ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 323 - 01/05/1997

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Sénégal

Les populations ont mal aux dents...

by Yacinthe Diene, Dakar, Sénégal, 30 janvier 1997

THEME = SANTE

INTRODUCTION

Congrès à Dakar de chirurgiens dentistes de 15 pays africains

L'Association nationale des chirurgiens du Sénégal (ANCOS) a tenu à l'hôtel Méridien- Président de Dakar, du 11 au 13 décembre dernier, son 2ème congrès annuel. La rencontre, qui réunissait les chirurgiens dentistes de 15 pays africains et leurs homologues français et suisses, a permis de faire le point sur les nouvelles techniques employées un peu partout dans le monde pour les adapter aux problèmes bucco-dentaires rencontrés en Afrique en général, et au Sénégal en particulier!
Le congrès a prouvé, si besoin en était, que la santé bucco-dentaire en Afrique est un problème de santé publique. Les problèmes bucco-dentaires des populations peuvent se résumer à deux phénomènes: la carie dentaire et la parodontopathie (maladie des gencives et des dents qui bougent et tombent). Les participants au Congrès ont donc tenté de cerner la problématique en vue d'adapter aux pays d'Afrique à faibles revenus les nouvelles approches médicales en la matière, onéreuses et sophistiquées, et utilisées un peu partout dans le monde!
Dans sa communication sur l'évolution de la santé publique dans les pays africains, le prof. Ndioro Ndiaye, chef du département d'odontostomatologie de la faculté de médecine de Dakar, a proposé quelques réflexions aux congressistes: "Le problème de l'intégration de l'odontologie dans le système de santé publique de nos pays continue de se poser, malgré tous les efforts déployés par nos dirigeants. Pourquoi? Est-ce un manque de compétence des professionnels de la santé bucco-dentaire au niveau central, intermédiaire, périphérique? Que faut-il faire pour trouver des solutions adéquates à moyen et à long terme?"

Débats intéressants

Les réflexions du Pr. Ndiaye ont suscité des débats fort intéressants!
La mauvaise santé bucco-dentaire - Depuis 20 ans, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a atteint ses objectifs en matière d'hygiène bucco-dentaire dans 90 pays sur les 150 membres de l'institution, et certaines pathologies, dont la carie dentaire, connaissent un déclin significatif en Europe et dans les pays développés. Par contre, en Afrique, le mauvais état des gencives et la prédominance des caries demeurent un grave problème, surtout pour la tranche d'âge de 2 à 12 ans. Cela a conduit les spécialistes à orienter une bonne partie des débats vers l'étude des moyens pour lutter contre ce problème!
Les moyens préventifs - Des mesures préventives sont prises pour éviter certaines pathologies dentaires; mais, pour y faire face, l'éducation à la santé bucco-dentaire avec les moyens de communication moderne s'impose comme un impératif majeur. Quant aux moyens de prévention accessibles aux populations, il manque un relais institutionnel pour sensibiliser les populations. Au Sénégal, par exemple, des études effectuées sur le "sothiou", ou cure-dent, ont mis en exergue les principes actifs contenus dans certaines branches d'arbustes ou racines, protégeant la gencive et la surface dentaire. Ces résultats portant sur des moyens économiques et efficaces ne sont toujours pas vulgarisés, tandis que les nouvelles approches de soins dentaires s'avèrent onéreuses!
Le rapport qualité-prix - Si le phénomène impressionnant de la "perte des dents", en Afrique, entraîne d'une part des déséquilibres dans la bouche des patients, il développe d'autre part une demande de chirurgie dentaire esthétique dans un contexte économique et social précaire. Le fait de simplifier les techniques, ou de parvenir à des prix de revient acceptables, pose le problème des équipements ou matériaux utilisés: a) les appareillages pour compenser les pertes dentaires: prothèses fixes ou amovibles, complètes ou partielles; b) l'implantologie qui permet de traiter tout type d'édentation grâce à des prothèses fixées dans l'os de la mâchoire par une racine artificielle en titane; c) les soins dentaires primaires. A propos de ce dernier point, il est à noter que les deux grands problèmes bucco-dentaires identifiés (carie et parodontopathie) sont toujours d'origine infectieuse: il s'agit de microbes qui peuvent devenir agressifs et pathogènes. La recherche bactériologique - Une bonne partie des débats a été consacrée à l'étude des moyens anti- infectieux, suite à l'exposé remarquable du Dr. Paulette Agboton Mignon de la faculté de médecine de Dakar sur "L'étude bactériologique des foyers infectieux bucco-dentaires". Les résultats de cette étude révèlent une très forte corrélation entre l'état bucco-dentaire et la présence d'une endocardite infectieuse: la flore bactérienne, et principalement les streptocoques, font leur lit dans des affections dentaires, qui à leur tour causent des affections, dont la cardiopathie!
La coloration brune des dents, ou fluorose - Ce phénomène, qui frappe certaines populations du Sénégal, est lié à l'eau de ces régions qui contient beaucoup de fluor. Ce dernier fortifie les os et les dents; mais à condition qu'il soit utilisé dans des proportions équilibrées, sans quoi les dents et les os deviennent fragiles, problème qui va bien au-delà de la coloration brune des dents!

