ANB-BIA SUPPLEMENT - ISSUE/EDITION Nr 331 - 01/10/1997

ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 331 - 01/10/1997

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AFRIQUE DU SUD

1 - Le grand sport de la politique

by Ashley Green-Thompson, Afrique du Sud, septembre 1997

THEME = POLITIQUE

INTRODUCTION

Désir de Jeux olympiques..., Coupe du monde de football...
Ah! Si seulement le socio-politique pouvait se jouer sur un terrain de sport!


Il y a une école de pensée, en Afrique du Sud, qui est inquiète de la dépendance qu'affiche le pays par rapport au sport, pour maintenir sa fougue et sa bonne humeur. Par sa qualification pour la Coupe du monde de football l'année prochaine en France, l'équipe nationale de football a entraîné le pays dans un paroxysme de célébrations. Il y avait un réel soutien populaire pour l'offre rejetée d'organiser les jeux olympiques de 2004. Si, en effet, la scène socio-politique pouvait être un terrain sportif, l'Afrique du Sud constituerait un modèle de succès. Ce n'est pas le cas, hélas, et le drame de ce beau pays continue à se dérouler, parfois avec douleur, mais jamais sans passion.


1. LA POLITIQUE


Il est toujours intéressant d'étudier le paysage politique d'un pays nouvellement libéré. De nouvelles alliances et fractures politiques se développent, au fur et à mesure que la population s'adapte à une démocratie multipartite relativement normale. Au cours des derniers mois, on a connu un certain nombre de réalignements et de positionnements de partis au sein de l'Assemblée nationale.

F.W. De Klerk n'est plus...

F.W. De Klerk aurait peut- être dû suivre l'exemple de l'ancienne présidente irlandaise, Mary Robertson, et quitter la politique quand il était au sommet de sa gloire - quand il reçut le prix Nobel de la paix - en passant le pouvoir à Nelson Mandela. Peut-être aurait-il dû surmonter la crise de la perestroïka interne, et rester dans son vieux Parti national (NP) pour soutenir ses efforts de transformation, entrepris par son secrétaire général, Roelf Meyer. Il s'est retiré au moment où le NP, l'ancien parti du pouvoir, chancelait sous le poids de défections, très emblématiques et hautement médiatisées, en faveur du "New Movement Process", le nouveau mouvement créé par Roelf Meyer.

On a souvent accusé F.W. De Klerk de ne pas avoir eu le caractère et la flamme de ses prédécesseurs. En témoigne son profil médiatique, pratiquement inexistant au cours des mois qui ont précédé sa démission. Il n'a rien fait qui pourrait ressembler, même de loin, à ses exploits de 1990, lorsqu'il avait annoncé ses réformes capitales. Il quitte le parti avec la conviction que celui-ci ne se débarassera pas de son passé d'apartheid; qu'il refusera de reconnaître le rôle qu'il a joué dans la triste histoire de l'Afrique du Sud; que, au contraire, il s'opposera à la vérité, allant même jusqu'à défier en justice la Commission vérité et réconciliation; qu'il s'accrochera officieusement à sa croyance de la suprématie du Blanc, devenant, au mieux, un pouvoir régional limité au Cap occidental et, au pire, une force gaspillée sans aucune importance et sans aucun rôle au niveau de la politique nationale.

"Tu quoque... Felgate?"

La province du KwaZulu-Natal est toujours secouée par la violence politique et les rivalités entre les militants de l'ANC et ceux de l'Inkatha (IFP). Pourtant, les dirigeants des deux partis dans la province sont engagés dans des négociations continues pour un règlement politique du conflit, qui a fait 169 victimes au seul mois de juillet de cette année.

Deux éléments ont légèrement fait dévier ces négociations de leur objectif. En premier lieu, il y a l'attitude belliqueuse de l'IFP vis-à- vis de la Commission de la vérité: le parti a refusé de participer aux processus de la TRC. Et pourtant, beaucoup de ses membres - ayant fait partie des pelotons de choc, sous le gouvernement NP - introduisent des demandes d'amnistie, impliquant ainsi des dirigeants éminents du parti. En réaction, l'IFP a menacé de faire capoter les négociations de paix si la "chasse aux sorcières" continuait.

