ANB-BIA SUPPLEMENT - ISSUE/EDITION Nr 331 - 01/10/1997

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ANB-BIA SUPPLEMENT - ISSUE/EDITION Nr 331 - 01/10/1997

Afrique du Sud - Un dossier ANB-BIA

2 þ La Commission vérité et réconciliation

by Sean O'Leary, Afrique du Sud, septembre 1997

THEME = JUSTICE

INTRODUCTION

Quelques vérités, peu de réconciliation, un nouveau défi

La Commission sud-africaine "vérité et réconciliation" (TRC), créée pour deux ans, approche rapidement de sa fin, prévue officiellement pour le 15 décembre 1997. Le sous-comité pour l'amnistie devra poursuivre ses travaux en 1998 compte tenu du nombre de demandes qui restent à traiter.

Alors que la TRC approche de la fin de son mandat, elle a plongé dans une série de controverses, dont la moindre n'est pas la contestation en justice introduite par le Parti national (NP). L'ironie veut que c'est précisément ce parti qui avait insisté pour qu'on amnistie les repentis, ce qui a été à l'origine de la commission dès décembre 1993. En fait, la constitution intérimaire n'aurait pas été signée si la clause de l'amnistie n'y avait pas figuré.

En résumé, le NP prétend que la commission prend parti contre lui et exige l'éviction du vice- président de la TRC, M. Alex Boraine, et des excuses de Mgr. Tutu à F.W. De Klerk pour la rigueur avec laquelle l'archevêque a attaqué l'intéressé au cours de la seconde soumission du parti à la TRC. Beaucoup n'y voient qu'une réaction de dépit. Le NP n'a soutenu la commission que du bout des lèvres. Par ses exigences absurdes, le parti semble vouloir exploiter politiquement cette procédure pour retaper son profil social en déclin. Les gens, eux, exigent du NP des excuses à la nation et qu'il assume sa responsabilité pour le rôle qu'il a joué dans les violations des droits de l'homme dans le passé.

Des sensibilités différentes


La sensibilité est une chose étrange. Le fait est que les Sud-Africains perçoivent très différemment les problèmes, les réalités et les situations. On a pu le voir très clairement au procès de Magnus Malan pour le massacre du KwaMakhutha, qui a fait onze victimes, principalement des femmes et des enfants. En parlant de cet événement, un ancien officier de la sûreté militaire a déclaré: "L'opération fut un succès, mais on n'a pas tué ceux qu'il aurait fallu tuer". Plus récemment, lors d'une audition d'amnistie, lorsqu'on demanda à un des condamnés pour le meurtre d'Amy Biehl, une militante américaine des droits de l'homme, pourquoi il avait commis cet acte, il répondit que c'était à cause du problème de la terre.

Nous n'avons pas une perception unique de notre passé. Il y a plutôt un kaléidoscope d'opinions et de perceptions. Si nous n'arrivons pas à nous faire une idée plus ou moins uniforme du passé, comment pouvons-nous alors concevoir une guérison générale. A cet égard, une compréhension objective de ce qui s'est réellement passé contribuerait à dissiper des perceptions divergentes et à nous acheminer vers une Histoire acceptable. Le rapport qui sera soumis au président Mandela à la fin du processus de la TRC pourrait jouer ce rôle en devenant l'histoire officielle de l'Afrique du Sud de 1960 à 1994.

Raconter son histoire


Jusqu'à présent, plus de 12.000 personnes se sont présentées pour raconter leur histoire devant la TRC. La grande majorité d'entre elles n'ont soumis qu'une relation écrite, alors que relativement peu ont eu l'occasion de témoigner, en audition publique, des atteintes aux droits de l'homme. Les témoins ont vidé leur coeur en racontant avec douleur l'agonie de la perte d'un être cher, la façon dont ils ont été torturés, comment ils ont perdu tous leurs biens dans un bombardement,... et la liste est longue. D'une certaine manière, ces auditions ont joué un rôle très important. Pour la toute première fois, la douleur des victimes et des survivants a été reconnue officiellement. Le processus a permis un certain degré de guérison.

Cela ne suffit pas cependant. Ces gens attendent un certain suivi. Jusqu'à ce jour, la TRC n'a convenu d'aucune politique de restitution et de réhabilitation. Cela reste une tragédie. Les victimes et les survivants attendent une certaine forme de compensation pour leurs souffrances et leurs pertes. La TRC formulera des recommandations à l'intention du gouvernement pour indiquer certaines possibilités de restitution et de réhabilitation. Cela risque d'être trop peu et d'arriver trop tard. Ces personnes se sentent abandonnées. Après l'audition, qui aura été leur premier et leur dernier contact avec la TRC, elles se sentent frustrées.

