ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 328 - 15/07/1997

CONTENTS | ANB-BIA HOMEPAGE

République démocratique du Congo

Les graves erreurs de Kabila

by Kikuni L. Mashamba, Congo (RDC), 10 juin 1997

THEME = POLITIQUE

INTRODUCTION

Mobutu parti, Kabila s'installe.
La joie et l'enthousiasme des Kinois pour leur libération de la dictature
n'ont duré qu'un jour...

Le vendredi 16 mai 1997 au matin, l'ex-dictateur Mobutu a fui le pays prenant le chemin de l'exil. C'est la fin d'un règne long de 32 ans, au cours duquel tout un peuple a été réduit à l'indigence et à la misère. Les tombeurs du dictateur, la plupart âgés de moins de 20 ans, ont fait leur entrée à Kinshasa le lendemain, accueillis en "libérateurs" par la population qui les a portés en triomphe. 24 heures après, le chef de l'AFDL, Laurent Kabila, encore à Lubumbashi, s'auto-proclame président de la République démocratique du Congo. 48 heures plus tard, le 20 mai, il arrive discrètement dans la capitale pour constituer son gouvernement de transition.
La joie et l'enthousiasme des Kinois pour leur libération par l'AFDL n'ont pas duré longtemps: les premières déclarations de M. Kabila et de ses collaborateurs ont provoqué une grande déception et une grande frustration parmi la population de la capitale, qui a commencé à les juger sur leurs actes.
En effet, après sept années d'une transition pleine de péripéties, les gens ont horreur de tout ce qui leur rappelle les méthodes et les actions de l'ancien régime. Or, tout de suite, les dirigeants de l'AFDL ont voulu diriger seuls la transition en formant un gouvernement d'où l'opposition interne est exclue. En outre, dès le premier contact, M. Kabila n'a pu dissimuler ses réflexes de dictateur. Il s'est octroyé des pleins pouvoirs et a évité de rencontrer le chef de file de l'opposition, Etienne Tshisekedi. Celui-ci a donc immédiatement rejeté ce gouvernement, en déclarant avec force: "Nous n'accepterons pas une nouvelle dictature, d'où qu'elle vienne". Et il a invité toute la population à résister à toute tentative d'imposer une nouvelle dictature au pays.

Reproches de graves erreurs


Tout d'abord, la population de Kinshasa reproche au président auto-proclamé la précipitation avec laquelle il a signé des contrats très importants avec des firmes sud-africaines, américaines et canadiennes, avant même d'avoir conquis tout le pays et avant d'être chef d'Etat. Ces actes sont qualifiés de "vente du pays", tout comme Mobutu l'avait fait. Rien n'a donc changé.
En outre, dans sa déclaration faite le 18 mai à Lubumbashi, M. Kabila s'est auto-proclamé chef d'Etat, en dehors de tout cadre juridique. Dans cette même déclaration, il a mis fin aux activités de tous les partis politiques et interdit toutes les manifestations. Lors de la constitution du gouvernement, il a évité tout contact avec le chef de file de l'opposition interne. Ce même gouvernement est constitué de 13 ministres, dont 9 sont de l'AFDL, et ces ministres sont nommés à partir des statuts de l'Alliance, qui devient, comme le MPR, un Parti- Etat.
Mais surtout, M. Kabila est pris en otage par ses collaborateurs étrangers d'origine rwandaise et ougandaise, presque tous des Tutsi téléguidés par Kigali et Kampala. Ces dirigeants de l'AFDL occupent des postes très importants au sein du gouvernement. Ce qui donne l'impression très nette d'un pays conquis et occupé par des étrangers.
Lors de son investiture, le 29 mai, M. Kabila a prononcé un discours, qualifié de "vide" par les Kinois, dans lequel il n'a pas dit un mot sur l'unité nationale, chère à tous les Congolais. Il n'a pas reconnu non plus les mérites de l'opposition interne, qui avait déblayé le terrain.
Un autre reproche sévère fait à M. Kabila et son AFDL concerne les exécutions sommaires: on estime à plus d'un millier les personnes abattues froidement et en public depuis l'arrivée des forces de l'AFDL . Ceci a blessé profondément les Kinois, qui ne sont pas habitués à ce genre de comportement.
C'est pourquoi, craignant de voir s'installer une nouvelle dictature sanguinaire, la population de Kinshasa a décidé, à l'appel énergique de M. Tshisekedi, de résister aux allures dictatoriales de Kabila et son Alliance. Des marches de protestation sont organisées à Kinshasa et dans d'autres régions du pays. Mais les nouveaux maîtres, encouragés par Kigali et Kampala, se ferment les oreilles et les yeux et s'endurcissent, comme le faisait Mobutu. M. Tshisekedi a été placé en résidence surveillée. Il faut craindre qu'une guerre civile se prépare.