Le second coup sérieux aux négociations vient de la défection, en faveur de l'ANC, de Walter Felgate, l'un des plus importants conseillers du chef Gatsha Buthelezi, un ancien dur de l'IFP. Lors des négociations multipartites, qui ont mené à un accord national et aux élections de 1994, Felgate a été un des obstacles majeurs. Le fait que l'ANC l'ait accueilli à bras ouverts a suscité la colère non seulement de Buthelezi, mais également de nombreux sympathisants de l'ANC. Les informations que Felgate apporte avec lui doivent être importantes, puisque l'IFP s'efforce d'obtenir une intervention de la justice pour imposer le silence au transfuge. Au moment de la rédaction du présent article, les négociations ont repris, mais les espoirs de paix restent minces.

Démocratie et Congrès national africain

On a de plus en plus l'impression que l'ANC rencontre de sérieuses difficultés à pratiquer la démocratie dans ses propres rangs. Plusieurs provinces ont connu de vilaines disputes pour la direction du parti. L'éviction du très populaire Premier ministre de la province de l'Etat libre d'Orange, Terror Lekota, par le beaucoup moins populaire Ivy Matsepe-Casseburi, imposé par la direction nationale du parti, n'en est qu'un exemple.

La décision du premier du Gauteng, Tokyo Sexwale, de chercher fortune dans l'entreprise minière JCI, de l'éminent homme d'affaires Mzi Khumalo, a provoqué une âpre lutte pour le pouvoir entre le président du parti provincial, Mathole Motshekga - qui jouit d'un grand soutien populaire de la base du parti - et le ministre provincial de la santé, Amos Masondo, appuyé par le Comité exécutif national.

Dans ce dernier cas, les membres ont gagné la partie, et le choix sera fait sur la base d'une élection à la majorité simple. On peut craindre, cependant, que des blocs de pouvoir au sein de la direction nationale (et on peut supposer ici, que Thabi Mbeki en est l'intermédiaire principal) ne cherchent à contrôler les structures au niveau provincial et local. Ils devront pourtant se méfier des fougueux militants de base, qui pourraient finir par être agacés par les manoeuvres politiques de la direction.

Ces tensions pourraient se raviver dans la lutte pour la succession de Thabo Mbeki. Il est certain qu'il remplacera Nelson Mandela en décembre 1997, au Congrès national de l'ANC, comme président du parti; mais la course pour la vice-présidence est loin d'être gagnée. Quel que soit le vice-président du parti, il deviendra de facto le vice-président du pays, après les élections de 1999. Matthews Phosa, le chef du département juridique de l'ANC, semble être tombé en disgrâce dans sa course au pouvoir. Pendant que son étoile pâlit, on chuchote que Winnie Madikizela-Mandela joue le grand jeu pour obtenir le poste suprême. Elle peut compter sur un appui considérable de la part des militants de base, et elle est un des dinosaures par excellence. Elle pourrait actuellement être appelée à témoigner devant la Commission de la vérité, mais cela ne risque guère de freiner la mouvance qui la soutient aveuglément.


Le Roelf & Bantou show

Il serait difficile de trouver deux alliés plus dissemblables. Depuis la coalition de Buthelezi et de l'IFP avec Ferdi Hartzenberg et l'aile droite du parti conservateur, on n'avait pas vu pareil mariage de raison au niveau de la politique locale. Roelf Meyer est un "verligte", un ministre de la Défense "éclairé" de l'ancien Parti national; et Bantou Holomisa (*), un ex-dictateur du Transkei, devenu le chéri de l'élément radical jeune, au sein de la forteresse ANC, dans la province du Cap occidental.

Personne ne contestera que tous deux disposent d'un certain soutien politique, même si l'ANC dit le contraire. Plus douteux est leur programme politique. Et pourtant, avec leur "New Movement Process", ils ont su s'imposer à l'imagination des observateurs comme le seul mouvement politique vraiment nouveau depuis 1994. Reste à voir combien de suffrages ils sauront engranger en 1999...

