ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 324 - 15/05/1997

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Tchad

Législatives: frères contre frères...

by Missé Nanando, Tchad, mars 1997

THEME = ELECTIONS

INTRODUCTION

Les préparatifs des législatives provoquent de profonds schismes dans les familles, et les candidats de la capitale acceptent mal que leurs familiers au village se portent aussi candidats.

Le MPS (Mouvement patriotique du salut, parti au pouvoir), et d'autres formations politiques du Front républicain ont pris l'option de présenter aux législatives des candidats locaux, qu'on pourrait appeler "localistes". Ceci en vue de barrer la route aux opposants, généralement en provenance de la capitale, ou d'autres grandes villes, qu'on appelle improprement "parachutés". Cette initiative fait grincer des dents aux parachutés, qui misent sur les liens familiaux et tribaux pour rafler des voix. Ainsi, au moment où un candidat parachuté écrit à son ami d'enfance à Koumra (Moyen- Chari) lui demandant de transformer sa concession en bureau de campagne, il apprend que le même ami se présente sur la liste du parti Lingui. Exaspére, le candidat citadin, qui connaît bien le Lingui, réplique: "Le Lingui n'est pas un parti politique. C'est une société secrète des Lamifortains. Nous avons tous suivi la déclaration du fondateur du Lingui à la CNS"!
En pays Nar (Mandoul), un ancien député bien connu, aujourd'hui sur la liste de l'UCD (Union pour le changement démocratique), se retrouve nez à nez avec son cousin (ils sont tous du même village), candidat du MDST (Mouvement pour la démocratie et le socialisme au Tchad). Furieux, le premier dénonce la non-appartenance à la tribu Nar du second. Une vive altercation explose entre les deux frères. Il a fallu beaucoup de tact familial pour résorber le conflit!
C'est aussi le cas d'un autre candidat parachuté qui, comptant sur les tribus Gor, Bédjond et Daye pour rafler les voix à Koumra, se retrouve face à six localistes, dont l'un est le chef de canton de Bangoul, présenté par le MPS, et l'autre est la fille du chef de canton de Bédjondo. Interrogé, le parachuté en question, très optimiste, laisse entendre: "C'est la famille. Nous allons nous entendre là-bas. De toute façon, ils ont encore le Sénat ou la municipalité. Mais, ce que je déplore, c'est que depuis plus de 5 ans nous ne cessons de dénoncer les exactions et les pillages que les soldats du MPS exercent sur eux, et eux ils s'opposent à nous sous la bannière de ce parti"!
Il n'y a pas qu'au Moyen-Chari qu'il y a des divisions. Au Logone oriental, les préparatifs ont déjà fait une victime, et au Logone occidental les propres parents d'un candidat parachuté lui ont ouvertement signifié qu'il est baguirmi et non ngambaye.

Les handicaps des "localistes"

La question est de savoir si les localistes ont une chance de gagner. Cela ne semble pas évident. En effet, petits commis de bureau, sages-femmes, infirmiers, jardinières d'enfants, "boys coton" (agents de vulgarisation de la culture du coton), ou simples plantons, ces localistes ne connaissent ni la géographie, ni l'histoire du Tchad, moins encore l'un ou l'autre pays voisin dont ils confondent souvent la capitale et le pays. Maîtrisant très mal l'évolution du monde, et même celle du pays, on se demande comment ils vont soutenir leurs idées lors des sessions parlementaires. Visiblement incapables de fournir des raisons objectives à leur candidature à la députation, ils seront portés à disserter sur les puits à creuser ou les écoles à construire pour leur électorat. Mais ils ignorent totalement le rôle d'un député qu'ils confondent avec celui d'un conseiller municipal. Le député a un mandat national. Il parle au nom de toutes les régions et non uniquement au nom de sa base électorale!
Un autre argument en défaveur des localistes est le fait que les populations rurales ont toujours tendance à s'extasier devant les choses qui viennent de la capitale. De ce point de vue, ils seront beaucoup plus attirés par les discours des parachutés que par ceux de leurs voisins localistes, avec lesquels les conflits ne manquent jamais de surgir: rivalités autour de femmes ou autres querelles de clocher. Aussi, de par leur militantisme au MPS, ces localistes sont amenés souvent à leur extorquer des biens ou à leur faire divers chantages. Tout cela nuit à la candidature des localistes, sans compter les mésententes qui les opposent au sujet de la chefferie traditionnelle, constamment contestée par d'autres clans.

Eviter un retour au passé

Du point de vue de l'évolution politique du pays, avec tous les textes qui sortent de la Conférence nationale souveraine (CNS), nos localistes sont très mal placés pour faire un travail parlementaire à cette période précise de l'histoire du pays. En effet, ils n'ont jamais vu ni lu la Constitution ou la Charte des partis politiques, moins encore le Code électoral et autres documents sur le Haut conseil de la communication. Comment vont-ils participer aux débats parlementaires? Selon les candidats parachutés, ces localistes sont d'ores et déjà exclus du débat politique. Ils pourraient bien, par exemple, ratifier des lois qui vont se retourner contre eux-mêmes ou contre les parents qui ont voté pour eux. Il serait dommage pour le pays que la configuration de la future Assemblée ressemble à celle du temps du président Tombalbaye. A cette époque, en effet, on avait coopté beaucoup d'analphabètes pour satisfaire à des options géopolitiques. Or, maintenant, il s'agit d'une Assemblée qui devra se battre contre un exécutif envahissant. Car le contentieux politique entre le pouvoir et le peuple tchadien se résume en une série de questions à résoudre: l'insécurité endémique, la censure des médias d'Etat, la gestion non orthodoxe des ressources nationales, la prééminence du clan au pouvoir à tous les niveaux et sur tous les plans, etc.; mais il est loin d'être compris par les candidats locaux!
En définitive, en dehors des divisions familiales que suscite ce schéma politique, le jeu électoral du MPS et sa coterie sont dangereux à deux niveaux: ils risquent, d'une part, de réunir à l'Assemblée des manjago (amorphes), absentéistes aptes à être manipulés, et de l'autre, d'empêcher l'accès au Parlement à de vrais candidats de l'opposition. Pourtant, au sommet franco-africain à Ouagadougou (Burkina Faso), on parlait de "Gouvernance et développement". Le profil d'une telle Assemblée n'est-il pas aux antipodes de ces mots d'ordre?

END

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