by Valentin Zinga, Cameroun, 19 septembre 1997
THEME = ELECTIONS
Après l'élection présidentielle de1992 portant
Paul Biya au pouvoir, de nombreux partis d'opposition avaient
parié sur un scrutin du même type pour celui qui aura
lieu le 12 octobre prochain. Ils ont fait un mauvais calcul, car
les principales formations politiques de l'opposition: le Front
démocratique national (SDF) de John Fru Ndi, l'Union
nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP) de
Bello Bouba Maigari, l'Union démocratique du Cameroun (UDC)
d'Amadou Ndam Njoya, et le Mouvement pour la libération de
la jeunesse camerounaise (MLJC) de Marcel Yondo, ont
décidé de ne pas y participer.
Ils ont expliqué leur option disant que l'analyse des
élections organisées depuis la restauration
forcée et douloureuse du multipartisme au Cameroun montre
que ces élections successives ont été
caractérisées par des fraudes toujours plus massives
et un gangstérisme électoral insolent, le
pouvoir utilisant la machine administrative à tous les
niveaux, l'armée et les milices privées, et puisant
les moyens financiers dans les caisses des sociétés
d'Etat et celles du Trésor public. Les chefs des partis
d'opposition ont opté pour la non-participation parce
qu'ils estiment qu'aucune élection libre, juste et
transparente ne peut se tenir au Cameroun dans les conditions
actuelles.
En fait, avant la clôture de la session ordinaire de
l'Assemblée nationale, ces partis avaient remis au
président de la Chambre une demande de mise sur pied
d'une commission électorale nationale autonome,
chargée d'organiser les élections à tous les
niveaux, de les surveiller et d'en proclamer les résultats.
La création de cette commission avait été
suggérée par les observateurs internationaux. La
proposition de loi ne fut pas inscrite à l'ordre du jour,
pas plus d'ailleurs que la demande au mois d'août,
conformément à la Constitution, de la tenue d'une
session extraordinaire du Parlement.
Au contraire, au cours des travaux parlementaires, les
députés avaient adopté une loi
électorale selon un projet de l'exécutif. Il n'y
avait eu aucune difficulté à ce vote, le
Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC ) au
pouvoir occupant 116 des 180 sièges de l'Assemblée
nationale... Cette loi, qui régira l'élection
présidentielle, consacre le Conseil constitutionnel comme
seule instance habilitée à se prononcer sur la
régularité du scrutin, à en proclamer les
résultats, et à en connaître le contentieux.
Non encore mises sur pied, ses prérogatives pourraient
être remplies par l'actuelle Cour suprême, la plus
haute instance juridictionnelle, comme ce fut le cas lors des
dernières consultations pour les élections des
députés.
Le rôle de l'administration est aussi resté
prééminent, depuis les inscriptions sur les listes
électorales jusqu'à la publication des listes
d'électeurs et des bureaux de vote, en passant par la
distribution des cartes d'électeurs. En outre, pour
l'élection présidentielle, c'est le ministre de
l'Administration territoriale qui juge de la recevabilité
des candidatures. Or, l'administration et la justice n'ont jamais
fait preuve de neutralité dans le jeu politique; elles
laissent l'image d'être à la solde du RDPC. On
peut donc comprendre que le SDF, l'UNDP, l'UDC et le MLJC aient
déclaré: "pas d'élections sans bonnes
lois".
D'autres leaders politiques, de l'opposition extraparlementaire,
ont porté un jugement similaire sur la loi
électorale. Ils iront pourtant aux élections. Ainsi
Samuel Eboua, ancien secrétaire général
de la présidence de la République, président
du Mouvement pour la démocratie et le progrès (MDP),
qui bénéficiera du soutien annoncé d'une
dizaine d'autres partis de relative importance. Ce choix
cristallise nombre de critiques, comme le risque de servir de
faire-valoir à une élection dont les
règles du jeu sont pipées.
Le candidat déclaré ne s'est pas
découragé pour autant. "Le boycott est certes
l'une des armes dont l'opposition peut se servir pour exercer des
pressions sur le régime, a affirmé Samuel Eboua,
mais je ne pense pas que ce soit la meilleure ou la plus
efficace pour résoudre le problème politique
camerounais. Le régime du président Biya prive un
grand nombre de Camerounais de leur droit de citoyen, en refusant
de les inscrire sur les listes électorales, en ne leur
remettant pas les cartes d'électeurs. Faut-il que, de son
côté, l'opposition prive ces mêmes Camerounais
de leur droit et devoir de vote lors d'une élection capitale
comme celle qui aura lieu le 12 octobre prochain, quand bien
même nous connaissons les conditions dans lesquelles ces
élections se dérouleront?" Et de conclure:
"Laissons le peuple sanctionner, dans un sens ou
dans l'autre, la gestion du pays par ceux qui nous gouvernent, pour
mettre une fois de plus en évidence la mauvaise foi du
régime. Cela fait aussi partie de l'apprentissage de la
démocratie".
Parmi ceux qui trouvent quelque justification au scrutin, il y a
Paul Biya, candidat sortant, investi par le RDPC. Sur le papier, sa
réélection ne fait pas l'ombre d'un doute. Il dispose
de grands moyens financiers, utilisera à sa guise
l'administration, la justice et les médias d'Etat où
se trouvent des fonctionnaires, carriéristes avant tout. On
assistera, en l'absence des principaux leaders de l'opposition,
à une élection sans grand
intérêt. Et si, en plus, le taux d'abstention
venait à être important, il y a fort à parier
que sa réélection souffrirait d'un déficit de
légitimité, dont on ne peut prédire les
conséquences sur le pays.
Ici et là, déjà, les craintes s'expriment sur
l'après-élection avec les risques de violence,
d'accroissement de l'insubordination des citoyens à
l'égard de l'Etat et de désobéissance civile,
comme on en a connus dans le passé. Le cardinal Christian
Tumi, archevêque de Douala, a fait connaître ses
inquiétudes à l'approche de cette
échéance importante: "En 1992, j'étais
parmi ceux qui n'étaient pas d'accord avec les partis
d'opposition refusant de participer aux élections
législatives de cette année-là. Peut-
être avaient-ils raison après tout. Aujourd'hui, je ne
suis pas sûr de les encourager à participer
àl'élection présidentielle du 12 octobre 1997.
On a l'impression que l'élection du prochain chef de l'Etat
risque de se faire par acclamation! J'ai peur. Mais je ne suis
pas pessimiste. Faisons tout pour éviter ce qui se passe
ailleurs. Toutes les conditions sont plus ou moins remplies pour
que le désordre civil qui règne dans la sous-
région se propage chez nous".
END