Les auditions d'amnistie


Les auditions d'amnistie constituent le défi majeur de la TRC. Il faut rappeler qu'une personne, pour être amnistiée, doit prouver

1. que son acte avait des motivations politiques;

2. que celui-ci a eu lieu au cours de la période délimitée par le mandat de la TRC;

3. qu'elle dit toute la vérité. La TRC a reçu près de 7.000 demandes.

Jusqu'à présent, le Comité pour l'amnistie n'en a traité que 1.700. 67 demandes ont été traitées en auditions publiques. 17 d'entre elles ont été rejetées, les 50 autres ayant été accordées. En outre, après examen à huis clos, le sous-comité a accordé 23 amnisties et en a rejeté 1.648 autres. De toute évidence, comme pour les auditions sur les atteintes aux droits humains, seul un petit nombre de requêtes sont traitées en public.

Les demandes de loin les plus remarquables sont celles de Clive Derby-Lewis, ancien membre du Parlement du parti conservateur, et de Janusz Walus, un immigrant polonais qui a tué par balle le secrétaire général du parti communiste d'Afrique du Sud, Chris Hani, le successeur présumé et populaire de Nelson Mandela. Ce cas, plus que nul autre, a focalisé l'attention de la nation sur les procédures d'amnistie. Après dix jours d'auditions, il apparut clairement que les aveux sur la conspiration autour de l'assassinat de Hani n'étaient pas complets. Or, c'est le premier critère pour obtenir une amnistie. De plus, le parti conservateur n'a pas arrêté de politique en ce qui concerne l'assassinat politique. Ces deux facteurs suffisent pour rejeter la requête.

Exigences en matière d'amnistie


Pour beaucoup de Sud-Africains, les conditions de l'amnistie sont boiteuses. A aucun moment, les deux demandeurs ne se sont repentis de leur acte; et il n'est pas requis qu'ils le fassent. Evidemment, on ne peut pas forcer quelqu'un à la contrition. Mais on peut forcer une certaine restitution. Les auditions d'amnistie offrent une occasion en or pour imposer une certaine pénalité aux auteurs de crimes. Il est important pour la victime de ne pas voir les assassins quitter la salle sans aucune punition, et pour les assassins eux-mêmes de réaliser qu'il faut payer pour un crime. Ce serait là tenter d'introduire une certaine forme de justice individuelle, quelque chose qui fait totalement défaut à l'heure actuelle. Nous pourrions même avancer d'un pas et créer une "taxe de la honte" volontaire, une manière pour la société civile de contribuer à l'indemnisation des victimes et des survivants par un acte de solidarité et de réconciliation. Toutefois, il ne peut s'agir là que de recommandations post- TRC. Elles ne figurent pas dans les conditions actuelles définies par la loi.

Peu de réconciliation


En nous approchant de la fin du mandat de la TRC, nous sommes confrontés à des sentiments mitigés. Il est vrai que certaines vérités ont été mises à jour et cela est important, surtout pour les victimes et les survivants. Une partie des horreurs de la période de l'apartheid a été mise à nu, et ce n'est pas beau à voir. Mais, d'autre part, il y a eu fort peu de réconciliation. C'était peut- être trop demander à la TRC. Il faudra l'inclure dans une recommandation sur le chemin à prendre dans l'avenir. L'Afrique du Sud aura besoin d'une institution qui fera progresser le processus de la réconciliation. Autrement dit, un nouveau défi apparaîtra dès la clôture des travaux de la TRC.

Restaurer le sens du bien et du mal


En laissant derrière nous les épaves du passé, nous sommes rapidement confrontés aux réalités d'un pays qui fonce tête baissée vers un désert moral. La période post-TRC doit aider la nation à prendre conscience du fait qu'à l'intérieur de ses frontières beaucoup de mal a été commis par le passé et que cela ne doit plus jamais se reproduire. Bref, nous devons restaurer le sens du bien et du mal dans notre pays. La culture de l'impunité doit appartenir au passé. L'apartheid et ses conséquences ont pratiquement détruit les valeurs traditionnelles africaines et surtout les valeurs religieuses qui guidaient les communautés. Aujourd'hui notre nation n'a pas d'héritage moral commun, pas de fondations morales communes sur lesquelles bâtir son économie, sa société et même sa nouvelle démocratie.

En approchant de la fin de son mandat, la TRC est idéalement placée pour lancer une campagne pour l'introduction d'une nouvelle ère de moralité pour le bien commun de notre pays. Nous avons besoin d'une structure construite à partir de la TRC et qui commencera à avancer sur le difficile chemin de la réconciliation. Il n'existe pas de solution magique pour la réconciliation. Il faudra du temps, mais nous devons en reconnaître impérativement la nécessité et faire en sorte qu'elle se réalise. Saisissons l'occasion qui se présente de peur d'être pris en défaut.


END

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