ANB-BIA SUPPLEMENT - ISSUE/EDITION Nr 333 - 01/11/1997

ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 333 - 01/11/1997

CONTENTS | ANB-BIA HOMEPAGE

Cameroun

La santé dans la rue

by Valentin Siméon Zinga, Cameroun, juillet 1997

THEME = SANTE

INTRODUCTION

Pas une seule rue dans la plupart des villes du pays qui n'ait ses "pharmaciens":
la vente des médicaments sur le trottoir ou la chaussée est devenue un véritable phénomène.
Combattue par l'Etat, l'activité n'en est que plus prospère.

Sur la place du marché central à Yaoundé, en contrebas et sur le flanc gauche d'un imposant bâtiment en spirale, une vingtaine d'étals exposent les médicaments que l'on retrouve habituellement en pharmacie. Les gens s'y affairent: ici, on discute d'un prix; là, on tente de déchiffrer une ordonnance médicale à laquelle on veut donner suite... Pourtant, il y a quelques mois, le gouvernement avait fait incinérer, à quelques pas de là, d'importants stocks de ces produits jugés dangereux. Ceci, suite à un arrêté ministériel conjoint, signé par les ministres de la Santé et du Développement industriel et commercial. Malheureusement, ces actes dissuasifs et spectaculaires s'avèrent n'être que des coups d'épée dans l'eau.

Qui peut payer?

Déjà peu accessibles à toutes les bourses, les médicaments ont vu leurs prix flamber à la suite de la dévaluation du franc cfa, en 1994. L'Etat n'a pas pu, par des mesures appropriées, amener les pharmaciens à pratiquer une politique de prix qui sauvegarde l'intérêt des propriétaires d'officine, tout en favorisant l'accès du plus grand nombre aux médicaments. Les pharmaciens sont au moins formels sur ce point.

Du coup, les populations se sont ruées vers ces "pharmacies du trottoir" qui présentent l'avantage de vendre à presque moitié prix, les produits exposés dans les pharmacies conventionnelles: 500 francs cfa pour une boîte de 16 comprimés de Dolliprane 500; 400 fcfa une boîte de Dafalgan; 10 fcfa le comprimé de Nivaquine..., pour ne citer que quelques-uns de ces produits divers et variés, où les antibiotiques de toutes sortes côtoient vitamines et vermifuges.

Apannage des pauvres? Que non. "Nous recevons ici les clients de toutes les couches sociales. Beaucoup de hauts fonctionnaires et même des autorités font faire leurs achats ici par personnes interposées", confie un "expert" des lieux. Ces produits, sur lesquels les pharmaciens ont depuis longtemps jeté le discrédit, suivent des trajets classiques: "Nous avons plusieurs sources d'approvisionnement. Il peut s'agir de compatriotes qui nous ramènent les médicaments d'Europe. Certains d'entre nous peuvent aussi aller dans des pays voisins, où la réglementation en la matière est plus souple", explique un vendeur. Qui n'a pas tout dit, "pour ne pas donner des ficelles à l'Etat qui (les) traque"... Mais les inscriptions qu'on trouve sur certaines boîtes et autres flacons de médicaments sont en langue anglaise: une indication qui tend à accréditer l'hypothèse de leur origine nigériane.

D'où qu'ils viennent, ces produits sont de deux types. Il y a les "génériques": fabriqués par des officines en Europe, ils sont en priorité destinés aux hôpitaux des pays pauvres. Et puis, on retrouve ceux qu'on appelle "produits pharmaceutiques", qui, comme leur appellation l'indique, meublent les étagères des pharmacies conventionnelles.

Rafles et bakchich

De plus en plus nombreux, les consommateurs ne s'embarrassent guère de ces distinctions. Au grand dam des autorités camerounaises, qui depuis quelques temps multiplient les descentes de police sur les lieux de vente. "Les policiers qu'on nous envoie ici opèrent comme s'il s'agissait de rafles. Des vendeurs de médicaments sont souvent arrêtés et leurs produits emportés, même si quelques-uns d'entre nous réussissent à sauver ce qui peut l'être...", se souvient une victime de ces opérations musclées.

Le scénario est presque toujours le même: les produits confisqués peuvent être rétrocédés à leurs propriétaires, moyennant un bakchich versé aux flics. "Ce n'est pas de la corruption", se défend un vendeur de médicaments. "Nous sommes avant tout Africains. Et chez nous, on manifeste sa joie par un geste. Vous voyez ce que je veux dire..."

Résultat: les "pharmaciens du trottoir" disent avoir connu un léger ralentissement de leurs activités. Pas suffisant toutefois pour éradiquer le phénomène. Qui ne se prive pas de paradoxe: "L'Etat estime que notre activité est illégale. Pourtant, nous payons, chacun ici, l'impôt libératoire (Ndlr - Une taxe en vigueur depuis deux ans et qui s'applique à tous ceux qui détiennent un commerce. Elle s'élève à 3.000 fcfa par trimestre) à ce même Etat. Alors, nous ne comprenons plus rien", entend-on ici et là.

De même, les vendeurs de médicaments versent-ils une somme de 100 fcfa par jour à la commune; car ils sont installés sur les trottoirs de la commune...

Il n'empêche. Des milliers de Camerounais, dont une grande proportion de diplômés (du secondaire ou de l'enseignement supérieur), tentent de résoudre à leur manière l'équation du chômage. Les courbes de ventes ont beau varier, passant de 1.000 à 10.000 fcfa de recette par jour, l'essentiel est sauf: "C'est une manière pour nous de subsister. Par cette activité, nous pouvons nourrir nos familles, payer nos loyers, etc.", convient-on.

Pourtant beaucoup appellent aujourd'hui de leurs voeux une révision de la politique de l'Etat vis-à-vis de ce secteur: "Il y a une chose que les autorités de ce pays doivent prendre en considération: si la vente des médicaments dans la rue était réglementée, nous y trouverions tous notre compte. L'activité se déroulerait en paix et s'épanouirait. En même temps, nous payerions des taxes au trésor public. Nous contribuerions ainsi à la croissance économique du pays", martelle-t-on au niveau des étals de fortune. Sans qu'aucune étude ne vienne étayer ces allégations. Est-ce quand même la voie de l'avenir?

Rien n'est moins sûr. Seule certitude, aujourd'hui même, à Bafoussam, à Bamenda, à Douala, à Yaoundé, des milliers de Camerounais se dirigent encore vers ceux qui affirment "essayer d'apaiser les souffrances des populations victimes de la crise, parce que la santé passe avant tout"...

END

CONTENTS | ANB-BIA HOMEPAGE

PeaceLink 1997 - Reproduction authorised, with usual acknowledgement