ANB-BIA
DOSSIER
ISSUE/EDITION Nr 324 - 15/05/1997
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ALGERIE - DOSSIER
Dossier réalisé par ANB-BIA, mai 1997
2e PARTIE (2/2)
II. Depuis 1992 : une guerre civile non
déclarée
Depuis 1992, l'Algérie s'est trouvée
confrontée à la montée du "terrorisme
islamique" et à la répression toujours accrue
des forces militaires et paramilitaires. De plus,
présidents et Premiers ministres se sont
succédé à la tête de l'Etat.
Le Haut Conseil d'Etat, institué par l'armée
après l'annulation des élections en janvier 1992,
comprenait des hommes de diverses tendances. Mohamed
Boudiaf, qui dans son long exil avait été fort
critique vis-à-vis des régimes FLN successifs, fut
nommé président, mais on peut présumer que
l'autorité réelle se trouvait dans les mains du
ministre de la Défense, le général Khaled
Nezzar. Boudiaf commença à s'attaquer à la
corruption endémique et gagna rapidement l'estime de
beaucoup d'Algériens. En juin 1992, il fut abattu par un
membre de sa garde personnelle. Bien que les assassins
confessèrent avoir agi pour le compte du FIS, beaucoup ont
imputé le meurtre à des fonctionnaires corrompus.
Ali Kafi lui succéda et le Premier ministre Ghozali
fut remplacé par Belaid Abdessalam. Tous deux très
conservateurs, ils renversèrent un grand nombre des
réformes économiques introduites entre 1989 et
1991. La situation économique empira et en août 1993
Abdessalam fut remplacé par Redha Malek, qui opta surtout
pour la ligne dure face aux islamistes.
En janvier 1994, le général Liamine
Zéroual, devenu ministre de la Défense, fut
nommé président et annonça son intention
d'entrer dans un dialogue sérieux avec les partis
d'opposition. Mais la violence s'intensifia. Le 11 avril, le
Premier ministre Redha Malek remit sa démission et fut
remplacé par Mokdad Sifi, qui accentua les mesures de
libéralisation économique.
Le Haut Conseil d'Etat institua un Conseil national de
transition, qui fonctionne comme un substitut
d'assemblée nationale pour ratifier des lois
proposées par le président. Certains partis
politiques y ont des représentants, d'autres ont
rejeté la proposition d'y entrer.
Violences
Durant ce temps, la lutte entre le pouvoir et les islamistes
s'accentua toujours plus, les deux parties cherchant à
faire basculer le rapport des forces en sa faveur. Les islamistes
multiplièrent les assassinats d'intellectuels et
d'étrangers, mais essayèrent également de
déstabiliser le pays par des attentats de tout genre. Rien
qu'en l'année 1994, 2.725 actes de sabotage furent commis
contre des secteurs touchant à la vie quotidienne des
citoyens. Plus de 600 écoles furent incendiées.
D'autre part, le pouvoir militaire, certain que le temps jouerait
en sa faveur, resta imperméable aux multiples demandes de
l'opposition d'une réelle ouverture démocratique.
La rencontre de Sant'Egidio
La communauté catholique Sant'Egidio prit l'initiative
d'inviter les divers partis algériens à une
rencontre à Rome, en janvier 1995. Outre la Ligue
algérienne pour la défense des droits de l'homme
(LADDH), sept formations politiques y participèrent et
signèrent un programme de "consensus minimum"
pour trouver une solution politique et pacifique à la
crise. Ces partis signataires ont été: le FLN, le
FFS, le FIS, le Mouvement pour la démocratie en
Algérie (MDA), le Parti des travailleurs (PT), le
Mouvement de la Nahda islamique (MNI) et El Jaïr musulman
(JMC). Le texte stipule notamment: "le rejet de la
violence pour accéder ou se maintenir au
pouvoir", "le respect de l'alternance politique
à travers le suffrage universel", et "la
consécration du multipartisme". Dans le cadre des
mesures devant précéder les négociations
avec le pouvoir, il demande également "la
libération effective des responsables du FIS et de tous
les détenus politiques" et "l'annulation
de la décision de dissolution du FIS".