Si, toutefois, ils cherchent à présenter une alternative sérieuse, ils devront être plus circonspects quant au genre de personnes qu'ils inviteront à se joindre à eux; et ils devront se fixer quelques critères et principes. Lucas Mangope, l'ancien despote du bantoustan du Bophutatswana, et Sifiso Nkabinde, l'espion de l'ancien gouvernement, ne sont guère les personnages qu'il faut pour une vraie politique, et il faudrait s'en défaire au plus vite. Les observateurs surveilleront avec intérêt le lancement de ce nouveau parti à la fin du mois de septembre.


2. L'ECONOMIE


Des problèmes au paradis?

La Fédération des syndicats sud-africains (COSATU, Congress of South African Trade Union), le Parti communiste sud- africain (SACP) et l'ANC continuent à former une alliance officielle tripartite, et ils ne se sépareront pas avant les élections de 1999. Cela reste vrai en dépit du fait que l'ANC, le parti au pouvoir, a été forcé, par les réalités et les pressions internationales, à adopter une politique qui révèle l'influence de la Banque mondiale et du FMI.

C'est évident dans le plan macro-économique du gouvernement appelé "Croissance, emploi et redistribution" (GEAR). La clé de ce plan est la primauté donnée au secteur privé et au marché générateur de croissance dont devraient, en fin de parcours, bénéficier petit à petit les pauvres de la société. Le GEAR exige une réduction des dépenses du gouvernement et, plus particulièrement, une réduction à tout prix du déficit budgétaire. La COSATU, qui compte deux millions d'effectifs, est restée loyale à l'alliance tripartite et, dès lors, n'a pas critiqué le gouvernement autant qu'elle aurait dû. Par contre, elle a pointé sa formidable machine de grève sur le secteur commercial.

Le pays a essuyé une tempête de grèves, durant des semaines entières, au cours desquelles les travailleurs ont exigé des entreprises qu'elles s'accordent sur une législation réglementant les conditions fondamentales de l'emploi. Cet accord n'a guère de chance d'aboutir, étant donné qu'il soulève des questions sur le rôle de l'ANC dans la détermination de la politique économique. Le débat fait rage, en particulier au sein des syndicats, sur le rôle même de la COSATU au sein de l'alliance. On craint que les militants syndicaux ne se découragent devant les concessions faites régulièrement, aux dépens des revendications de base des travailleurs.


Marché libre ou faillite!!

Le mécontentement croissant à cause du GEAR provient également d'autres secteurs. Les chiffres-cibles cités par le ministre des Finances, Trevor Manual, apparaissent comme une duperie. La croissance a diminué; des emplois ont été perdus; les taux d'intérêt restent élevés, et la valeur du rand continue à baisser rapidement. De plus en plus d'appels pathétiques se lèvent de la société civile pour une révision de la politique économique et pour que d'autres facteurs interviennent pour déterminer l'avenir du pays.


Masakhane

Le gouvernement a également redoublé d'énergie dans sa campagne "Masakhane" (Construisons ensemble), qui fait appel aux résidents pour qu'ils payent les services et les arriérés dus aux boycottages des loyers et intérêts datant des années 80. Jusqu'à présent, on a pu constater des succès significatifs dans la modification de l'attitude du public. Il appartient maintenant aux autorités locales d'assurer les services.

La Commission vérité et réconciliation

La Commission pour la vérité et la réconciliation approche du terme de son mandat. Reste à évaluer si elle a réussi à promouvoir la réconciliation et à mettre à nu la vérité sur l'histoire du pays.

Au cours des dernières semaines, le pays a suivi avec attention la demande d'amnistie introduite par les assassins du très populaire chef du SACP, Chris Hani. Il est peu probable que la requête introduite par Clive Derby- Lewis et l'immigré polonais Januszz Walus soit recevable, suite à leur refus flagrant de dévoiler pleinement les détails du complot. Ce qui donne encore plus de frissons et qui n'a rien à voir avec les arguments juridiques en faveur d'une amnistie, c'est que Derby-Lewis a refusé de s'excuser pour le meurtre commis en déclarant, avec arrogance et hors de propos, qu'il s'agissait d'un acte de guerre pour lequel on ne pouvait lui réclamer des excuses. Poursuivant sa farce macabre, il déclara que le meurtre de Hani était une preuve de son respect pour la victime.

