by Justin Mendy, Sénégal, 26 septembre 1997
THEME = GUERRE CIVILE
"Dji bonkett! Dji bonkett!" (Pardon! Pardon! - en langue diola, une des principales ethnies de la Casamance). Ainsi s'est écrié le président sénégalais, Abdou Diouf, le 17 mai de l'an dernier dans le stade de la capitale régionale Ziguinchor, en inaugurant le "Festival des origines communes" des ethnies diola et sérère. Cette confession faisait espérer une étape importante, voire décisive, dans la résolution du conflit casamançais. Celui-ci, depuis 1982, a fait bien des morts et a conduit à la famine, à la fermeture d'écoles, de centres de santé et d'usines, et au déplacement de nombreuses populations.
Après que, dans le nord de la région, d'anciens rebelles se soient reconvertis dans la production avec l'assistance financière de l'Etat, le calme s'était installé au front sud, ouvrant la voie à des perspectives de négociations. Mais après des mois de tractations et de tergiversations, les rebelles décidèrent de reprendre les hostilités, embrasant toute la région, y compris la zone nord.
Une des meilleures références pour comprendre la situation, reste l'article du père Joseph Roger de Benoist, paru dans la revue française "Croissance des jeunes nations", en février 1984, et dont les termes viennent d'être confirmés par un vieil immigré malien (depuis 1939 dans la région), le "Vieux" Sady Touré Anifanao, dans le quotidien dakarois "Sud Quotidien", du 19 septembre dernier.
Directeur de l'hebdomadaire africain "Afrique nouvelle", dans les années 50, puis historien et chercheur à l'IFAN (Institut fondamental d'Afrique noire, à Dakar), de Benoist campe son étude sur le conflit casamançais sous le titre "Les Diolas de Casamance veulent être respectés".
Cette étude socio-historique révèle le caractère "guerrier" de l'ethnie, forgé dans son environnement physique, intellectuel, social et colonial. Celui-ci a fait du Diola "un homme de participation, en paix avec le monde visible qu'il maîtrise et le monde invisible auquel le relie un culte extrêmement riche et élaboré. Par contre, il se montre agressif à l'égard de celui qui menace de rompre cette harmonie et rebelle à toute autorité extérieure à son groupe".
Ce caractère du Diola explique dès lors "la résistance acharnée aux attaques (dans le passé) des voisins mandingues et balantes (deux autres ethnies de la région) et à la colonisation française". Il explique aussi "les revendications actuelles de reconnaissance et de respect d'une personnalité très particulière", c'est-à-dire l'indépendance de la région.
Selon de Benoist, durant les 20 premières années d'indépendance, "le pouvoir central a eu, à l'égard de la Casamance, une attitude contradictoire". Considérée à juste titre comme "le grenier du Sénégal, elle est restée pourtant la région la plus défavorisée sur le plan des routes, de l'équipement scolaire et sanitaire... Séparée du reste du pays par la Gambie, dont la traversée prenait des heures, elle avait l'impression d'être la Cendrillon du Sénégal".
Ceci était en contradiction avec la vision lucide du premier chef de gouvernement, M. Mamadou Dia, qui avait fait élaborer un plan spécial pour la Casamance. "Mais dès que j'ai eu le dos tourné", dit-il en évoquant sa mise à l'écart en décembre 62, "tout fut remis en cause".
De Benoist parle de "nombreuses maladresses accumulées par le pouvoir central à partir de 1963". Sady Touré Anifanao le confirme: "C'est à cause des premiers administrateurs de la région, tous du Nord, qui sont venus, au mépris des règles les plus élémentaires, brader les terres de leurs ancêtres, piétiner leur culte et insulter leur personnalité, que les Casamançais ont décidé de se séparer du reste du Sénégal... Aucun de leurs enfants n'a une place importante dans aucune des infrastructures de la ville et de la région. Tous les postes-clés sont détenus par les "Nordistes". C'est frustrant et tous les Casamançais s'en sont plaints... Pour la construction du camp des sapeurs-pompiers que l'on avait entamée à l'époque, le plus petit manoeuvre a été importé; aucun fils de la Casamance ne travaillait dans le projet. C'était la même chose partout. Là se trouvait l'explication de la sédition casamançaise".
De Benoist explique: "Conscients d'être méprisés par leurs compatriotes du Nord, les Diolas voient ces derniers "occuper" de plus en plus leur pays. Ce sont surtout les Wolofs et les Toucouleurs qui, aidés par les hauts fonctionnaires, sont accusés d'accaparer les terres, de monopoliser le commerce et la pêche et, s'enracinant sur place à la faveur de mariages, élisent maires et députés de leurs ethnies".
Et il va plus loin: "Ce sont plus largement les musulmans et plus particulièrement les mourides, membres d'une confrérie proprement sénégalaise, qui étendent de plus en plus leur influence dans une région qui fut longtemps réfractaire à l'islam. C'est enfin l'installation de complexes touristiques qui occupent des terrains et entraînent une grave dégradation morale".
