ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 329 - 01/09/1997

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KENYA

LE PRESIDENT ET LES EGLISES

by Dossier préparé par ANB-BIA, août 1997, Bruxelles

THEME = EGLISES

INTRODUCTION

Depuis juillet, les affrontements entre le parti au pouvoir et l'opposition se sont intensifiés
et ils se sont encore empirés au mois d'août.
Les contestataires réclament avant tout une révision de la Constitution
avant les élections prévues pour la fin de l'année.
Déjà le 22 mai, les Eglises chrétiennes du Kenya
avaient signé un document commun demandant au président des initiatives en ce sens.

DANIEL ARAP MOI

A la mort, le 22 août 1978, du président Kenyatta, le vieux leader qui avait été le chef d'Etat du Kenya depuis l'indépendance en 1963, Daniel Arap Moi lui succéda. Il se révéla un politicien extrêmement habile, qui concentra de plus en plus tous les pouvoirs entre ses mains, grâce entre autres à une Assemblée nationale toute à sa dévotion. Ainsi, la KANU (Kenya African National Union) fut décrétée parti unique le 9 juin 1982, malgré de larges protestations. Les libertés individuelles se virent limitées graduellement et le nombre de prisonniers politiques augmenta. En 1986, à l'intérieur du parti unique, on instaura le système de "queue voting", où les électeurs devaient faire la queue derrière le candidat de leur choix.

Les pouvoirs du président s'affermirent également sur les institutions. En 1986, une loi l'autorisa à démettre, sans consultations, le procureur général et l'auditeur général. En juillet 1988, l'Assemblée nationale étendit encore ses pouvoirs dans le domaine judiciaire, l'autorisant à démettre les juges à sa guise et faire détenir des personnes sans jugement durant deux semaines.

Ce n'est qu'en avril 1990 que les puissances occidentales commencèrent à réagir, exaspérées par les violations des droits de l'homme, la corruption et les incessants scandales financiers dans lesquels une grande partie de l'aide extérieure était engloutie. L'ambassadeur des Etats-Unis au Kenya fut le premier à faire savoir que son pays concentrerait désormais son aide sur des pays qui favorisaient les institutions démocratiques, défendaient les droits de l'homme et pratiquaient le multipartisme. La Grande-Bretagne emboîta le pas. Ces pressions obligèrent finalement le président, en décembre 1991, à annoncer que le Kenya était prêt pour une politique multipartite. Les groupes d'opposition se réunirent dans un Forum pour la restauration de la démocratie (Ford), sous la présidence de l'ancien vice-président Odinga Odinga.

Un autre ancien vice-président, Mwai Kibaki, fonda le Parti démocratique du Kenya (DPK). Les premières élections pluralistes, présidentielles et législatives, eurent lieu en décembre 1992. Mais Arap Moi manoeuvra avec une grande habileté. Il pouvait s'appuyer sur ses alliés tribaux massaïs et kalenjins (lui-même est Kalenjin), qui formaient un groupe très uni, bien que minoritaire.

Pour affaiblir ses ennemis, largement appuyés par les ethnies kikuyu et lua, il encouragea discrètement les ambitions rivales des divers dirigeants de l'opposition. Le FORD se divisa en deux groupes, le Ford-Asili ("originaire") et le Ford- Kenya. Avec le DPK, l'opposition était ainsi divisée en trois groupes d'importance à peu près égale. Le résultat fut que Moi, ultra-minoritaire avec 1,8 million de voix, gagnait les élections alors que les trois candidats de l'opposition en réunissaient 3,4 millions. Avec une répartition semblable des voix, la KANU obtint une majorité confortable au Parlement. Le vice- président du Ford-Kenya commenta tristement: "Ce n'est pas la KANU qui a gagné les élections, c'est l'opposition qui les a perdues".

Les Occidentaux, dépités, déclarèrent qu'il n'y aurait pas de reprise de l'aide, tant qu'un certain nombre de conditions ne seraient pas remplies. Mais le président Moi négocia habilement, durant les années qui suivirent, cédant petit à petit sur les mesures économiques pour mieux résister aux conditions politiques. Entre-temps, le harcèlement des opposants se poursuivit sans relâche.

