by Evaristus Fonkah, Douala, Cameroun, avril 1997
THEME = MEDIAS
Les propriétaires de journaux privés ne doivent pas seulement faire face au problème du coût élevé du matériel d'impression, mais encore au problème de la saisie et de la confiscation de centaines d'exemplaires de certaines éditions des journaux. Les policiers saisissent des éditions entières dans une impunité et une agitation absurdes au moindre signal de leurs chefs, que ce soit le ministère de l'Administration territoriale ou tout autre ministre qui se sente offensé.
Dans son numéro du 31 mars 1997, "L'Expression", un bihebdomadaire privé francophone, a consacré toute son édition à un millionnaire camerounais, Henri Omgba Damase. Le journal a passé à la loupe tous les détails personnels le concernant, et publié ensuite ce qu'on avait découvert: ses secrets, ses croyances, sa famille, ses amis, ses alliés en affaires, ses indiscrétions, son influence dans les cercles politiques, ses liens internationaux, y compris ceux qu'il a noués avec les présidents de pays étrangers comme la France, sa complicité dans des crimes et des affaires louches, son apparente immunité etc. Cela a irrité les "hommes" de Mr Omgba qui sont au gouvernement, et ils ont fait pression sur les autorités pour que la publication de ce journal soit suspendue.
Entre-temps, le 27 mars 1997, Mr Eyoum Ngangue, journaliste d'un autre journal privé "Le Messager", a été libéré sous caution de la New Bell Maximum Security Prison de Douala, où il avait été enfermé pendant soixante-cinq jours, étant présumé coupable d'avoir insulté le chef de l'Etat et l'Assemblée nationale. Mr Ngangue avait la chance de travailler pour Mr Pius Njawe, propriétaire du "Messager" et journaliste renommé, respecté un peu partout dans le monde. La communauté internationale, y compris les missions diplomatiques, Reporters sans frontières, des organisations locales, etc. ont fait pression sur le gouvernement pour que le cas d'Eyoum passe rapidement en justice, comme cela avait été le cas pour Pius Njawe, emprisonné dans la même prison pour des accusations similaires. Comme pour Pius Njawe, la Cour suprême a ordonné qu'Eyoum soit provisoirement libéré sous caution.
D'autres journalistes cependant n'ont pas, comme
Eyoum Ngangue, la chance que des organisations aussi puissantes
se battent pour leur liberté. En conséquence, ils
sont mis en prison sans procès pour des périodes
indéterminées et indéfinies. Ainsi,
Tout ceci se passe malgré l'existence de lois
précises prévues pour assurer la liberté de
presse au Cameroun. La loi N§ 96/04, publiée le 4 janvier
1996, qui corrigeait et complétait un certain nombre de
clauses de la loi N§ 90/052 du 19 décembre 1990, avait
comme but d'améliorer la liberté de la presse. On
n'a cependant noté aucun changement substantiel ou
significatif dans la liberté de la presse dans ce pays.
Le gouvernement continue à monopoliser la
propriété et le contrôle de tous les
médias électroniques du Cameroun. La seule
Corporation de radio et télévision du Cameroun
(CRTV) contrôle les dix stations de radio du pays, une dans
chaque capitale des dix provinces, et la seule station de
télévision, qui a son centre de production à
Yaounde, capitale du Cameroun, juste à côté
de la présidence, à Mballa II.
Le monopole gouvernemental se poursuit alors qu'il y a un
décret définissant les modalités de gestion
des stations de radio et de télévision appartenant
au secteur privé. Ce décret a été
envoyé à la présidence, pour approbation.
La loi sur les Communications sociales a autorisé la
possession de stations de radio et de télévision
privées depuis plus de six ans. On comprendra mieux les
motifs de la mauvaise volonté du gouvernement à
appliquer la loi si on observe la façon dont le
gouvernement manipule les émissions.
La nuit du 27 mars 1997, un gendarme de garde au camp de
gendarmerie de Jakiri, dans la province nord-ouest du Cameroun,
a été assassiné et les bureaux des officiers
divisionnaires (officiers de l'administration gouvernementale qui
assurent la mise en oeuvre de la politique du gouvernement dans
des zones déterminées connues comme
"divisions territoriales"), étaient
incendiés par des inconnus. Ces actes de rébellion,
dirigés uniquement contre des officiers et des
établissements du gouvernement, ont continué
à Bamenda, capitale de la province nord-ouest, et ensuite
à Mbengwi.
Pendant que les journaux privés étaient encore en
train d'enquêter sur ce qui c'était
réellement passé, des délégués
du gouvernement ont repris les bureaux du CRTV pour fabriquer
de fausses nouvelles diffusées ensuite dans le
public.
Selon Richard Touna, qui écrit pour Le
Messager, les photos et interviews TV, envoyées par
la station CRTV de Bamenda au département des nouvelles
du CRTV, ont été confisquées par le
directeur général du CRTV, le professeur Gervais
Mendo Ze (aussi chargé de mission auprès de la
présidence et membre du parti CPDM, au pouvoir). En lieu
et place, on diffusa des photos d'archives de l'insurrection
Ville-fantôme de 1991 à Bamenda. Des stations de TV
et de radio privées auraient fait du travail plus
honnête.
Le gouvernement a ainsi réussi à entraver les
progrès du journalisme dans le pays: des journalistes, il
en a fait des mendiants. Il les a fort appauvris en confisquant
régulièrement des éditions entières
et en imposant des interdictions continuelles aux
journaux. Cela signifie que les éditeurs n'ont plus les
moyens de payer les salaires. Ceux qui arrivent à payer,
ne peuvent plus assurer des moyens d'existence décents.
D'autres sont tout simplement partis dans la diaspora. Ceux qui
travaillent pour le gouvernement sont des employés du
gouvernement qui s'adaptent aux fantaisies et aux caprices des
politiciens et des officiers du gouvernement. Le journalisme
n'est plus leur affaire.
Lors des campagnes politiques, le Parti démocratique du
peuple camerounais (CPDM) reçoit la part du lion du temps
d'antenne - au moins 70% du temps d'émission
alloué à l'ensemble de tous les partis. Les autres
partis, près de 200, doivent se partager les 30% restants,
tant en radio qu'en télévision.
La lamentable situation des journalistes dans ce pays peut se
comparer à celle d'un prisonnier ou d'un détenu
auquel on n'accorde qu'occasionnellement le droit de faire le
tour de la cour de la prison en guise de liberté. C'est
l'image de ce qu'on entend au Cameroun par
"liberté de la presse".
END
Lois sur la liberté de la presse
Manipulations du gouvernement
Entraves au journalisme