Déceptions et accusations


La déception provoquée par les premiers actes de Kabila et de l'AFDL est à la mesure de l'espoir qui avait été placé en eux. Selon des activistes de certains partis politiques (qu'on appelle souvent les "parlementaires debout"), Kabila a vendu le Congo aux Tutsi rwandais et ougandais, qui veulent recoloniser le pays avec la complicité des Etats-Unis et de l'Afrique du Sud, et avec celle de certains Congolais corrompus. Un document circule à Kinshasa sur ce plan de recolonisation. En bref, il se présente comme suit:

- 1. Tous les postes de commandement doivent être aux mains des Tutsi ou de leurs alliés. En guise d'exemples:

----*- le ministre des Affaires étrangères: M. Bizimana Karaha, beau-frère de Kagame;

----*- le commandant de l'armée de l'AFDL: un ancien ministre de l'Intérieur du Rwanda;

----*- ministre de l'Education: un Tutsi rwandais;

----*- le prochain gouverneur de la Banque centrale: M. Kahengeshe, un Tutsi rwandais;

----*- le secrétaire général de l'AFDL: un Tutsi ougandais, neveu du président Museveni.
Cette liste n'est pas exhaustive, mais elle est indicative.

- 2. Les véhicules, certains équipements industriels et des armes, sont acheminés vers Kigali.

- 3. Le diamant et l'or sont exportés à partir de comptoirs ouverts à Kigali. Les diamantaires du Congo sont obligés de se rendre à Kigali pour écouler leurs produits.

- 4. Tous les gros marchés se voient confiés aux seuls hommes d'affaires tutsi.
Pour ces "parlementaires debout", comme pour tous les Kinois, la libération tant attendue s'est transformée en une occupation par les Rwandais et les Ougandais. La chute du dictateur Mobutu a servi de prétexte à la réalisation de desseins cachés pour la constitution d'un Etat dominé par l'hégémonie tutsi.

Solidarité ou règlements de comptes?


Le jour de l'investiture du président Kabila, les chefs d'Etat des pays voisins, qui avaient soutenu et équipé la rébellion, ont assisté à la cérémonie: Museveni de l'Ouganda, Buyoya du Burundi, Bizimungu du Rwanda, Chiluba de Zambie et dos Santos de l'Angola. Tous ces pays ont des frontières communes avec le Congo. Leurs peuples sont liés au nôtre par l'histoire et même par le sang. Par leur action commune pour mettre fin à la dictature de Mobutu, ils ont démontré que, dans la solidarité, les Africains peuvent se rassembler pour réaliser des objectifs communs pour le bien-être de leurs peuples respectifs.
Mais il y a plus que cela. Certains messages prononcés à l'issue de la cérémonie ont révélé l'ampleur de la conspiration internationale contre le Congo. En fournissant à M. Kabila des appuis importants, matériels, logistiques et en hommes, ces pays voulaient régler leurs comptes avec Mobutu, à cause des actes de déstabilisation que celui-ci avait menés contre eux.
Dès lors, après la chute du maréchal- président et la fin de la guerre, pouvons-nous espérer une nouvelle ère de coexistence pacifique et de coopération fructueuse entre les peuples de la région? Nous croyons que non! Si l'occupation et la recolonisation tutsi sur le Congo se consolident, cela risque d'étendre sur l'ensemble de la région de l'Afrique centrale la haine entre Tutsi et Hutu, perpétuelle au Rwanda. Pour éviter une situation future aussi regrettable, Etienne Tshisekedi a, dans un message, remercié tous les pays qui ont aidé le Congo pour se libérer de la dictature. mais il leur a demandé de rentrer chez eux et de préciser leur facture pour l'effort de guerre. Cette dernière s'élèverait à environ 800 millions de dollars. Elle est lourde, certes, mais devrait être payée officiellement, sans que le pays libéré soit occupé.