Aujourd'hui, cette opposition n'offre toujours pas de solution de rechange. Elle semble n'avoir rien appris. Le Ford- Kenya, après la mort de son président Odinga Odinga, est de plus en plus divisé entre factions rivales. Le Parti démocratique est miné par les ralliements au gouvernement et des querelles internes. Le Ford-Asili s'est récemment déconsidéré lorsque son président a affirmé qu'il fallait expulser tous les Indiens du Kenya, ce qui a ramené à la mémoire de tous le fantôme d'Idi Amin en Ouganda.

Le président Moi brigue maintenant un nouveau mandat de cinq ans, alors qu'il est déjà âgé de 73 ans et qu'il n'a pas de dauphin.

LES EGLISES

La situation politique du pays incita de plus en plus les responsables des Eglises à se prononcer. En 1986, lors de l'introduction du "queue voting", le "National Christian Council of Kenya" (NCCK) qui représente 35 Eglises protestantes et environ 6 millions de fidèles, s'opposa à cette manoeuvre disant que cela effraierait les gens et exercerait une pression sur les électeurs. Le président Moi répondit en attaquant l'attitude des ecclésiastiques.

Ce premier accrochage fut suivi par des affrontements continuels entre Eglises et Etat au sujet des tentatives du gouvernement pour étendre ses pouvoirs et limiter les droits individuels. Régulièrement le président accusait les responsables chrétiens et musulmans de comploter contre lui.

Lorsque, en 1989, le Rd. Lawford Ndege Imande, chef de l'Eglise presbytérienne, défendit dans un livre le droit des responsables ecclésiastiques d'intervenir en matière socio-politique, il fut arrêté et condamné à six ans de prison.

Lors de heurts ethniques qui escalèrent en 1993, principalement dans la province du Rift Valley, douze évêques catholiques (tous Kenyans, les cinq étrangers n'ayant pas signé pour éviter des rétorsions) accusèrent publiquement le gouvernement d'en être le premier responsable.

Le 30 octobre, ils adressèrent une lettre ouverte au président Moi, où ils dénoncaient les injustices, les illégalités, les tensions tribales et le manque de volonté politique pour porter remède à ce climat, prélude à une guerre civile. L'année d'après, quand la violence reprit entre Kalenjins et Kikuyus, les évêques catholiques publièrent une déclaration imputant la complète responsabilité des événements au gouvernement.

En janvier 1994, la Commission catholique "Justice et Paix", en préparation de l'action de carême, invite à une réflexion et une action dans le domaine politique. Elle accuse le "déraillement du processus de démocratisation" et les violences et les actes de banditisme sans précédent dont souffrent les Kenyans, et exprime son inquiétude sur le fait que "les déclarations du chef de l'Etat sur la bonne gouvernance, la justice et la paix, sont en contradiction avec les agissements des membres de son propre cabinet, l'administration provinciale et la police". "Nos évêques ont assez parlé", disent les auteurs, "à nous maintenant d'agir".

Le 12 mars 1994, les évêques catholiques écrivent une lettre pastorale intitulée "Sur la route de la démocratie". Evaluant la situation au Kenya, ils constatent qu'il n'y a pas grand changement depuis l'abandon du parti unique, le parti au pouvoir ignorant les autres partis, et ils posent la question de la révision de la Constitution en vigueur, datant toujours du temps du monopartisme. Ils concluent en disant: "La démocratie est bien plus qu'un système multipartite. Elle demande le respect et la protection des droits de chaque individu et de tous les groupes, spécialement des groupes minoritaires".

Le 7 avril 1994, le journal Daily Nation publie une déclaration du Conseil national des Eglises (NCCK )à l'occasion d'affrontements dans le district Uasin Gishu. Le Conseil aussi souligne la nécessité d'une nouvelle Constitution et d'une nouvelle moralité.

A la fin d'une assemblée plénière, tenue en novembre 1994, les évêques catholiques publient une déclaration dans laquelle ils soulignent encore l'insécurité dans le pays, la dégradation de la moralité, le chômage, le manque d'intégrité de la justice. Ils constatent à nouveau que "le parti au pouvoir a tous les droits" et rappellent leur support à une très large discussion pour préparer une nouvelle Constitution.

Des critiques émanent aussi de la communauté musulmane. Une centaine d'imams, réunis à Mombasa, décident de présenter, avec les chrétiens, un front uni contre le gouvernement de la KANU lors des élections de 1997. Les musulmans se plaignent d'être victimes de discrimination dans le domaine de l'emploi et de l'éducation.

