by Taye Babaleye, Nigeria, août 1997
THEME = PERSONNALITES
On se souviendra de Fela Anikulapo-Kuti pour de multiples raisons.
Durant sa vie, il fut militant, compositeur, philosophe, non-
conformiste, champion, panafricain, réformateur social,
philanthrope, dirigeant d'orchestre et traditionaliste.
Fela, décédé d'une attaque cardiaque le 2
août 1997, souffrait du SIDA. Il était né dans
une famille chrétienne le 15 octobre 1936. Son père,
Israël Ransome-Kuti, était pasteur et sa mère,
Olufunmilayo Ransome, était militante politique.
Depuis son enfance, Fela a fait preuve de la tendance à
l'indépendance qui a caractérisé toute sa
vie. A l'école, il avait fondé une association qui
souvent se liguait contre les autorités scolaires pour
transgresser les lois et règlements de l'école. Des
compagnons très proches disent que Fela faisait cela pour
dénoncer le comportement hypocrite de certains enseignants
qui arrivaient trop tard à l'école et pourtant
punissaient les élèves en retard.
Finalement, Fela fut envoyé en Angleterre pour y
étudier la médecine; mais, en
désobéissance totale à son père, il
changea de discipline et se mit à étudier la musique
classique.
Bien que dans les années suivantes Fela se fit
détester par un grand nombre d'autorités
nigérianes, on ne pouvait nier une chose: c'était un
artiste plein de talent et un grand musicologue. Il
écrivait sa propre musique, un mélange de jazz et de
highlife, et la baptisa "Afrobeat". En tant
qu'exécutant, Fela s'était spécialisé
dans le saxophone et le piano, mais il y avait peu d'instruments
dont il ne pouvait jouer avec une maîtrise
stupéfiante.
Fela revint d'Europe au début des années 1960 et
emporta d'assaut tout le monde musical du Nigeria. Avant sa mort,
il avait plus de 100 disques long-playing à son
actif.
A son arrivée au Nigeria, Fela travailla près d'un an
pour la Radio nigériane. Quand il démissionna, il
fonda son orchestre: la Fela Ransome-Kuti and his Kola
Lobitos. A l'époque, Fela chantait surtout la
nature.
Au début des années '70, après sa
tournée aux Etats-Unis, où il avait rencontré
des compagnons musiciens et des dirigeants noirs, Fela embrassa
l'idée du panafricanisme. Il rebaptisa son orchestre
"Africa 70". Après un voyage en Egypte, au
début des années '80, il renomma encore une fois son
orchestre þ Egypte 80 þ pour mettre encore plus l'accent sur
la civilisation d'Afrique noire qui a commencé dans l'Egypte
ancienne.
Au cours des années '70, les succès les plus
populaires de Fela parlaient des violations des droits de
l'homme, particulièrement par les autorités
policières du Nigeria. La critique de ces autorités
était si forte qu'il renomma sa résidence personnelle
"Kalakuta Republic". Il fit élever un mur
autour de sa propriété, garnit le haut des murs de
fil de fer barbelé, et fit garder sa
"république" par un service de
sécurité. Il menait une vie complètement non
conformiste, se promenant en shorts ultracourts et fumant du
chanvre indien en public.
Les critiques de Fela s'orientaient de plus en plus vers des
sujets spécifiques : l'hypocrisie officielle et la
trahison du potentiel nigérian.
Fela est devenu une légende pendant sa vie. Il était
riche, ayant acquis une fortune par la musique, mais il
dépensait sa fortune pour les moins favorisés de la
société. Sa résidence "Kalakuta
Republic" était une ruche pleine
d'activités. Il hébergeait des centaines de
garçons et de filles que les parents et la
société en général avaient
rejetés. Il les formait à l'art musical et finalement
ils rejoignaient son orchestre.
Le 18 janvier 1977, sa première Kalakuta Republic fut
incendiée par la police. La mère de Fela, Mme
Olufunmilayo Ransome-Kuti fut tellement brutalisée
qu'elle mourut des blessures encourues pendant l'attaque. Son plus
jeune frère, le Dr Beko Ransome-Kuti, médecin
et militant des droits de l'homme, fut battu sans pitié (il
purge actuellement une peine de prison de 15 ans, accusé
d'avoir comploté contre l'actuel gouvernement militaire du
Nigeria).
Fela a été arrêté en diverses occasions
parce qu'il était en possession de chanvre indien
(marijuana). A son retour d'une tournée en Europe, il fut
encore arrêté et mis en prison pour 15 ans parce qu'il
était en possession de devises étrangères.
C'était en 1987. Il passa 17 mois en prison avant
d'être gracié.
Fela était un vrai panafricain qui croyait fermement
à la culture et à l'héritage des Noirs et qui
mettait constamment en cause la perfidie des impérialistes
blancs. Le dernier héritage de Fela c'est la trace
durable qu'il laissera dans l'histoire socio-politique du
Nigeria. Son décès crée un vide difficile
à combler. Le monde a perdu un de ses plus grands artistes
et le Nigeria, un de ses plus grands prophètes.
END