Les paradoxes sénégalais

Après avoir largement débattu tous les sujets inscrits au programme, les participants du Congrès se sont référés à la situation bucco-dentaire au Sénégal. Comme dans tous les pays à faible revenu, la santé bucco-dentaire au Sénégal se trouve confrontée à un fort déséquilibre entre les moyens limités du pays, et les besoins grandissants de couverture sanitaire adéquate, qui demeure un défi permanent en Afrique. Le Pr. Ndiaye n'a pas manqué de le souligner: "Nous n'avons pas assez de chirurgiens, ni de personnel intermédiaire tels que les techniciens supérieurs de qualité, encore moins le personnel communautaire capable de prendre en charge la démarche des populations". Ainsi, la situation du Sénégal peut donner un aperçu de la situation qui prévaut dans les autres pays du continent, à quelques exceptions près (Magreb arabe et Afrique du Sud). Avec 8 millions d'habitants, le Sénégal compte quelque 200 chirurgiens dentistes, soit 1 pour 40.000 habitants. Mais Dakar, la capitale, avec 2 millions d'habitants, soit un quart de la population totale du pays, compte 100 praticiens. Les autres trois quarts de la population (6 millions), répartis dans 9 régions, doivent se contenter de 43 chirurgiens dentistes. Et cela, au moment même où une vingtaine de praticiens sont au chômage..!
La volonté politique de trouver une solution est manifeste. Il y a deux ans, déjà, par le biais du Fonds de promotion économique (FPE), le gouvernement avait pris l'initiative d'installer 65 cabinets dentaires pour chirurgiens. Cet effort, qui mérite d'être poursuivi, voire intensifié, se heurte cependant à trois obstacles:
= Tous les chirurgiens veulent s'installer à Dakar, alors que la demande en soins dentaires est plus importante à l'intérieur du pays. Même ceux qui sont déjà à l'intérieur du pays cherchent un moyen pour s'installer à Dakar, car les populations rurales n'ont pas beaucoup de moyens financiers.
= Prudence et optimisme. Même si au Sénégal on observe un rapport de 40.000 habitants pour un chirurgien dentiste, les autorités académiques restent prudentes: elles ne veulent pas d'une formation au rabais pour les étudiants, car ce serait préjudiciable à la population. Cette attitude prudente contraste avec l'optimisme relatif des autorités gouvernementales car, aujourd'hui, la situation est moins dramatique que celle de 1975, quand le Sénégal ne disposait que de 10 chirurgiens dentistes et de quelques techniciens supérieurs en odontologie. Depuis, la formation des membres de ces deux corps de métier s'effectue sur place grâce à la création de deux instituts!
= La demande de soins dentaires est sans cesse croissante. La poussée démographique (3% par an) fait qu'une frange importante des jeunes de moins de 30 ans souffre d'affections dentaires de toutes sortes. Certains sont obligés d'aller deux fois par mois chez le dentiste. Les soins dentaires sont devenus de plus en plus accessibles à cause de l'assurance dentaire et des prix sociaux pratiqués par les structures publiques. Mais à côté il y a les cabinets privés qui évoluent dans un environnement concurrentiel des "grands cabinets", fidélisant une clientèle caractérisée par son standing et attirée par la qualité des équipements ou des soins. Les "petits cabinets", eux, sont obligés de pratiquer des tarifs bas pour s'attirer quelques clients!
Le 2e congrès de l'ANCDS a été une occasion de répertorier les besoins en ressources humaines, matérielles, technologiques et financières. Cependant, une chose est d'étudier les causes et les problèmes posés par les affections dentaires; toute autre chose est d'y faire face, car l'essentiel est de rendre ces pathologies moins coûteuses, pénibles ou handicapantes pour les populations. La prise en charge de la santé bucco-dentaire des populations est en effet confrontée à un manque important de moyens.

END

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