ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 324 - 15/05/1997

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Cameroun

Elections législatives à hauts risques

by Valentin Siméon Zinga, Cameroun, avril 1997

THEME = ELECTIONS

INTRODUCTION

Pour la seconde fois depuis la restauration du multipartisme en 1991, les Camerounais devront élire leurs représentants au Parlement. Même si le pouvoir multiplie déjà ses manoeuvres à la coloration antidémocratique, de nombreux partis sont prêts à prendre part à ces élections, qui interviennent après des mois de flottement du pouvoir législatif. Des menaces de chaos pèsent cependant sur le pays en cas de fraudes.

Les Camerounais ont poussé un ouf de soulagement après la convocation, le 2 avril 1997, du corps électoral en vue des élections législatives du 17 mai prochain, les secondes du genre sous l'ère du multipartisme, après celles de 1992. Dans un pays où le calendrier électoral a toujours été connu du seul chef de l'Etat, cette réaction est compréhensible.

Troubles dans le Nord-Ouest

D'autant plus que quelques jours avant la décision du président de la République, Mr Paul Biya, des individus, dont l'identité n'est pas encore clairement établie, s'étaient attaqués aux symboles de l'autorité dans la province anglophone du Nord-Ouest, bastion incontestable du Social Democratic Front (SDF), principal parti de l'opposition de John Fru Ndi, candidat malheureux aux élections présidentielles d'octobre 1992.
Les attaquants ont surpris tant par leur rapidité que par leur dextérité, échappant aux services de renseignement et faisant trois morts parmi les forces de l'ordre et une dizaine de victimes au total. Ils ont incendié et saccagé des locaux de la police et des bureaux de l'administration. Le pouvoir voyait en eux, sans qu'aucune enquête sérieuse ne l'étaye, des défenseurs de la thèse sécessioniste, soutenue par des mouvements extrémistes anglophones qui réclament le retour au fédéralisme pour mettre fin, selon eux, à "la marginalisation et l'assimilation" des anglophones par l'autorité centrale.
Les forces de l'ordre ont été déployées dans la province afin de circonscrire le phénomène et le gouverneur a imposé un couvre-feu sur toute l'étendue de son territoire entre la tombée de la nuit et l'aurore. Dans ces conditions, de nombreux observateurs avaient pensé que ces troubles serviraient de prétexte au gouvernement pour renvoyer une nouvelle fois une échéance très attendue.

Vacance du pouvoir législatif

La réaction du président de la République ne doit pas faire oublier qu'avant la tenue des élections annoncées le pays reste sans pouvoir législatif réel. La Constitution camerounaise précise que la durée du mandat des députés est de cinq ans et que l'élection pour le renouvellement de l'Assemblée "a lieu au plus tard le dernier dimanche qui précède l'expiration des pouvoirs de l'Assemblée". Or la dernière législature, commencée le 10 mars 1992, expirait le 10 mars 1997. Le pays reste donc avec une Assemblée qui, en principe, ne peut pas légiférer, comme le soutiennent les juristes, même si elle peut continuer à expédier les affaires courantes.
D'aucuns, comme le Forum des sociaux-démocrates, ont parlé du "spectre de l'état d'exception" en constatant que "le régime a organisé la vacance du pouvoir législatif". Ils ont attiré l'attention de l'opinion publique sur "la dictature consommée qui découle de cette situation où le pouvoir exécutif, qui contrôlait déjà le pouvoir judiciaire, devient l'unique institution opérationnelle". Cette situation, vivement décriée par les partis d'opposition, est un des enjeux du scrutin du mois prochain, qui devra être marqué aussi par une redistribution des cartes politiques sur l'échiquier national.

