ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 326 - 15/06/1997

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Bénin

L'argent qui divise

by Anicet L. Quenum, Bénin, avril 1997

THEME = MEDIAS

INTRODUCTION

Journalistes et éditeurs sont à couteaux tirés pour 300 millions de francs CFA octroyés à la presse

Il n'est pas dans la pratique courante des Etats africains d'accorder une aide financière à la presse privée. Ce n'est que tout récemment, à la faveur du printemps démocratique, que certains pays comme le Burkina Faso et le Mali ont donné l'exemple. Le Bénin, présenté comme le pionnier du processus démocratique dans la sous-région, a dû se sentir défié sur ce terrain. Si la volonté n'a pas véritablement manqué à l'Etat béninois, trop de tergiversations et de menus calculs ont cependant joué contre le projet.

A la limite, c'est la bonne foi démocratique de l'Etat béninois qui était en cause, jusqu'au mois de décembre 1996, quand les débats parlementaires révélèrent à l'opinion publique l'existence d'une rubrique consacrée au soutien de l'Etat à la presse privée dans le budget national, exercice 1997.

L'aide, oui mais...

C'est un montant de 300 millions de francs CFA (3 millions de FF) que doivent se partager une vingtaine de publications aux profils disparates et aux options diverses. A l'annonce de la bonne nouvelle, tous les responsables et animateurs de la presse privée ont jubilé, comblés de voir le gouvernement accéder enfin à l'une de leurs plus vieilles doléances.

En effet, après sept années d'expérience de pluralisme médiatique au Bénin, les patrons de la presse sont bien loin de pouvoir se passer d'aide. Pis, s'ils sont allés jusqu'à tendre la main au gouvernement contre tout principe d'indépendance, c'est certainement parce que le coût de fabrication d'un journal demeure très prohibitif, mais aussi et surtout parce que chacun se fait bonne conscience en se disant que l'Etat c'est tout le monde et personne à la fois, et que, par ailleurs, la presse est un vecteur essentiel de la démocratie. Soit!

Seulement, derrière cette vérité s'en cache une autre, selon laquelle la main qui donne a toujours tendance à rester au-dessus de la main qui reçoit. L'Etat saura-t-il résister à la tentation d'en imposer à une presse qu'il aurait aidée? Et la presse, de son côté, saura-t-elle, en cas de nécessité, se montrer ingrate vis-à-vis d'un tel bienfaiteur? L'équation n'est pas facile à résoudre.

Ayant pris la mesure des risques que l'octroi de cette aide fait encourir à la liberté de la presse, et voulant surtout être prudente, l'Union des journalistes de la presse privée du Bénin (UJPB) a déjà fait savoir qu'elle est opposée au principe de l'attribution de toute somme d'argent à une quelconque rédaction. L'UJPB a clairement exprimé sa préférence pour une aide indirecte pouvant se traduire, entre autres, par la formation des journalistes, l'aide dans la distribution des journaux, la mise en place d'une centrale d'achat de papier, etc.

Ce sont là des idées de journalistes, visiblement pertinentes, mais peu intéressantes pour les employeurs que sont les patrons de la presse. Ils l'ont fait savoir clairement à l'occasion d'une journée de réflexion, où ils ont dénié à leurs employés le droit de leur dicter le mode de gestion de cette enveloppe de 300 millions. On comprend que, étant propriétaires de leurs journaux, leurs intérêts immédiats sont ailleurs que dans la seule formation des journalistes, à laquelle l'UJPB voudrait consacrer 75% de l'aide octroyée par l'Etat.

Entre la raison et l'intérêt

Si les intérêts divisent le monde, ils peuvent aussi diviser la presse. A l'analyse, on s'aperçoit que chacun tire à lui la couverture. Les journalistes en mal de formation et de professionnalisme ont en face d'eux des patrons en quête de liquidités. Dans ce conflit d'intérêts, l'enjeu est à la fois professionnel et financier. Et pourtant, les protagonistes, tenus par les exigences d'une collaboration obligée, sont faits pour s'entendre.

Il est donc souhaitable qu'un arbitrage heureux intervienne au plus tôt. Ainsi, la Haute autorité de l'audiovisuel et de la communication (HAAC), recours le plus indiqué en la matière, aura son mot à dire. La HAAC devra éclairer les uns et les autres sur le profil des journaux concernés par cette aide, afin d'établir une distinction entre les parutions saisonnières et les parutions permanentes. De la même manière, cette démarche devra permettre de ne pas loger à la même enseigne les imposteurs agissant au nom de rédactions fictives et les vrais hommes de métier et entrepreneurs de presse rompus à la tâche.

En somme, ce à quoi chacun devra veiller est de faire en sorte que ce qui est supposé faire du bien à la presse privée béninoise ne nuise pas finalement à sa cohésion et à sa prospérité.

END

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