by Djibo Alfari, Niamey, Niger, 16 août 1997
THEME = EGLISE
Les chrétiens étrangers qui font un passage plus ou moins bref en République du Niger, ont certainement constaté la quasi-inexistence d'une vie chrétienne, affichée et manifeste, comme on peut le voir dans des pays voisins comme le Bénin, le Burkina ou même le Tchad. Certes, l'observateur attentif remarquera la grande cathédrale de Niamey et le temple protestant. Il pourra voir aussi, presque cachées dans les quartiers périphériques de la capitale et des grandes villes du pays, quelques petites églises où se rassemblent quelques dizaines ou centaines de chrétiens pratiquants. Il n'y a en vérité rien d'étonnant à ce fait, si l'on sait que le Niger est un pays où la majorité de la population est musulmane à plus de 90%.
L'islam se confond tellement à la culture dans ce pays sahélien que pendant longtemps le Nigérien moyen ne pouvait s'imaginer qu'un "vrai" Nigérien, de père et de mère natifs du Niger, puisse être d'une autre religion que l'islam. Passe encore pour l'animisme ou toutes les autres pratiques syncrétiques; mais que le Nigérien d'origine se dise chrétien, voilà qui relevait d'une véritable gageure.
Le Nigérien, dans l'entendement général, ne pouvait qu'être musulman. Les historiens ont daté la pénétration de l'islam aux environs du Xe siècle, presque en même temps qu'en Algérie, disent-ils. Tout le monde est donc supposé être façonné dans ce moule, du moins le croyait-on jusqu'à une époque fort récente. Beaucoup de Nigériens se rendirent à l'évidence en constatant qu'une frange, certes minime, de la population se proclamait maintenant ouvertement chrétienne, convaincue et pratiquante.
L'Eglise catholique au Niger date de 1931, avec la création de la paroisse de Niamey par le Père François Faroud, prêtre de la Société des missions africaines (SMA). En ce temps-là, la paroisse dépendait du vicariat apostolique de Ouidah, dans le Dahomey de l'époque, aujourd'hui le Bénin. L'année 1942 a vu la création de la préfecture apostolique de Niamey qui regroupait alors des postes de mission du Dahomey et de la Haute-Volta (aujourd'hui Burkina Faso). Mgr Faroud en devint le préfet apostolique. En 1948, il y eut une nouvelle répartition de la préfecture apostolique et Mgr Constant Quillard, prêtre rédemptoriste, devint le nouveau préfet apostolique.
Avec le détachement des postes de mission de Fada N'Gourma et de Diabo (Burkina Faso), le Niger a vu la création de son premier diocèse en 1961 et le Père Hyppolite Berlier, rédemptoriste, fut le premier évêque en 1962. Après plus de vingt ans à la direction du seul diocèse du Niger, il céda sa place à son vicaire, l'actuel évêque de Niamey, Mgr Guy Romano, prêtre rédemptoriste en mission au Niger depuis 1969.
Depuis l'implantation catholique dans le pays, on n'a jamais assisté à des relations conflictuelles entre les chrétiens et leurs frères musulmans. Dieu en soit loué. La majeure partie du peuple chrétien étant composée d'expatriés béninois, togolais, burkinabè, français et européens, la convivialité en est facilitée, chacun pratiquant la foi de ses ancêtres. Le christianisme était en effet considéré comme une religion de et pour les étrangers dans le pays. Ces étrangers non musulmans pratiquaient donc en toute liberté leur culte, le nombre qu'ils constituent ne pouvant en aucun cas être un sujet de préoccupation majeure pour l'immense majorité de la population musulmane. Voilà pourquoi les Eglises catholique et protestante ont toujours pu s'intégrer en toute quiétude dans le vécu quotidien des Nigériens.
L'évangélisation sans discernement était donc évitée au profit d'une évangélisation de témoignage, celle- là même qui consiste à vivre avec les gens du pays, à partager leurs souffrances, leurs joies et leurs espérances. Il s'agissait de "partager avec les autres la même natte", sans vouloir remettre en question leurs croyances séculaires. Certes, on ne manquait pas de dire qui est le Christ pour les chrétiens, on ne pouvait taire les différences essentielles entre la foi chrétienne et la foi musulmane. Mais cela se faisait dans le calme et la tolérance, et non pas dans la crispation ou le repli sur ses propres convictions. On ne peut non plus ignorer un fait social important: l'analphabétisme dominant au sein de cette population. En effet, 80% des Nigériens ne savent ni lire ni écrire, sur une population estimée à 10 millions d'âmes.
Feu Mgr Hyppolite Berlier fut un apôtre infatigable dans le dialogue islamo-chrétien au Niger et en Afrique de l'Ouest. Certains l'ont affectueusement surnommé "l'évêque des musulmans", tant il était connu dans ce milieu, et sa porte était largement ouverte à tous ceux qui voulaient le rencontrer pour bénéficier de ses conseils paternels. Les autorités du pays ont toujours consulté l'évêque de Niamey dans les moments difficiles du pays. Aujourd'hui encore, malgré l'urgence d'une nouvelle évangélisation mondiale, son successeur, Mr Guy Romano, a maintenu cette approche pragmatique et sage de pondération et de dialogue avec toutes les confessions ouvertes à l'une ou l'autre forme de fraternité.
