by Sean O'Leary, Afrique du Sud, septembre 1997
THEME = JUSTICE
La Commission sud-africaine "vérité et
réconciliation" (TRC), créée pour deux
ans, approche rapidement de sa fin, prévue officiellement
pour le 15 décembre 1997. Le sous-comité pour
l'amnistie devra poursuivre ses travaux en 1998 compte tenu du
nombre de demandes qui restent à traiter.
Alors que la TRC approche de la fin de son mandat, elle a
plongé dans une série de controverses, dont la
moindre n'est pas la contestation en justice introduite par le
Parti national (NP). L'ironie veut que c'est
précisément ce parti qui avait insisté pour
qu'on amnistie les repentis, ce qui a été à
l'origine de la commission dès décembre 1993. En
fait, la constitution intérimaire n'aurait pas
été signée si la clause de l'amnistie n'y
avait pas figuré.
En résumé, le NP prétend que la commission
prend parti contre lui et exige l'éviction du vice-
président de la TRC, M. Alex Boraine, et des excuses
de Mgr. Tutu à F.W. De Klerk pour la rigueur avec
laquelle l'archevêque a attaqué
l'intéressé au cours de la seconde soumission du
parti à la TRC. Beaucoup n'y voient qu'une réaction
de dépit. Le NP n'a soutenu la commission que du bout des
lèvres. Par ses exigences absurdes, le parti semble vouloir
exploiter politiquement cette procédure pour retaper son
profil social en déclin. Les gens, eux, exigent du NP des
excuses à la nation et qu'il assume sa responsabilité
pour le rôle qu'il a joué dans les violations des
droits de l'homme dans le passé.
La sensibilité est une chose étrange. Le fait est que
les Sud-Africains perçoivent très différemment
les problèmes, les réalités et les situations.
On a pu le voir très clairement au procès de
Magnus Malan pour le massacre du KwaMakhutha, qui a fait
onze victimes, principalement des femmes et des enfants. En parlant
de cet événement, un ancien officier de la
sûreté militaire a déclaré:
"L'opération fut un succès, mais on n'a pas
tué ceux qu'il aurait fallu tuer". Plus
récemment, lors d'une audition d'amnistie, lorsqu'on demanda
à un des condamnés pour le meurtre d'Amy
Biehl, une militante américaine des droits de l'homme,
pourquoi il avait commis cet acte, il répondit que
c'était à cause du problème de la terre.
Nous n'avons pas une perception unique de notre passé. Il y
a plutôt un kaléidoscope d'opinions et de perceptions.
Si nous n'arrivons pas à nous faire une idée plus ou
moins uniforme du passé, comment pouvons-nous alors
concevoir une guérison générale. A cet
égard, une compréhension objective de ce qui s'est
réellement passé contribuerait à dissiper des
perceptions divergentes et à nous acheminer vers une
Histoire acceptable. Le rapport qui sera soumis au président
Mandela à la fin du processus de la TRC pourrait jouer ce
rôle en devenant l'histoire officielle de l'Afrique du Sud de
1960 à 1994.
Jusqu'à présent, plus de 12.000 personnes se sont
présentées pour raconter leur histoire devant la TRC.
La grande majorité d'entre elles n'ont soumis qu'une
relation écrite, alors que relativement peu ont eu
l'occasion de témoigner, en audition publique, des atteintes
aux droits de l'homme. Les témoins ont vidé leur
coeur en racontant avec douleur l'agonie de la perte d'un
être cher, la façon dont ils ont été
torturés, comment ils ont perdu tous leurs biens dans un
bombardement,... et la liste est longue. D'une certaine
manière, ces auditions ont joué un rôle
très important. Pour la toute première fois, la
douleur des victimes et des survivants a été reconnue
officiellement. Le processus a permis un certain degré de
guérison.
Cela ne suffit pas cependant. Ces gens attendent un certain
suivi. Jusqu'à ce jour, la TRC n'a convenu d'aucune
politique de restitution et de réhabilitation. Cela reste
une tragédie. Les victimes et les survivants attendent une
certaine forme de compensation pour leurs souffrances et leurs
pertes. La TRC formulera des recommandations à l'intention
du gouvernement pour indiquer certaines possibilités de
restitution et de réhabilitation. Cela risque d'être
trop peu et d'arriver trop tard. Ces personnes se sentent
abandonnées. Après l'audition, qui aura
été leur premier et leur dernier contact avec la TRC,
elles se sentent frustrées.
Les auditions d'amnistie constituent le défi majeur de la
TRC. Il faut rappeler qu'une personne, pour être
amnistiée, doit prouver
1. que son acte avait des motivations politiques;
2. que celui-ci a eu lieu au cours de la période
délimitée par le mandat de la TRC;
3. qu'elle dit toute la vérité. La TRC a
reçu près de 7.000 demandes.