Au KwaZulu-Natal, les demandes d'amnistie mettent en cause d'éminentes personnalités politiques du IFP, compromises dans les activités des escadrons de choc dans la province. Là aussi, les implications sont désastreuses pour le processus de paix. Philip Powell, membre du corps législatif provincial, a carrément refusé de reconnaître la TRC. Pourtant, ce qu'attend le pays, c'est que le Parti national s'excuse pour les atteintes systématiques aux droits humains qu'il a infligées aux citoyens pendant près de quarante ans. Ce sera un clou de plus dans le cercueil du Parti national.

3. LA CRIMINALITE


La criminalité continue à préoccuper gravement la population, dont la réaction frise le ridicule. Max, un gorille du zoo, sur lequel avait tiré un criminel dément, a été élu comme ayant fait la nouvelle de l'année et est devenu le héros de milliers de personnes qui en ont marre de la criminalité.

On attend toujours les résultats de la nomination d'un grand homme d'affaires, Meyer Kahn, pour réaliser la réforme des services de police. Le juge Dullah Omar a introduit une législation plus sévère en matière de libérations sous caution.

Mais, lorsque la justice criminelle est totalement inopérante à cause du manque à la fois de ressources et d'attitudes éclairées parmi les magistrats, aucune loi, pour draconienne qu'elle soit, ne viendra faire la différence.

4. LA SCENE INTERNATIONALE


Sur la scène internationale, les diplomates sud-africains tirent les leçons de leurs erreurs. Le président Mandela s'efforce actuellement de réunir John Garang et El Beshir pour trouver une solution au Soudan. Cette fois, il y a nettement moins de fanfares et de publicité que lorsque Laurent Kabila était sur le point d'évincer Mobutu au Zaïre. Reste à voir, cependant, si on peut trouver une solution équitable au conflit.

Mandela s'efforce également de négocier un arrangement au Timor oriental. Il a la position enviée d'être, à la fois, proche du président Suharto d'Indonésie, et de partager la même tradition de résistance de Gusmao, le chef du Fretilin en prison. Ce sera encore un test crucial de la capacité du pays de mettre en pratique la politique étrangère proclamée en oeuvrant pour le respect des droits de l'homme.

5. CONCLUSION


Les cinq ans du jeu de la transition vers la démocratie trouveront leur aboutissement dans les élections nationales de 1999. Le joueur le plus populaire de 1994, l'ANC, actuellement au pouvoir, verra sa popularité diminuer d'environ 10 %, descendant à 52 %. Aucun autre joueur ne fait mieux, cependant, et des sondages précoces indiquent que tous perdront des suffrages. Les seuls à pouvoir gagner des voix sont les nouveaux venus, Roelf et Bantou. L'IFP a également une chance, le petit mais bruyant Parti démocratique, le Parti national et les autres comptant 40 % des suffrages au sein d'une coalition de l'opposition.

Pour le second mandat de cinq ans, l'électorat sera plus critique qu'en 1994. Selon les indicateurs actuels, il risque d'y avoir un grand désenchantement après le résultat des élections. Cela pourrait, cependant, ouvrir la porte à un parti radical des pauvres et de la classe ouvrière, dirigé par le parti communiste sud- africain et la COSATU, qui constituerait un sérieux défi pour l'ANC pour le second millénaire.

En définitive, la politique sud-africaine est encore bien plus passionnante que le sport et les jeux...


NOTA - * Ndlr - Bantou Holomisa arriva au pouvoir au Transkei, une place forte de l'ANC, par un coup de main, pendant l'apartheid. Il le transforma ensuite en une espèce de zone libérée de la guérilla de l'ANC et du PAC (Pan Africanist Congress).


END

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