Suivant en cela la voie tracée par ses dirigeants, l'Eglise entière au Niger fait preuve de courage et de tolérance. Ce qui n'empêche pas les chrétiens autochtones de donner les raisons de leur espérance sans condamner ceux qui pensent autrement qu'eux, et ils sont légions. Cependant, les chrétiens de ce pays ont aussi conscience que le feu allumé ne doit point être caché sous le boisseau. Ils ont compris la nécessité de se proclamer chrétiens, disciples nigériens du Christ, et s'il le faut, urbi et orbi. Grâce à ce courage, à cette affirmation essentielle de leur identité religieuse, bien des conceptions erronées et vivaces ont pu céder la place à une vue plus relativisée du christianisme par bon nombre de musulmans.
En effet, au-delà de la parole, le témoignage des oeuvres est l'un des critères évidents qui peut amener un non-croyant à la foi, un musulman à respecter son frère chrétien. L'Eglise catholique a très tôt compris qu'elle devait d'abord aider un peuple pauvre et démuni à vivre avant de le convertir. Voilà pourquoi elle fut et est toujours active dans les oeuvres de développement.
Outre les nombreuses écoles primaires créées de longue date au Niger, elle a créé des centres de formation humaine, participé activement à la lutte contre la désertification galopante, oeuvré pour la réhabilitation des personnes handicapées, etc. On peut le constater sur le terrain. Une bonne partie des cadres ont été formés d'abord dans ses écoles. Ils en gardent le meilleur souvenir et doivent leur grande conscience professionnelle, disent-ils, aux valeurs que cette école leur a inculquées dès leur prime enfance.
Le 29 juillet 1991 s'ouvrait à Niamey la fameuse Conférence nationale souveraine du Niger. L'Eglise catholique y fut conviée au même titre que tous les musulmans du pays. Les chrétiens du Niger ont alors eu à proposer à la nation des voies et moyens pour juguler la crise sociale et économique.
Le document proposé eut un impact certain sur les participants et même sur les formations politiques, dont certains dirigeants y puisèrent une bonne partie de leur programme socio-politique. Pour la première fois, des délégués nigériens catholiques furent conviés à une telle rencontre nationale et eurent à proclamer haut et fort leur appartenance à l'Eglise du Christ.
Ce fut aussi peut-être la première fois que beaucoup de Nigériens apprirent l'existence de chrétiens originaires du pays. Plus tard, des chrétiens nigériens eurent à assumer des responsabilités politiques au sein même du gouvernement, malgré de forts courants contestataires islamiques, manifestement hostiles à toute idée de République laïque, idée que défendaient les chrétiens. La laïcité était considérée par les islamistes comme synonyme d'athéisme et de rejet de Dieu. Ils ne manquaient pas de sortir du contexte démocratique naissant, et donc nécessairement pluraliste, pour s'accrocher aux idées d'un Jules Ferry rejetant la laïcité.
Devant cette contestation, la Constitution nigérienne a cru devoir satisfaire les exigences des islamistes en remplaçant "République laïque" par "séparation de la religion et de l'Etat". Ce qui fut adopté par toutes les parties.
Aujourd'hui, les chrétiens catholiques nigériens de père et de mère sont estimés à 3.500. Une goutte d'eau dans l'océan... ou le levain promis dans la pâte... Il y a en outre 14.500 chrétiens africains et 3.000 venus d'Europe et d'Amérique du Nord. Soit un total de 21.000 catholiques baptisés.
On comprend dès lors pourquoi certains fondamentalistes islamistes dénient aux chrétiens du Niger toute représentativité au sein de certaines structures politiques nationales. Dans une lettre au président, ceux-ci ont exigé que la présidence de la République, de la Cour suprême et de l'Assemblée nationale reviennent impérativement à des musulmans. Aucune suite favorable ne leur a été accordée.
Les chrétiens du Niger ont certes conscience de leur petit nombre, aussi doivent-ils être véritablement le levain dans la pâte. Ils ont compris qu'ils doivent être plus que jamais fiers de s'assumer comme chrétiens convaincus qui ne doivent jamais rougir du Christ, même au milieu des persécutions larvées et insidieuses qu'ils sont amenés à subir au jour le jour. Leur exemple de ténacité est souvent un motif d'encouragement et même une manière d'évangéliser par le silence et la fidélité au Christ.
Il y a aujourd'hui un nombre assez important de jeunes Nigériens qui aspirent de tout leur coeur à embrasser le christianisme. Ce sont des jeunes gens quelque peu désorientés par les défis d'un monde en pleine mutation et qui rêvent de découvrir un chemin d'espérance. Le Père évêque en est conscient et est souvent à l'écoute de ces jeunes en leur proposant au besoin des voies leur permettant d'approfondir leur vocation. Un centre de vocations a été créé à cet effet il y a quelques années à Niamey.
Dans certaines contrées éloignées de la capitale, beaucoup de gens, la plupart des paysans, ont demandé à être initiés à la religion chrétienne. On les a écoutés. Mais le problème majeur rencontré par l'Eglise est le manque total de prêtres autochtones. Depuis plus de 40 ans, on ne compte aucun prêtre nigérien parmi le clergé. Les chrétiens ont cependant prié et demandé au "Maître de la Maison d'envoyer des ouvriers à sa Moisson".
Et le Maître a répondu: l'année dernière, un Nigérien a été ordonné. Cette année, durant le mois de septembre, deux Nigériens d'origine seront ordonnés par Mgr Romano. Cela constitue assurément un événement majeur. Ils sont assez nombreux encore qui étudient actuellement dans les grands séminaires de Ouagadougou. Dans quelque 10 ans, le Niger sera exaucé et comblé par la présence de prêtres nigériens.
Nous espérons un renouveau spirituel, chrétien, dans ce pays qui en a tant besoin. Nous croyons qu'il en sera ainsi, car à Dieu rien n'est impossible.
END