Le 2 avril 1995, nouvelle lettre pastorale des évêques catholiques, intitulée "Appel pour changer les coeurs". Ils appellent à la conversion et à bâtir ensemble la nation. "Nous devons avoir le courage de dire à nos politiciens "il suffit de vos divisions, votre cupidité, vos querelles, vos mensonges, votre recherche de vous-mêmes, vos intrigues pour le pouvoir et la richesse"". Ils appellent à la séparation des pouvoirs et spécialement à l'indépendance du système judiciaire. Et ils concluent en requérant du gouvernement que, en préparation de la nouvelle Constitution, il écoute le peuple et engage des citoyens compétents de tous bords à trouver, dans le dialogue, une approche commune. En réponse, le gouvernement accuse l'Eglise catholique de collaborer avec l'opposition dans une tentative de renverser dans la violence le régime du président Moi.

A son tour, le NCCK publie, début mai 1995, une déclaration où il recommande des réformes constitutionnelles avec la participation de tous les citoyens. Ils demandent notamment une révision de la loi électorale, l'instauration d'une commission nationale indépendante et une représentation proportionnelle. Ils insistent également sur la formation civique.

En juillet-août 1996, les Eglises reviennent à la charge. Dans des déclarations séparées mais convergentes, les évêques catholiques et le NCCK réclament une révision immédiate de la Constitution et un dialogue entre tous les partis sur la commission électorale. Dans leur lettre pastorale "Notre responsabilité sociale", lue en chaire dans toutes les églises, les évêques catholiques estiment le temps de la révision constitutionnelle venu et demandent aux communautés chrétiennes de faire campagne "en faveur de changements pacifiques et pour refuser le trafic des votes et le trucage des élections".

Le NCCK appelle également à des réformes constitutionnelles, la suspension de la commission électorale existante, la liberté de presse et le contrôle du scrutin par tous les partis. Le parti KANU du président Moi rejette les appels des Eglises, les qualifiant de "nouvelles tentatives révolutionnaires destinées à réduire à néant la Constitution qui nous a bien servi depuis l'indépendance".

22 MAI 1997 : DECLARATION COMMUNE DES EGLISES

Alors que le président du KANU déclarait finalement que son parti n'était pas opposé à une réforme constitutionnelle, mais que celle-ci ne serait possible qu'après les élections (dont la date n'est toujours pas annoncée), les Eglises protestantes et catholique se sont unies dans une déclaration commune, considérée comme un véritable ultimatum au président Moi.

Après deux rencontres infructueuses avec le chef de l'Etat, début avril et le 5 mai, les Eglises prirent la décision sans précédent de publier un document commun, signé conjointement par le NCCK et la Conférence épiscopale catholique, et intitulé: "Réformes minimales constitutionnelles, législatives et administratives: préalables à des élections libres et équitables".

Les signataires soulignent dans leur introduction que depuis plus de dix ans ils se sont faits les avocats de réformes, mais qu'après des promesses du président rien ne s'est fait. Le problème, affirment- ils, n'est pas un manque de temps, mais le manque d'un minimum de bonne volonté. Ils continuent toutefois, comme leaders et comme gens de bonne volonté, à faire des propositions basées sur des principes universellement acceptés de fair-play: la séparation des pouvoirs, la souveraineté des électeurs, l'accès libre au scrutin et la liberté d'association et de réunion. Dans le chapitre sur la séparation des pouvoirs, ils insistent sur la nécessité d'une commission électorale indépendante et s'érigent contre les pouvoirs du président et du gouvernement d'emprisonner les gens sans jugement et de restreindre un certain nombre de libertés, ainsi que de nommer et démettre des gens à des postes clés officiels.

Sous le titre "souveraineté de l'électeur", ils plaident pour une plus juste répartition des sièges sur l'ensemble du territoire, la possibilité pour des candidats indépendants de se présenter aux élections, et l'abolition du droit du président de nommer 12 députés.

Ils énumèrent ensuite un certain nombre de points devant garantir la liberté de réunion et d'association, et le libre accès au scrutin, qui doit être transparent. Et ils terminent par un appel solennel au gouvernement pour qu'il réalise ces réformes avant les élections.

Cette déclaration fut publiée dans deux journaux de la capitale. Le président Moi réagit en accusant les ecclésiastiques d'attitudes dictatoriales. "Je suis surpris, dit-il, que le clergé prenne une position partisane sur des sujets concernant la nation. Poser un ultimatum et donner des ordres n'est pas la marque d'un démocrate. C'est de la dictature".

END

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