Le pouvoir rejeta sèchement cette plate-forme pour
une solution de la crise algérienne et qualifia la
réunion romaine de "tentative d'ingérence
dans les affaires intérieures de
l'Algérie".
Election présidentielle
Contre l'avis de la majorité des partis de l'opposition
légale, Liamine Zéroual décida, pour
légitimer son pouvoir, d'organiser le "premier
scrutin présidentiel pluraliste" de l'histoire de
l'Algérie, qui eut lieu le 16 novembre 1995. Outre
Zéroual, trois autres candidats avaient été
autorisés par la nouvelle loi électorale à
postuler à la magistrature suprême: Mahfoud Nahnah
du MSI-Hamas (Mouvement de la Société islamique),
Saïd Saadi du RCD (Rassemblement pour la culture et la
démocratie) et Nourredine Boukrouh du PRA (Parti du
renouveau algérien). Les grandes formations de
l'opposition appelèrent au boycottage des
élections, estimant que le retour à la paix devait
précéder toute démarche électorale
et qu'en tous cas, seul passerait le candidat des militaires.
Malgré cela, la participation au scrutin fut très
élevée: d'après le chiffre officiel, 75,69%.
Liamine Zéroual fut élu au premier tour avec 61%
des voix. La presse locale parla de "vote pour la
paix".
Zéroual confia à Ahmed Ouyahia le soin de
former un nouveau gouvernement, avec pour mission de
préparer des élections législatives, de
continuer les
réformes économiques et d'incarner la
"rupture" avec l'ancien système. Quelques
islamistes modérés furent nommés dans ce
gouvernement à des postes subalternes. Mais ce furent bien
les plus hautes sphères du pouvoir qui continuèrent
à définir la politique à suivre.
Entre-temps, malgré leurs dissensions internes, les
groupes islamiques armés poursuivirent leur campagne
d'attentats sanglants et l'armée, aidée par des
milices d'autodéfense, continua à y répondre
avec une même violence.
Six mois après son élection, le chef de l'Etat
annonça des élections législatives en 1997,
précédées d'une conférence nationale,
d'un référendum constitutionnel et un
réaménagement de la loi sur les partis,
destiné à exclure toute utilisation de la religion.
Nouvelle Constitution
Un projet de Constitution fut proposé à un
référendum. Tout en consacrant l'islam comme
religion de l'Etat, mais interdisant de créer des partis
sur une base religieuse, il marque un considérable
renforcement du pouvoir du président au détriment
des
députés. Pour qu'un texte voté par les
députés ait force de loi, il devra être
approuvé à la majorité de trois quarts par
une seconde chambre, le Conseil de la nation, dont un membre sur
trois sera désigné par le chef de l'Etat, qui sera
ainsi en mesure de bloquer l'adoption de toute proposition de
loi. En outre, le président pourra légiférer
par ordonnances au cours des périodes d'intersession du
Parlement et sera donc libre, pendant ces périodes, de
promulguer tous les textes qu'il souhaite sans emprunter la voie
parlementaire. L'opposition part en guerre contre une telle
concentration de pouvoirs, mais elle le fait en ordre
dispersé. Certains partis appellent au boycottage,
d'autres décident de faire campagne pour le
"non".
Le référendum a lieu le 28 novembre 1996.
Selon les résultats officiels, 79,8% des électeurs
se sont rendus aux urnes et le "oui" l'a emporté
avec 85,81% des suffrages exprimés. Comparés
à la faible affluence constatée dans les bureaux
de vote, ces résultats ont surpris les observateurs.
L'opposition crie au scandale et parle d'une fraude sans
précédent. Le Conseil national de transition, qui
fait office de Parlement, adopte, le 28 février 1997, une
loi très restrictive sur la création des partis
politiques, interdisant toute référence à
la religion, la langue ou la région. Le 2 mars, il adopte
une loi électorale instituant un Parlement
bicaméral, avec 380 sièges à la Chambre
basse et 144 à la Chambre haute. Les élections
législatives sont fixées au 5 juin 1997.