Ce sentiment de frustration explique de manière pertinente le fond du comportement des "rebelles", regroupés sous la bannière du "Mouvement des forces démocratiques de Casamance" (MFDC), dont la conscience est un prêtre, authentique ressortissant de l'ethnie diola, M. l'abbé Augustin Diamacoune Senghor, qui ne cesse de dénoncer "ces agressions qui mettent en péril l'équilibre traditionnel économique, culturel et religieux de la communauté". - "Tous (les Diolas), où qu'ils se trouvent, partagent un tant soit peu l'idéal des "rebelles"", soutient Anifanao car, dit-il, "tous ont été frustrés à un certain moment du comportement du pouvoir central sur beaucoup de questions. La plus récente est sans doute la compensation, jugée peu équitable, pour ceux dont on a usurpé les terres pour causes - réelles ou fallacieuses - "d'intérêt national" ou par manipulations frauduleuses".
Tout le monde est d'accord, aujourd'hui encore plus que hier, pour dire que quinze ans de conflits armés, c'est trop.
Cette période a connu alternativement des moments d'interventions militaires et de négociations politiques et sociales, ayant même abouti à des accords de cessez- le-feu en 91, en 93 et en 96. La suite de ce dernier accord a buté sur la composition de la délégation du MFDC aux négociations bipartites, certains milieux gravitant autour du pouvoir ayant voulu exclure l'abbé Diamacoune. Or, selon Anifanao, "l'abbé Diamacoune reste l'unique interlocuteur valable dans cette crise".
C'est sur ces entrefaites que les violences ont repris en juillet dernier, embrasant tout le territoire diola. Cette reprise constitue le signe évident que, quelque part, des intérêts particuliers agissent pour que la paix s'éloigne. Cette opinion est de plus en plus répandue et accrédite l'idée que des individus, étrangers au MFDC, seraient les auteurs des exactions de tous genres (intimidations, chantages, rapines, meurtres) contre les populations civiles. Il s'y ajouterait des implications d'éléments de haut niveau, tapis dans l'ombre, aux intérêts économiques, financiers, voire politiques.
A cet effet, on rappelle volontiers les termes d'une lettre de l'abbé Diamacoune au gouverneur de la région après un attentat meurtrier en 1992. Il écrivait: "En âme et conscience, mon entourage et moi- même condamnons ce lâche attentat, absolument contraire à nos traditions et nous déclarons solennellement que le MFDC n'est nullement impliqué dans cette tragédie... Notre mouvement apportera volontiers sa modeste contribution à toute activité tendant à faire la lumière sur ce drame. Nous ne voulons pas être les premiers à violer les engagements signés". Ceci accrédite bien la thèse d'infiltration d'éléments étrangers au conflit.
Depuis le mois d'août, l'armée a engagé une riposte musclée. Car le gouvernement est formel: il ne peut être question d'une quelconque partition du Sénégal ou d'une négociation d'indépendance dans quelque région que ce soit.
Le président de la République, M. Abdou Diouf, a clairement rappelé, à la mi-septembre, que l'intégrité territoriale n'est pas négociable. Toutefois, si le pouvoir semble décidé à en finir avec la rébellion, la voie militaire n'apparaît pas comme la bonne solution aux yeux de beaucoup.
Me Babacar Niang, avocat sénégalais et ancien leader d'opposition du Parti pour la libération du peuple, campe ainsi la voie de sortie de la crise: "La crise casamançaise ne peut et ne pourra jamais être résolue par la force et la violence, mais par des discussions sérieuses, menées sans tricheries, par des personnes crédibles et avec le concours et la participation des représentants authentiques et écoutés des populations". Et selon Anifanao, aujourd'hui "si l'on pense que l'abbé Diamacoune n'a plus de prise sur le maquis, on se trompe lourdement. C'est lui le patron incontesté du MFDC".
Au mois d'août, l'abbé Diamacoune aurait donné son accord pour faire cesser les hostilités du côté des maquisards, mais à la mi-septembre il attendait encore une attitude identique de la part du gouvernement pour l'ouverture de nouvelles négociations. En attendant, des gens meurent, tant du côté des populations civiles que du côté des rebelles et des militaires.
La voie du salut pour le Sénégal est de retrouver son état d'"espace de coexistence pacifique entre populations d'origines diverses", vivant "dans la concorde, l'harmonie et le respect mutuel". Tel est le voeu exprimé par Abdou Diouf en mai de l'année dernière à Ziguinchor même. Cette voie du salut est contenue aussi dans cette formule pleine d'esprit du maire de Ziguinchor, M. Robert Sagna: "Les Casamançais sont des Sénégalais à part entière et non des Sénégalais entièrement à part"...
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