by Marie Kangambega Quenum, Bénin, juillet 1997
THEME = ENFANTS
Les faits sont effarants. Selon les statistiques de la Brigade de
protection des mineurs, les représentations diplomatiques du
Bénin à l'étranger ont
récupéré, en 1996, 92 enfants placés en
situation difficile. En 1995, ils étaient déjà
39 à être rapatriés.
En 1995, 119 enfants en partance pour l'étranger ont
été refoulés par les services frontaliers de
sécurité. Ce chiffre est passé à 413 en
1996 et, du 1er janvier au 30 juin 1997, 697 enfants ont
été interceptés et ramenés. Le constat
est clair: le nombre d'enfants victimes de ce trafic ne fait que
s'accroître tous les ans.
Dans le passé, ces enfants étaient confiés par
leurs familles à des tierces personnes, sans calcul
d'intérêt, au nom de la parenté, ou de
l'amitié même, dans le but de se rendre mutuellement
service au sein de la communauté. Aujourd'hui, les enfants
sont livrés à un trafic honteux dont la raison
principale est, selon M. Paul Fagnon, de l'association
"Terre des hommes", la pauvreté des
familles. Le pire est que celles-ci, en confiant leur
progéniture, ne comprennent pas très bien les
conséquences d'un tel acte.
Au niveau national, le phénomène existe sous
l'appellation "vidomègon", ou
"enfants confiés". En effet, une
enquête, menée conjointement en 1994 à Cotonou
et à Porto-Novo par l'UNICEF et la direction de la
Protection sociale, révèle que sur 155 ménages
enquêtés, 151 abritaient au moins un
"vidomègon". 85% de ces enfants sont de
sexe féminin; 72% d'entre eux ont entre 10 et 14 ans, et 20%
ont moins de 10 ans. 90% des enfants n'ont jamais été
scolarisés.
Les enfants sont utilisés tant au plan national
qu'international pour les travaux ménagers, comme vendeuses
ambulantes ou, dans le pire des cas, sont intégrés
dans des réseaux de proxénétisme.
Dans ce trafic, les enfants sont toujours les victimes. Les
familles d'origine en retirent des sommes variant entre 20.000 et
80.000 fr cfa pour un placement-gage qui dure entre deux et trois
ans. Les parents placent aussi leurs enfants pour les
protéger des méfaits de la sorcellerie,
communément appelée phénomène des
"mangeurs d'âme". Pour ce motif, les enfants
sont donc éloignés de leur village.
Les conséquences pour l'enfant sont nombreuses. Elles
vont des services physiques, des mauvais traitements, à des
atteintes psychologiques qui peuvent être graves. Le Dr
Emilienne Kpadonou, de l'ONG "Terre des hommes"
qui s'occupe de l'enfance en difficulté, a parlé de
"comportements sadomasochistes" qui pourraient
être transgénérationnels. Certains vont
même jusqu'à changer le nom de l'enfant ainsi que sa
religion. Ce qui pose un problème d'identité.
La Convention relative aux droits de l'enfant, signée par le
Bénin, définit l'enfant comme étant tout
être humain âgé de moins de 18 ans, sauf si la
majorité est atteinte plus tôt en vertu de la
législation qui lui est appliquée. L'article 321 de
ce même document stipule que "les Etats parties
reconnaissent le droit de l'enfant d'être
protégé contre l'exploitation économique et de
n'être astreint à aucun travail comportant des risques
ou susceptibles de compromettre son éducation ou de nuire
à sa santé ou à son développement
physique, mental, spirituel, moral ou social".
Le phénomène est apparu au Bénin en 1987, et
c'est en 1990 que les autorités ont réellement pris
conscience de son ampleur. Mais, déjà en 1961, une
loi réglementait le placement des mineurs, en dessous de 18
ans, hors du territoire national. Un décret fixait les
modalités de délivrance des autorisations de sortie
de ces mineurs. Devant la recrudescence du phénomène,
d'autres textes ont été élaborés en
1995 pour renforcer l'effet de ceux déjà
existants.
Les autorités ont à coeur de mettre un frein au
phénomène. La même préoccupation anime
certaines ONG et associations de défense des droits de
l'enfant, ainsi que des organismes internationaux. A l'occasion
d'une rencontre qui a regroupé en fin juillet ces principaux
protagonistes autour de la question du trafic des enfants, des
solutions ont été préconisées. Il
s'agit notamment de l'élaboration d'un plan d'action qui
prévoit plusieurs étapes dans la lutte.
A court terme, il s'agira de recourir au battage
médiatique, à l'installation de comités de
suivi à tous les niveaux, de créer ou de rendre
fonctionnels les Centres de protection sociale (CPS) dans toutes
les sous-préfectures, de renforcer la collaboration de la
Brigade de protection des mineurs (BPM) avec les brigades
territoriales et les CPS. La dotation de la BPM de moyens
appropriés d'action, ainsi que l'élaboration et la
promulgation d'une loi réprimant le trafic des enfants ont
été vivement souhaitées.
Le problème des passeurs et intermédiaires a
été également posé. Ceux-ci devraient,
de l'avis des participants à la rencontre, être
dénoncés et sanctionnés. Les
représentations diplomatiques du Bénin sont
également appelées à s'impliquer dans la
lutte.
A moyen terme, une solution doit être trouvée
au phénomène qui ne fait que s'amplifier. La
traduction et la vulgarisation des textes en langues nationales, la
création de centres d'apprentissage, et
l'amélioration des techniques culturales pourraient
contribuer à enrayer le phénomène. La
gratuité de l'enseignement primaire, conformément
à l'article 13 de la Constitution, peut maintenir les
enfants en âge d'être scolarisés sur les bancs,
les frais d'écolage n'étant pas actuellement à
la portée de tous.
A long terme, la création d'un centre professionnel
est envisagée. Mais déjà au niveau national
des actions sont engagées. "Terre des
hommes" prévoit par exemple la création
d'une halte au grand marché international Dantokpa
à Cotonou, où les "vidomègon"
travaillent surtout auprès des vendeuses et
commerçantes. Des cours tels que l'enseignement
ménager pourraient leurs être dispensés.
Dans le cadre de la mise en oeuvre de la Convention relative aux
droits de l'enfant, une Charte du mouvement
"vidomègon" a été
élaborée en novembre 1996, et lancée
officiellement en mars 1997.
Les signataires de cette charte s'engagent entre autres à
"ne placer aucun de leurs enfants auprès d'une
tierce personne avant l'âge de 14 ans, et à ne mettre
en gage ou céder contre une quelconque contrepartie aucun
enfant de la famille; à ne pas accepter ou à chercher
à prendre sous leur toit un enfant de moins de 14 ans pour
des tâches domestiques et/ou commerciales..."
Cette charte définit aussi des dispositions transitoires
au cas où une personne aurait déjà un enfant
sous son toit. Dans cette situation de fait accompli, cet enfant
devrait "bénéficier des mêmes droits
que les enfants de la famille, en particulier le droit de conserver
son nom, le droit à une alimentation suffisante, à un
logement sain et aux soins médicaux
adéquats..."
La Charte est jugée comme étant difficilement
applicable dans le contexte du Bénin, où des parents
pauvres, en quête perpétuelle de solutions pour
résoudre l'équation ressources disponibles/besoins,
côtoient des populations des villes, qui cherchent une main-
d'oeuvre à moindre coût et corvéable.
END