haut-Zaïre a évité une effusion de sang inutile et protégé sa population.

Pour mieux comprendre cette sage attitude de la population de Kisangani, il faut savoir que cette ville martyre avait déjà beaucoup souffert des rébellions mulélistes dans les années 60; elle avait perdu une bonne partie de sa population masculine... Aujourd'hui, les FAZ étant en débandade, la population ne compte plus aucune force protectrice.

Les rebelles accusés de génocide

Des informations persistantes, concordantes et dignes de foi attestent l'existence de charniers et de fosses communes dans les territoires occupés par les troupes de l'Alliance des forces démocratiques de libération du Congo-Zaïre (AFDL). Kabila et ses hommes sont accusés de génocide, dont seraient victimes aussi bien des réfugiés hutus que des notables et intellectuels des populations locales, opposés à l'invasion et la domination tutsie. Le secrétaire d'Etat belge à la coopération et au développement, Mr.Ronald Moreels, a lui aussi dénoncé ces massacres perpétrés par les unités de l'AFDL . Il a déclaré à la presse: "Je dispose d'un témoignage direct et de plusieurs confirmations indirectes sur les massacres".

Des témoins en provenance du Kivu parlent de charniers et de fosses communes, contenant 200-300 personnes tuées à l'arme automatique, découvertes aux environs de Bukavu, Goma, Walikale et Shabunda.

Mais pour d'autres, il s'agirait d'une cabale concoctée contre les hommes de Kabila et l'AFDL. Dans un communiqué remis à la presse, les responsables du HCR (Haut commissariat aux réfugiés des Nation unies) ont mis en doute la véracité des faits, estimant que la disparition de 500.000 réfugiés ne pouvait pas leur échapper. Le HCR a démenti de la façon la plus catégorique les informations publiées dans la presse accusant Mr Kabila et ses hommes de génocide et a rejeté en bloc les accusations portées contre lui par le secrétaire d'Etat belge. A son tour, Médecins sans frontières a fait un démenti dans le même sens.

Cependant la vérité est opiniâtre et finira bien par se montrer au grand jour. Car on sait que les soldats tutsis engagés dans les forces de Kabila sont pour la plupart ceux dont les parents ont été tués dans le génocide de 1994 au Rwanda, ou ont été tués ou chassés des zones de Masisi et de Rutshuru par les ex-FAR et les Interhamwe appuyés par l'armée zaïroise en 1995 et 1996. Et sous prétexte de poursuivre et de punir des génocidaires de 1994, les soldats tutsis de l'AFDL se livrent à des tueries massives de Hutus, hommes, femmes et enfants.

La section AZADHO du Nord-Kivu ainsi que d'autres associations des droits de l'homme parlent de "véritable génocide" des Hutus et de massacres des populations locales par l'AFDL et les soldats rwandais tutsis.

Ce qu'on reproche principalement aux rebelles c'est le massacre systématique de populations locales zaïroises qui tentaient de fuir les zones occupées, le massacre de réfugiés hutus dans les camps, et les opérations de nettoyage organisées à chaque prise d'une ville. Ces massacres refroidissent l'enthousiasme des populations pour Kabila. Toutefois, beaucoup de Zaïrois, tout en redoutant l'invasion et la domination des Tutsis sur le Zaïre, souhaitent "qu'il vienne chasser le dictateur Mobutu qui a ruiné le pays et a clochardisé le peuple".

Conditions pour un dénouement pacifique

Sur le terrain, les rebelles confirment leur supériorité et écrasent la contre-offensive pourtant annoncée "foudroyante et totale" par le gouvernement Kengo, ils vont de victoire en victoire et s'emparent de Kisangani, considérée comme la forteresse des Zaïrois. Il est exclu pour Kinshasa de renverser les rapports de force sur le terrain.

Le dénouement de la crise passe donc par des négociations. L'Afrique du Sud, sous l'initiative américaine, a ouvert des pourparlers sur son territoire, à Cape Town, où les émissaires du chef rebelle ont rencontré des représentants du président Mobutu. Le plan préparé par les Américains et les Sud-Africains pour résoudre la crise au Zaïre d'abord et ensuite dans la région des Grand Lacs prévoit la cessation immédiate des hostilités, le rapatriement des réfugiés rwandais dans leur pays, le retrait de toutes les troupes étrangères sur le sol zaïrois - y compris les mercenaires - , et l'ouverture de négociations pour résoudre les problèmes politiques et de sécurité au Zaïre.

Kabila n'a cessé de réclamer la présence de Mobutu à la table des négociations, en Afrique du Sud. A Kinshasa, on se demande si le plan américain a encore une chance de réussir, la France préconisant à son tour un autre sommet le 26 mars à Lomé.

Mais pour une paix durable au Zaïre, il faut que les négociations tiennent compte des préoccupations et des aspirations profondes du peuple et surtout des populations locales directement concernées. Tout en restant acquis au changement radical, le peuple du Zaïre considère que les négociations ne devraient pas se limiter à mettre fin à la guerre; elles devraient aussi dénoncer la crise multiforme qui secoue le Zaïre depuis des années. Le peuple veut surtout mettre fin à la dictature qui a ruiné le pays; il souhaite que les pourparlers abordent les questions relatives au blocage de la transition et du processus électoral, et celle de la nationalité zaïroise, une des causes de la guerre. Le peuple souhaite en plus que l'opposition non armée puisse prendre part aux négociations.

En définitive, les conditions pour une paix durable résident dans l'engagement pour une démocratisation réelle du pays, avec comme référence de base les conclusions de la Conférence nationale souveraine (CNS); pour la mise en place d'un véritable gouvernement d'union nationale, comprenant toutes les tendances politiques et la société civile; pour la réorganisation de l'armée, qui devra être dépouillée des éléments tribalo-ethniques; pour l'organisation d'élections libres et transparentes sous la supervision de l'ONU et des pays amis du Zaïre; et pour la restauration de l'administration publique et des finances de l'Etat.

Mais avant tout, il faut mettre fin à la dictature. C'est pourquoi les nombreux sympathisants de Kabila à Kinshasa lui ont déjà fait savoir qu'il ne doit pas retomber dans les erreurs des précédentes rébellions, en se fiant aux promesses fallacieuses du pouvoir dictatorial en place: il doit aller jusqu'au bout, en chassant le dictateur qui est à la base de cette guerre.

END

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