by Adovi John Bosco Adotevi, Lomé, Togo, 2 mai 1997
THEME = POLIT. INTERNAT.
D'après un journal privé de la place, un "vespatiste" ayant écrit Air Kabila sur son engin a été arrêté par la police. On ignore comment celle-ci justifiera cette arrestation qu'aucune loi n'autorise. Mais le zèle des policiers exprime les craintes des autorités de voir les événements du Zaïre faire tache d'huile, et encourager dans une frange importante des Togolais l'espoir d'être débarrassé d'Eyadéma, au pouvoir depuis trente ans.
La quasi-similitude de la situation politique des deux pays, fait craindre que les mécontents togolais ne soient encouragés par ce mode de conquête du pouvoir. Certains appellent de leurs voeux l'apparition d'un Kabila, en oubliant que la situation géographique du Togo n'est pas la même que celle du Zaïre, et que le phosphate, seule richesse minière, ne suffit pas à éveiller l'appétit des grandes puissances.
Cependant, la manière dont les militaires de Mobutu désertent, décampant sans combattre, surprend les Togolais qui découvrent la couardise des hommes venus combattre les rebelles en 1986. Accrochés à leur poste, ils écoutent les informations et, devant l'avancée des rebelles de Kabila, ils se disent que, comme les soldats zaïrois, les militaires togolais ne sont courageux que devant les civils aux mains nues. Et ils se rappellent que, lors des confrontations des années 90, certains militaires ont donné un aperçu de leur valeur, se procurant des habits civils au moindre bruit de fusil et demandant refuge chez l'habitant. Il serait néanmoins dangereux de fonder une stratégie sur une hypothèse aussi hasardeuse, d'autant que l'ombre de la France semble toujours couvrir Eyadéma et son armée.
Selon Hervé de Charette, la France ne serait pas responsable de la tragédie des Grands Lacs. On ne peut cependant oublier que la crise des Grands Lacs a commencé lorsque la France, refusant de laisser tomber Habyarimana, a conforté celui-ci dans son entêtement à ne faire aucune concession à ses opposants, au point de déclencher un génocide dont les conséquences se prolongent jusqu'à ce jour.
Si aujourd'hui les souffrances des réfugiés hutus se prolongent au Zaïre, c'est parce que l'opération "Turquoise", mise en place par la France sous la bannière des Nations unies, a permis la fuite aux restes de l'armée de Habyarimana et, aux tueurs, d'encadrer les réfugiés, les empêchant de rentrer et, au besoin, les forçant à constituer une armée contre les nouvelles autorités de Kigali.
Le délabrement du Zaïre, les rapines, les assassinats, bref la manière dont ils ont gouverné le pays, frappent Mobutu et ses pareils d'indignité, leur enlevant tout droit de se présenter à des élections. La notion d'indignité existe dans toutes les cultures. La France gaulliste n'avait point autorisé les "pétinistes" à prétendre à quelque poste que ce soit, dans le nouvel ordre instauré après la deuxième guerre mondiale.
Voyant donc le sol de l'Afrique des Grands Lacs se dérober sous ses pieds, la France cherche à endiguer le conflit, pour qu'il ne déborde pas en Afrique de l'Ouest, qu'elle considère lui appartenir. Elle met alors en mouvement Eyadéma, un autre de ses hommes, friand des grands rassemblements, et lui fait organiser un mini- sommet de l'OUA pour "régler" le différend. Lomé n'ayant pas donné grande- chose, après une brève tentative de Lissouba, Omar Bongo est chargé de prendre la relève. Il offre Franceville, sa ville natale, pour réunir autour d'une table les protagonistes zaïrois.
Mais pourquoi avoir invité tant de pays francophones - le Congo, le Cameroun, le Togo, le Gabon? Devrait-on s'étonner ensuite que, noyé dans ce flot francophone acquis à la cause de son rival, Kabila refuse de se laisser piéger? Mais telle est la nature de la diplomatie française. Même lorsqu'elle se cache derrière ses amis, elle n'empêche pas qu'on en sente le relent.
Il existe cependant des terrains sur lesquels la France ne se cache pas pour intervenir. Le Togo est l'un deux. C'est ainsi qu'elle vient d'organiser des manoeuvres militaires franco- togolaises, avec la participation du Bénin, du Niger, du Burkina Faso, pays entourant le Togo. Le Nigeria et le Ghana y ont été invités en qualité d'observateurs. Cette fois, elle ne met pas de gants pour annoncer la couleur de l'opération: il s'agit d'un "mandat reçu de l'ONU pour prévenir des troubles et endiguer l'exode de populations, provoqué par la contestation d'élections". En 1998, les Togolais voteront pour élire leur chef d'Etat...
Le verrouillage imposé par le régime en place à l'encontre des opposants, toujours non autorisés à manifester pacifiquement contre leur exclusion, laisse présager des troubles.
Il est à craindre que si les élections ramènent Eyadéma, des opposants n'ayant aucune confiance en une commission électorale dominée par le parti au pouvoir, se soulèveront. D'autre part, si Eyadéma est battu, il y a des risques que les militaires se rebellent, comme au Burundi, pour l'imposer de nouveau. Ainsi, les autorités françaises et togolaises font comprendre, par des mots à peine voilés, qu'elles sont parées à toute éventualité.
Par ailleurs, les cinq Etats du Conseil de l'entente (Bénin, Burkina Faso, Côte d'Ivoire, Niger et Togo) viennent de décider la mise sur pied d'une armée d'intervention, en exécution du Pacte de non-agression les unissant, mais aussi en réponse à une idée chère à Chirac, le président français, et dont le reste de l'Afrique anglophone se méfie.
Qui connaît l'avenir? Les meilleurs calculs des stratèges ont souvent été déjoués par des événements dont la prévision leur échappe. En attendant, les victoires de Kabila font applaudir des Togolais qui espèrent qu'après le Zaïre, ce sera le tour du Togo.
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