ANB-BIA SUPPLEMENT - ISSUE/EDITION Nr 333 - 01/11/1997

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ISSUE/EDITION Nr 333 - 01/11/1997

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Tchad

Le poisson pourrit par la tête

by Missé Nanando, Tchad, juillet 1997

THEME = POLITIQUE

INTRODUCTION

"J'appelle le protocole, on me dit que le protocole n'est pas encore arrivé.
J'appelle un conseiller, on me dit qu'il n'est pas encore là".
C'est en ces termes qu'Idriss Déby, président de la République du Tchad, répond aux questions
des confrères de la télévision tchadienne au sujet de sa descente surprise au cabinet civil.

Le jeudi 7 août 1997, le président de la République a fait une visite inattendue à son cabinet civil pour vérifier la ponctualité et l'assiduité de ses plus proches collaborateurs. Le constat a été on ne peut plus décevant.

A 7h 15, alors que les fonctionnaires devaient être au travail à 7h, toutes les entrées du "Palais rose" (présidence de la République) étaient encore fermées. Seules celle du directeur du cabinet civil et celle du directeur du protocole étaient ouvertes. Un seul conseiller, sur une dizaine, était à son poste. Exaspéré, le chef de l'Etat a ordonné de verrouiller toutes les portes du palais présidentiel. Quelques minutes plus tard, on a vu arriver, se pavanant dans la rue, un certain nombre de fonctionnaires de la présidence. Selon certains témoignages, d'autres se tenaient cachés derrière le mur de l'immeuble rose, attendant la levée de la mesure.

Il faut dire que cette visite éclair faisait suite à une autre, où le chef de l'Etat avait pu mesurer le désengagement du personnel travaillant à la présidence. Or, selon Idriss Déby, les conseillers sont bien rémunérés parce qu'on compte sur leur disponibilité pour aider le pays à aller de l'avant. "Où allons-nous?", s'est demandé le chef de l'Etat.

Un absentéisme révélateur

Cet exemple prouve à suffisance que le Palais rose en prend un coup sérieux avec l'absentéisme des fonctionnaires. La situation des autres ministères serait-elle semblable? Cet incident est-il révélateur de l'état d'esprit qui règne depuis un certain temps? Tout cela fait réfléchir sur l'engagement réel des Tchadiens pour sortir leur pays de la misère et du sous- développement.

Pour résoudre ce problème, le chef de l'Etat a organisé deux réunions successives avec le personnel de la présidence, où l'accent a été particulièrement mis sur l'absentéisme quasi chronique des conseillers. Au cours de ces rencontres, les échanges ont été fructueux et des voix se sont même levées pour faire des mea culpa.

Pour le président de la République, "voler l'Etat ne veut pas seulement dire puiser dans les caisses publiques, mais aussi jouer au cache-cache salarial avec son service public". Le chef de l'Etat a donc donné des consignes fermes aux chefs des départements ministériels, pour vérifier quotidiennement la régularité des agents dans leurs services respectifs. Ce contrôle permettra aux autorités de détecter les agents "budgétivores" et improductifs, et à les remplacer par d'autres, parmi les milliers de diplômés sans emploi qui attendent l'intégration dans la fonction publique.

L'acte du chef de l'Etat au cabinet civil n'est pas un phénomène isolé. En effet, le jeudi 14 mai 1997, le président est allé constater de visu le niveau de fréquentation des lieux de travail aux heures habituelles d'ouverture des bureaux au palais du gouvernement. A 8h 15, le président s'est retrouvé avec un seul ministre sur 8, un directeur général sur 8, et un petit nombre d'agents, alors qu'ils devaient être une centaine. Visiblement mécontent, Idriss Déby a déclaré: "Les syndicats prêtent une oreille complaisante à ceux qui ne font rien, mais qui vont se plaindre à la moindre réprimande". En effet, il n'y a pas longtemps, le Syndicat des agents de la fonction publique (SAGET), avait publié communiqués de presse sur communiqués de presse pour dénoncer le dégraissage de la fonction publique envisagé par l'Etat et les institutions de Bretton Woods.

Un miroir pour alouettes?

Mais, selon les observateurs du champ politique tchadien, les agissements du chef de l'Etat ne dévoilent que la partie visible de l'iceberg. Ils répondraient à d'autres préoccupations. Il faut dire que cette vigilance est venue au moment où on parle dans les coulisses de l'indolence, de la paresse et de l'oisiveté qui se manifestent au plus haut sommet de l'Etat. Idriss Déby lui-même, ayant gagné les élections présidentielles et législatives, dormirait tranquillement sur ses lauriers. On analyse aussi les sorties du chef de l'Etat comme un geste pour manipuler les bailleurs de fonds non satisfaits de la performance de l'économie du pays.

En réalité, les Tchadiens de l'intérieur savent que ces visites sont destinées à la consommation extérieure. Pour preuve, quelques jours seulement après sa visite inopinée au Palais du gouvernement, Idriss Déby a remanié le gouvernement non pas pour nettoyer les écuries d'Augias, mais pour chasser les ministres dont la tête ne lui plaît pas.

Enfin, pour beaucoup d'autres, ces gestes sont une manière de se débarrasser de son parent, Timan Erdimi, conseiller spécial à la présidence. Ce jeune géographe passe pour être un inamovible à la présidence de la République. C'est lui qui fait et défait les gouvernements qui se sont succédé au Tchad, depuis la prise du pouvoir de son oncle Idriss Déby. C'est le 11 août 1997 qu'Idriss Déby a donné un coup de balai dans le cabinet, pour échapper aux tiraillements entre les différents groupes de pression qui se développent autour de lui. Le maître à bord - pour faire partir l'incontournable Timan - serait un certain Adoum Togoï, actuellement conseiller spécial du président de la République.

En tout cas, même si Timan a réussi à dévier beaucoup de flèches sur son oncle, il est temps qu'il quitte le Palais rose. Or, un pareil coup de pied dans la fourmilière, il faut l'entourer de tous les artifices pour ne pas provoquer la colère du groupe familial. Celui-ci pourrait prétexter de l'affaire pour opérer un coup de force et remettre en cause le processus démocratique déjà bien malade.

Ces sorties imprévues cachent mal un malaise qui se développe à la présidence. Les conseillers du chef de l'Etat sont des gens qui passent la plupart de leur temps au Palais rose. On continue de s'étonner de ce que, pour quelques minutes de retard, un président de la République vienne lui-même fermer les portes et les fenêtres au nez de ses plus proches collaborateurs. De toute façon, le président a les coordonnées téléphoniques pour vérifier s'ils sont au bureau ou non. Dire qu'un conseiller doit être à 7h au travail ressemble à une volonté manifeste de rouler les gens dans la farine. Car les causes de l'absentéisme se trouvent ailleurs.

Et, ne dit-on pas que le poisson pourrit toujours par la tête?

END

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