Jusqu'à présent, le Comité pour l'amnistie
n'en a traité que 1.700. 67 demandes ont été
traitées en auditions publiques. 17 d'entre elles ont
été rejetées, les 50 autres ayant
été accordées. En outre, après examen
à huis clos, le sous-comité a accordé 23
amnisties et en a rejeté 1.648 autres. De toute
évidence, comme pour les auditions sur les atteintes aux
droits humains, seul un petit nombre de requêtes sont
traitées en public.
Les demandes de loin les plus remarquables sont celles de Clive
Derby-Lewis, ancien membre du Parlement du parti conservateur,
et de Janusz Walus, un immigrant polonais qui a tué
par balle le secrétaire général du parti
communiste d'Afrique du Sud, Chris Hani, le successeur
présumé et populaire de Nelson Mandela. Ce cas, plus
que nul autre, a focalisé l'attention de la nation sur les
procédures d'amnistie. Après dix jours d'auditions,
il apparut clairement que les aveux sur la conspiration autour de
l'assassinat de Hani n'étaient pas complets. Or, c'est le
premier critère pour obtenir une amnistie. De plus, le parti
conservateur n'a pas arrêté de politique en ce qui
concerne l'assassinat politique. Ces deux facteurs suffisent pour
rejeter la requête.
Pour beaucoup de Sud-Africains, les conditions de l'amnistie sont
boiteuses. A aucun moment, les deux demandeurs ne se sont repentis
de leur acte; et il n'est pas requis qu'ils le fassent. Evidemment,
on ne peut pas forcer quelqu'un à la contrition. Mais on
peut forcer une certaine restitution. Les auditions d'amnistie
offrent une occasion en or pour imposer une certaine
pénalité aux auteurs de crimes. Il est important pour
la victime de ne pas voir les assassins quitter la salle sans
aucune punition, et pour les assassins eux-mêmes de
réaliser qu'il faut payer pour un crime. Ce serait là
tenter d'introduire une certaine forme de justice individuelle,
quelque chose qui fait totalement défaut à l'heure
actuelle. Nous pourrions même avancer d'un pas et
créer une "taxe de la honte" volontaire,
une manière pour la société civile de
contribuer à l'indemnisation des victimes et des survivants
par un acte de solidarité et de réconciliation.
Toutefois, il ne peut s'agir là que de recommandations post-
TRC. Elles ne figurent pas dans les conditions actuelles
définies par la loi.
En nous approchant de la fin du mandat de la TRC, nous sommes
confrontés à des sentiments mitigés. Il est
vrai que certaines vérités ont été
mises à jour et cela est important, surtout pour les
victimes et les survivants. Une partie des horreurs de la
période de l'apartheid a été mise à nu,
et ce n'est pas beau à voir. Mais, d'autre part, il y a eu
fort peu de réconciliation. C'était peut-
être trop demander à la TRC. Il faudra l'inclure dans
une recommandation sur le chemin à prendre dans l'avenir.
L'Afrique du Sud aura besoin d'une institution qui fera progresser
le processus de la réconciliation. Autrement dit, un nouveau
défi apparaîtra dès la clôture des
travaux de la TRC.
En laissant derrière nous les épaves du passé,
nous sommes rapidement confrontés aux réalités
d'un pays qui fonce tête baissée vers un désert
moral. La période post-TRC doit aider la nation à
prendre conscience du fait qu'à l'intérieur de ses
frontières beaucoup de mal a été commis par le
passé et que cela ne doit plus jamais se reproduire. Bref,
nous devons restaurer le sens du bien et du mal dans notre pays. La
culture de l'impunité doit appartenir au passé.
L'apartheid et ses conséquences ont pratiquement
détruit les valeurs traditionnelles africaines et surtout
les valeurs religieuses qui guidaient les communautés.
Aujourd'hui notre nation n'a pas d'héritage moral commun,
pas de fondations morales communes sur lesquelles bâtir son
économie, sa société et même sa nouvelle
démocratie.
En approchant de la fin de son mandat, la TRC est idéalement
placée pour lancer une campagne pour l'introduction d'une
nouvelle ère de moralité pour le bien commun de notre
pays. Nous avons besoin d'une structure construite à partir
de la TRC et qui commencera à avancer sur le difficile
chemin de la réconciliation. Il n'existe pas de solution
magique pour la réconciliation. Il faudra du temps, mais
nous devons en reconnaître impérativement la
nécessité et faire en sorte qu'elle se
réalise. Saisissons l'occasion qui se présente de
peur d'être pris en défaut.
END