Conditions de vie décente


Au Congo aujourd'hui, le plus urgent est de restituer au Congolais sa dignité d'homme, en lui offrant des conditions de vie décente. La population a besoin de nourriture, de logement, de travail, de moyens de communication. Quelques effets bénéfiques se font déjà sentir. Citons le fléchissement des prix des produits de première nécessité et une certaine réévaluation de la monnaie.
Suite à cela, certains s'évertuent à convaincre la population de fermer les yeux sur les allures dictatoriales des nouveaux dirigeants. Mais la population de Kinshasa, grâce à l'encadrement des organisations des droits de l'homme et de certains partis politiques, est devenue très critique et contestataire à l'encontre des gouvernants qui mentent, déçoivent et tentent de s'imposer par la force.
Au nombre des attentes déçues, citons l'exclusion de M. Tshisekedi du gouvernement. Mais les Kinois ont aussi décelé beaucoup d'autres incohérences chez les nouveaux maîtres du pays, qui ne tiennent pas leurs promesses. Par exemple, la prime promise aux fonctionnaires pour payer leur transport pour aller au travail ne sera plus remise. Plus encore, la réforme monétaire qui devait entrer en vigueur à la fin du mois de juin est renvoyée à plus tard.
Par cette réforme le Congo retrouvera son ancienne monnaie, le franc congolais. Un franc congolais vaudra 50.000 NZ (nouveau zaïre), et un dollar US 2,5 francs congolais. La nouvelle monnaie sera couverte par le dollar US et par le rand sud-africain. La réforme permettra également aux gagne-petit de rehausser leur pouvoir d'achat. Avec la nouvelle monnaie, on aura effacé aussi un des vestiges du régime Mobutu, le zaïre. Mais sans la relance de la production et des mesures sévères d'encadrement, cette nouvelle réforme monétaire est vouée à l'échec comme les précédentes.

Conclusion


L'AFDL a gagné la guerre avec le soutien du peuple et de l'opposition interne. Elle doit reconnaître ce mérite en toute honnêteté. C'est pourquoi l'Alliance doit constituer un gouvernement d'union nationale, représentatif de toutes les forces politiques acquises au changement, sans exclusion. La population réclame surtout que le chef de file de l'opposition radicale fasse partie de ce gouvernement de transition. C'est à ce prix que la réconciliation nationale est possible.
Les Congolais ne sont plus disposés à tolérer tout pouvoir qui cherche à restreindre les libertés fondamentales d'expression, d'association et de presse, comme tente de le faire le nouvel homme fort du Congo.
Pour le moment, les grands enjeux pour le peuple du Congo restent la sécurité des personnes et des biens, la consolidation du processus démocratique, la mobilisation au travail, la reconstruction du pays, le partage juste des revenus, ainsi que la mise sur pied des dispositions électorales.

END

CONTENTS | ANB-BIA HOMEPAGE

PeaceLink 1997 - Reproduction authorised, with usual acknowledgement