by J. David Mihamle, Yaoundé, Cameroun, 13 septembre 1997
THEME = ELECTIONS
Branle-bas général dans les états-majors des partis, à quelques semaines des élections présidentielles du 12 octobre 1997. Alors que le RDPC (Rassemblement démocratique du peuple camerounais), le parti du président Paul Biya, affine sa machine électorale, l'opposition sort péniblement de sa torpeur.
Pour accéder au pouvoir, des partis de l'opposition ressortent de vieilles recettes qui ont montré leurs limites dans le passé. Ces opposants envisagent ainsi de présenter un candidat unique, ce qui apparaît comme un leurre dans le contexte actuel. Il ne se passe pas une semaine sans qu'une candidature émanant des rangs de l'opposition ne soit annoncée, et à ce jour, près d'une dizaine de candidats sont déclarés.
Comme en 1992, cette multiplicité risque de disperser les voix de l'opposition. L'histoire semble se répéter. On se souvient que Paul Biya ne dut sa réélection en 1992 qu'à l'absence d'unité de l'opposition. En cumulant les voix, l'opposition obtenait pourtant 59% au total, contre 39,31 pour le président. Dans sa globalité, elle était donc mathématiquement prioritaire. Aujourd'hui comme alors, l'équation est simple: convertir une majorité de fait en majorité politique. Problème insoluble jusqu'à présent.
La mort, à 66 ans, de Victor Ayissi Mvondo, le 21 juin dernier, à l'hôpital parisien de la Pitié- Salpêtrière d'une embolie pulmonaire, a contribué à fragiliser l'opposition.
Candidat à l'élection présidentielle, ce politicien chevronné, ancien ministre de l'Intérieur de feu le président Ahmadou Ahidjo, apparaissait comme le candidat indiqué pour ressouder l'opposition. Originaire de la même région que le chef de l'Etat actuel, il jouissait, dit-on, d'une grande estime au sein de la droite française. Au palais d'Etoudi (siège de la présidence), il donnait des insomnies aux stratèges du chef de l'Etat. Pour le contrer, le pouvoir avait entrepris une série de manoeuvres d'intimidation. Son directeur de campagne, le colonel en retraite Herman Akono, fut assigné à résidence surveillée le 13 juin 1997, et une campagne de dénigrement fut orchestrée dans les journaux proches du pouvoir. Quoi qu'il en soit, cette disparition a provoqué des fissures dans la région du Centre-Sud, fief naturel du président sortant.
Zélé et opiniâtre, l'autre candidat phare était certainement Titus Edzoa. Ancien secrétaire général à la présidence de la République, il démissionna contre toute attente d'un gouvernement dont il fut la pièce maîtresse douze années durant. Toute aussi surprenante fut sa candidature à la présidence le 20 avril 1997, alors que certains le disaient médecin, ami et inconditionnel du président. La mort d'Ayissi Mvondo devait lui permettre d'accélérer les choses. Mais le pouvoir lui intenta un procès, histoire de mettre hors d'état de nuire cet empêcheur de tourner en rond. Accusé de détournement de deniers publics, de corruption et de trafic d'influence, il a été inculpé et placé sous mandat d'arrêt le 3 juillet 1997, au pénitencier de Kondengui à Yaoundé. Son jugement est attendu.
Indolente, l'opposition n'a jusqu'ici entamé aucune action susceptible de capitaliser cette opportunité. Seul le célèbre écrivain camerounais Mongo Beti, "Le pape des opposants", a eu l'idée de créer le COLICITE, Comité de libération du citoyen Edzoa. Cet effacement de l'opposition est vraisemblablement nourri par des calculs égoïstes. Tout se passe comme si chaque parti voulait tirer la couverture de son côté. Seulement, quel que soit le poids politique d'un parti, à moins d'une action concertée, la victoire de l'opposition est une utopie.
Signe des temps, même Ni John Fru Ndi, le charismatique leader du SDF (Social Democratic Front), principal parti de l'opposition avec 43 députés, ne fait plus l'unanimité auprès de ses pairs. Actuellement, son parti est en proie à des convulsions internes qui ternissent son image de marque. A l'issue des élections législatives controversées du 17 mai dernier, une frange extrémiste de ce parti prôna le boycott du Parlement. Seul le tact et la diplomatie de Fru Ndi l'en empêcha.
Sur un total de 180 députés, le RDPC en a 116: de quoi réduire l'opposition au simple rôle de figurant. Amers et pessimistes quant à une alternance viable, l'UNDP (Union nationale pour la démocratie et le progrès), le SDF et l'UDC (Union démocratique du Cameroun) - les ténors de l'opposition, avec 61 sièges - ont décidé de boycotter la présidentielle. Le pire est à craindre. Des voix de plus en plus nombreuses s'élèvent pour revendiquer la lutte armée. Un scénario à la Kabila en somme.
Pour parer à toute éventualité, rébellion armée comprise, le pouvoir a mis toutes les chances de son côté. Il est symptomatique de noter la sollicitude accordée aux soldats, que d'aucuns qualifient d'"enfants gâtés du régime". Le budget alloué cette année aux forces de sécurité s'élève à environ cent milliards de F CFA (un milliard de FF), soit à peu près le dixième du budget national. C'est de loin la plus grosse enveloppe budgétaire. Ces "attentions" ont de quoi doper le moral des troupes qui, le cas échéant, sauront être reconnaissantes à qui de droit.
En désespoir de cause, certains opposants suggèrent à demi-mot, la lutte armée. Mais, c'est mal connaître l'état d'esprit du peuple camerounais aujourd'hui. Passif, résigné, dépité, s'il souhaite le changement, il n'est plus pour autant prêt à suivre la voie de la désobéissance civile comme en 1992.
Cette année-là, les Camerounais, sous l'instigation de l'opposition, paralysèrent leur pays, par une stratégie de grève générale appelée "villes mortes". Objectif: revendiquer une conférence nationale souveraine, qui ne vint jamais. Qui plus est, certains opposants comme Frédéric Koddock (UPC) et Dakolé Daïssala (MDR) entrèrent même au gouvernement, appâtés par des postes mirobolants, et au mépris de l'esprit des "villes mortes".
Même le contexte international semble favorable au pouvoir. En approuvant, le 21 août 1997 à Washington, le Programme triennal économique du Cameroun, Bretton Woods (siège du FMI) a donné un précieux coup de pouce à Paul Biya. Ce geste est interprété par l'entourage du chef de l'Etat comme "un satisfecit de la communauté internationale pour sa bonne gestion". Dans la foulée, les rumeurs font état d'une probable augmentation salariale des fonctionnaires. Ce qui ralliera, pense- t-on, une bonne partie de l'électorat urbain (généralement acquis à l'opposition) à la cause du président sortant.
Tout compte fait, la léthargie et les maladresses de l'opposition camerounaise, alliées à la torpeur du peuple, arrangent les affaires de Paul Biya. Dans ces conditions de clair-obscur, la défaite du chef de l'Etat actuel relèverait du miracle.
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