III. A la veille des élections
A. Les mouvements islamiques
Le Mouvement islamique du salut (FIS)
Le 4 mars 1992, le tribunal administratif de la cour d'Alger
prononçait la dissolution du FIS. Depuis lors, la plupart
de ses dirigeants sont en prison ou en exil. Abassi Madani et Ali
Benhadj, arrêtés en juin 1991, purgent une peine de
douze années de réclusion. Abdelkader Hachani, qui
les remplaça dès juillet 1991, est
emprisonné sans jugement depuis 1992. Rabah Kébir
a pu fuir et assure, depuis son exil en Allemagne, la direction
de l'instance
exécutive du FIS à l'étranger. Son discours
est plutôt ambigu: tantôt il reconnaît la
légitimité de Zéroual et appelle à
un dialogue avec le pouvoir, tantôt il prône une
guerre sans merci.
Il est difficile de savoir l'impact que le FIS a encore
actuellement sur la population et quel peut être son avenir
politique. Selon certains, il apparaît aujourd'hui plus
comme un mythe que comme un parti susceptible d'accéder
un jour au pouvoir. D'autres, comme un institut de recherches
américain, estiment que la question n'est pas de savoir
"si" le FIS accédera au pouvoir, mais
"comment", c'est-à-dire avec quelles autres
forces politiques.
Fin janvier 1997, l'instance exécutive du FIS
à l'étranger condamne la vague d'attentats et
réclame la formation d'un gouvernement d'union nationale.
A la mi-mars, le FIS exclut de ses rangs une quarantaine de ses
dirigeants, qui avaient refusé "une paix à
n'importe quel prix". Son porte-parole à
l'étranger, Abdelkrim Ould Adda, déclare que le FIS
ne veut pas d'un Etat religieux ou d'une théocratie en
Algérie. Toutefois, selon une déclaration faite
début avril par le même porte-parole, le FIS
boycottera les
élections législatives, mais il ne fera pas
obstacle par la force au déroulement du scrutin par
l'intermédiaire de son bras armé, l'Armée
islamique du salut.
Les groupements armés
Le Groupe islamique armé (GIA), le plus radical de
ces mouvements, est censé être responsable de la
plupart des attentats, assassinats et massacres en Algérie
mais aussi à l'étranger. Son fondateur, Mansouri
Miliani, qui n'a jamais cru au FIS qu'il considérait
être "une perte de temps", fut
arrêté pour son rôle dans l'attentat de
l'aéroport d'Alger en août 1992 et
exécuté en mai 1993. La
période du ramadan de 1997 fut la plus sanglante que
l'Algérie avait jamais connue. Des groupes ou groupuscules
continuent les attentats dans les villes et à
égorger des villageois. L'armée les combat avec une
férocité assez semblable.
L' Armée islamique du salut (AIS), le bras
armé du FIS, compterait environ 4.000 hommes,
implantés à l'est et à l'ouest et peu
présents dans l'Algérois, où les GIA les
combattent. Le FIS compte sur elle pour s'imposer dans une
éventuelle négociation. C'est pourquoi l'AIS semble
opter davantage pour une stratégie de préservation
et d'organisation de ses forces que pour de grandes
opérations militaires.
B. Le pouvoir en place
C'est le Haut Conseil d'Etat, basé surtout sur
l'armée, qui nomma Liamine Zéroual comme
président. Mais celui-ci légitima son pouvoir par
les élections présidentielles de novembre 1995. Un
des personnages clés du régime était
Abdelhak Benhamouda, secrétaire
général de la centrale syndicale UGTA. Anti-
islamique farouche, il fut à l'origine en décembre
1991 du "Comité national de sauvegarde de
l'Algérie", qui
réclama l'interruption du processus électoral et
servit aux militaires de couverture civile pour annuler ces
élections. Proche du président Zéroual et
en concertation avec lui, il projetait de créer son propre
parti lorsqu'il fut assassiné le 28 janvier 1997. Il est
certain que Zéroual était décidé
à s'appuyer sur le courant populaire et anti-islamique
qu'incarnait Benhamouda. Sa disparition a été un
terrible coup pour Zéroual, qui se trouvait ainsi devant
une grave impasse politique. Aussi, le 21 février fut
annoncée la création d'un nouveau parti, le
Rassemblement national démocratique (RND), destiné
à soutenir le président. Le nouveau parti a
été accueilli froidement par la classe politique.