Manoeuvres du pouvoir

Dans la perspective de ces élections, le pouvoir a multiplié les entorses aux usages démocratiques. Les agents de l'administration, soucieux de faire allégeance au gouvernement et préoccupés à améliorer leur carrière, opérèrent des inscriptions discriminatoires de citoyens sur les listes électorales, ne favorisant dans ces opérations que les militants du "Rassemblement démocratique du peuple camerounais" (RDPC) de Paul Biya. Dans un récent communiqué, le Comité de suivi du processus démocratique, des droits et des libertés (regroupant une partie des forces de l'opposition) dénonçait le fait que la convocation récente du corps électoral "qui emporte en principe suspension des inscriptions sur les listes électorales, soit intervenue sans que les autorités administratives aient favorisé l'inscription d'un nombre suffisamment grand d'électeurs pour donner au scrutin un taux de participation honorable pour le processus démocratique". Dans le même temps, des réunions des partis d'opposition continuent d'être interdites et singulièrement dans les zones jugées acquises au RDPC.
A ceci s'ajoutent les manoeuvres du président de la République lui-même. Avant que la défunte législature ne s'achève, les députés ont été convoqués à une session extraordinaire du Parlement. L'unique point à l'ordre du jour consistait en l'examen des modifications à apporter à la loi de 1991 qui régissait l'entrée à l'hémicycle.
Deux dispositions contenues dans le texte adopté ont soulevé un tollé de protestations au sein de la classe politique. La première permet au gouvernement de créer des circonscriptions électorales spéciales en dehors de celles déjà existantes. Beaucoup y ont vu une manière pour le pouvoir de glaner des sièges dans les fiefs de l'opposition. Lorsqu'un décret est venu matérialiser ce découpage spécial, les critiques se sont faites plus virulentes, en dépit des déclarations du vice- Premier ministre qui a soutenu que ce découpage tenait compte du poids démographique et des équilibres socio-culturels de chaque région. M. Tchwenko du SDF a parlé de "provocation". M. Hameni Bieleu de l'UDFC tranchait: "Le pouvoir a cherché là où le RDPC pouvait obtenir quelques sièges pour attribuer un nombre important de députés". La seconde disposition incriminée a trait au renforcement des pouvoirs de la Cour constitutionnelle qui, n'étant pas encore créée, verra ses prérogatives exercées par l'actuelle Cour suprême. Celle-ci est seule habilitée à proclamer les résultats officiels des élections. Or, dès le mois de janvier dernier, le président de la République revoyait considérablement à la hausse les salaires des magistrats dont beaucoup travaillent à la Cour suprême, couvrant les plus gradés d'entre eux d'avantages matériels consistants. A titre d'exemple, le salaire du président de la Cour suprême est passé de 200.000 à 1.150.000 F-CFA! On comprend difficilement que les mesures présidentielles n'aient porté que sur ce seul corps de fonctionnaires. Bien plus, la proximité entre le moment du décret et la date des élections interloque, à tout le moins. Dans ce contexte, Paul Biya a du mal à convaincre l'opinion publique qu'il ne s'agissait pas d'un acte éminemment politique, dont il attend le renvoi d'ascenseur le moment venu. Détail significatif: cette hypertrophie des prérogatives de la Cour suprême intervient après que celle-ci s'est prononcée contre la recevabilité de la proposition de loi portant création d'une Commission électorale autonome. Pourtant, une telle instance, à la création de laquelle s'est toujours opposé le régime, mais qui a été appelée de tous leurs voeux par les diplomates accrédités, de nombreux partis politiques et l'épiscopat camerounais, aurait pu constituer un gage de transparence des opérations de vote et un facteur de paix post-électorale.
Comme si cela ne suffisait pas, le vice-Premier ministre chargé de l'Administration territoriale préconisait la mise en place "d'un dispositif spécial de sécurité pour que l'ordre puisse régner sur toute l'étendue du territoire, avant, pendant et après le scrutin législatif". Les Camerounais, forts des tristes expériences à chaque déploiement des forces de l'ordre, mesurent la gravité de ces propos au-delà de l'euphémisme.

Participation ou affrontements?

Toutes ces conditions auraient pu amener les partis politiques à opter pour le boycottage des élections législatives. Mais les enjeux de la prochaine législature ont raison de cette éventualité. Chaque formation politique voudrait tester sa propre valeur au cours des Consultations, qui vont à coup sûr dessiner les contours des regroupements ou des ruptures futures. Mais il y a plus. De nombreuses formations politiques voudraient imprimer leurs marques au Parlement. Les plus importantes d'entre elles rêvent de donner une nouvelle dynamique à l'Assemblée nationale.
Il reste au pouvoir d'éviter le chaos au pays. Certains partis d'opposition, les plus influents, sont prêts à tout pour contraindre le pouvoir à respecter un minimum de règles démocratiques et n'hésitent pas, dans le cas contraire, à envisager l'affrontement.
Célestin Bedzigui, vice-président du comité central de l'UNDP, affirmait il y a peu: "En promulgant la nouvelle loi électorale, le président Biya a donné de la manière la plus inacceptable un coup d'arrêt au processus démocratique dans notre pays... Les Camerounais sont aujourd'hui en droit, et je pourrais dire qu'ils ont désormais le devoir de se préparer à défendre les acquis de la démocratie. Et dans cette perspective toutes les options sont ouvertes... Le peuple camerounais, au cours des prochains mois, pourra s'orienter sur l'une des multiples voies suivies par d'autres peuples, comme les Polonais en 1980, les Roumains avec Ceauscescu, les Serbes de Belgrade..." A quoi cette petite phrase de John Fru Ndi, lourde de signification, faisant allusion aux trucages qui ont émaillé le scrutin de 1992, vient en écho: "Je ne veux pas la guerre... Mais qu'ils (le pouvoir) essaient encore comme en 1992 et on verra qui est qui...". Le destin du pays pourrait se jouer en ce mois de mai!

END

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