Beaucoup pensent que, tant par ses membres que par son discours,
le RND rappelle trop l'ancien parti unique, le FLN. De fait,
nombre de membres du FLN ont déserté ce parti au
profit du RND.
C. Autres partis
La scène politique algérienne compte une
soixantaine de partis, qui représentent un très
large
éventail de points de vue et d'activités. La
plupart d'entre eux ont très peu d'ancrage populaire. La
nouvelle loi exige qu'ils obtiennent l'approbation officielle du
ministère de l'Intérieur et interdit toute
référence à une religion, une langue ou une
région.
C'est surtout la référence à la
religion qui fait problème. Le mouvement El Oumma,
dirigé par une des figures de l'indépendance, Ben
Khedda, a annoncé le 31 mars dernier son auto-dissolution
pour exprimer son refus de se conformer à la nouvelle loi.
Au contraire, le Mouvement pour la renaissance islamique (MRI)
s'est incliné et s'appelle désormais En
Nahda (Renaissance). Quant au parti MSI-Hamas, un des
principaux partis islamiques modérés, il avait
d'abord refusé de changer d'appellation; mais le 13 avril,
lui aussi s'est
plié: il s'appelera désormais le "Mouvement
de la société pour la paix".
Sur l'échiquier politique, une fracture est
née entre les partisans du boycottage des élections
et les "participationnistes". Ainsi, à
côté du FIS, le MDA, fondé par l'ancien
président Ben Bella, a annoncé sa décision
de boycotter le scrutin. Il exige l'ouverture de pourparlers
entre le gouvernement et l'ensemble des partis d'opposition, y
compris le FIS, pour mettre un terme à la violence avant
la tenue des élections. Quant au parti Ettahadi (les ex-
communistes), il pense que "le chaos est au bout de
scrutin".
Cependant, tous les grands partis participeront au
scrutin, ceux proches du pouvoir pour conforter l'emprise du chef
de l'Etat, ceux qui se réclament de l'opposition pour
éviter de disparaître du champ politique pendant des
années. Le FFS participera "parce que cette
attitude est politiquement plus rentable". Son
président, Hocine Aït Ahmed, ne sera toutefois pas
candidat. Le RCD de Saïd Saadi, à dominante kabyle,
a annoncé sa participation, affirmant qu'il "faut
essayer d'entretenir l'action politique pour l'après-
élection, par une
présence formelle dans une institution qui permette de
porter la contestation populaire". L'ancien Premier
ministre Rheda Malek, président de l' Alliance nationale
républicaine (ANR), se présentera dans la capitale;
et Louise Hanoune sera tête de liste à Alger pour
le PT.
Après six ans de guerre civile, la dissolution du FIS
et 100.000 morts, comment et dans quel sens a
évolué l'électorat? A quel courant politique
vont profiter les bouleversements de toutes sortes qu'a connus
le pays depuis décembre 1991? Personne ne semble en mesure
d'y donner une réponse claire.
Cadre Nr 2
L'Eglise en Algérie
Parmi les 118 étrangers assassinés en
Algérie, on compte 19 prêtres et religieuses, dont
4 Pères Blancs tués à Tizi-Ouzou en
décembre 1994, 7 moines trappistes enlevés et
retrouvés décapités en mai 1996, et Mgr.
Claverie, évêque d'Oran, assassiné le 1er
août 1996. Fin novembre 1996, l'archevêque d'Alger
écrivait: "Notre Eglise avait déjà
mûri, aux temps de la période coloniale, une
nouvelle expérience chrétienne, celle d'un
témoignage évangélique vécu au sein
d'une communauté musulmane. Ce témoignage de
chrétiens en solidarité avec des musulmans s'est
concrétisé par les travaux pour l'homme, les
premières années de l'indépendance. Il s'est
approfondi dans l'épreuve. Nous ne sommes plus que
quelques chrétiens en Algérie. Mais notre vocation
n'a jamais été présente avec autant de force
devant la société algérienne et devant
l'Eglise universelle. C'est sans doute la première fois
qu'une épreuve infligée à des
chrétiens par des musulmans est unanimement ressentie par
la communauté musulmane comme une injustice nous
éprouvant ensemble, chrétiens ou
musulmans."
Fin Cadre Nr 2
END
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