THEME = POLITIQUE
Ayant été lui-même un des héros de la
révolution démocratique et populaire (du 4
août 1983), Blaise Compaoré est aujourd'hui
président, démocratiquement élu en
décembre 1991 pour un mandat de 7 ans. En octobre 1987,
Blaise Compaoré et ses compagnons engagèrent un
processus de rectification, faisant dissoudre le Conseil national
de la révolution et proclamant la naissance du Front
populaire. Ce faisant, les hommes au pouvoir ont, selon eux,
voulu "rectifier le processus
révolutionnaire, éviter le chaos et redonner espoir
au peuple et à la patrie". Ce mouvement populaire
entend poursuivre conséquemment la révolution
d'août 1983, et s'engage à respecter les engagements
envers les autres Etats et les organisations internationales. On
appelle le "peuple militant" à la
vigilance.
A partir de là, sur le plan politique, le Burkina
connaîtra une année de feu. Aux tumultes se
succéderont des révoltes, des violences et des
interpellations. Plusieurs responsables politiques seront
assassinés, déportés.
Sur le plan social, le peuple accepte, bon gré, mal
gré, cette rectification. Il n'y a pas de grand changement
par rapport aux dérives commises par le régime
précédent, sauf qu'une révolution a
remplacé l'autre. A la place des comités de
défense de la révolution (milices), naissent des
comités révolutionnaires. Des débordements
sont constatés au sein de ces milices nouvelle version,
qui considèrent tout le monde comme un opposant, un
sankariste.
Sur le plan économique, la rectification s'attaque
à certains projets dits "trop personnifiés,
utopiques, bureaucratiques et spontanéistes".
Bref, le pays se forge un autre destin, intimement lié
à celui de son président, Blaise Compaoré,
qualifié par ses admirateurs de "militaire
révolutionnaire et pragmatique". Un personnage
complexe.
Malgré les multiples rectifications, la situation est peu
reluisante: l'économie est au rouge. Mais le peuple et ses
dirigeants ne désespèrent pas. Pour calmer les
tensions, on se préoccupe davantage des problèmes
sociaux. Divers projets sont exécutés: construction
massive de logements à la portée des bourses
moyennes; la politique de "consommons
burkinabè" n'est plus de rigueur; plus de 2.000
enseignants, licenciés pour fait de grève en 1984,
sont repris.
Mais dans les années 90, après le sommet de la
Baule, commence en Afrique le mouvement démocratique. Le
Burkina doit se conformer.
De la rectification, le Burkina doit s'acheminer vers l'Etat de
droit. Un changement de ton s'instaure. Le multipartisme
s'installe. Tous les aigris de la révolution se lancent
dans la création de partis politiques, qui poussent comme
des champignons. En 1991, on enregistre plus de 80 partis
légalement reconnus, toutes tendances confondues:
révolutionnaires, indépendants, rassembleurs,
communistes, démocrates et sociaux
démocrates...
Le président Compaoré n'est pas en reste. Il
crée l'Organisation pour la démocratie
populaire/mouvement du travail (ODP/MT), qu'il présente
comme une organisation de masse qui se veut
révolutionnaire. Mais, petit à petit, le
président pragmatique développe une approche
consensuelle, essayant d'associer tous les partis et toutes
les sensibilités à la gestion du pouvoir.
A l'instar d'autres pays, le Burkina s'engage dans le processus
de démocratisation, mais à sa manière. La
tenue d'une Conférence nationale souveraine (CNS), tant
prônée par les politiciens, est refusée:
"Cela relève d'un Etat d'exception et non d'un
Etat de droit", rétorque le président. A
la place de la CNS, est convoqué un Forum de
réconciliation nationale qui s'est buté sur les
préalables, notamment la retransmission en direct des
débats à la radiodiffusion nationale. Il sera
reporté sine die.
Tant bien que mal, on assiste à l'installation des
institutions démocratiques. La Constitution est
adoptée par référendum, le 20 juin 1991. En
décembre 1991, des élections
présidentielles sont organisées,
malheureusement boycottées par l'opposition. Le
président
Compaoré, sous la bannière de l'ODP/MT, va seul aux
urnes: il est élu, par 25% des électeurs, pour un
mandat de sept ans.
Contrairement à l'élection présidentielle,
les élections législatives organisées
en 1992 voient la participation de l'opposition. Au terme du
scrutin, des 107 députés issus de 10 partis
politiques, 78 sont du parti du président.
Après ces élections législatives, le paysage
politique burkinabè subira de profonds bouleversements.
Le nomadisme politique saisit la classe politique:
certains députés démissionnent de leur parti
pour s'associer à d'autres; des partis se scindent.
L'ODP/MT se retrouvera avec 88 députés, et il
phagocytera encore d'autres partis (une dizaine). De cette
'symbiose' naquit, en février 1996, le Congrès pour
la démocratie et le progrès (CDP), un supra-
parti.
Tous les partis ont été concernés par ce
nomadisme politique. En Afrique, la plupart du temps, on ne
milite pas pour une idée, mais pour
l'intérêt. "C'est la politique du
ventre". Dans la
démocratie "à l'africaine",
l'argent achète tout, et ceux qui ont les moyens sont
aussi au pouvoir. Ce nomadisme - lié à
l'incapacité de l'opposition de prendre ses
responsabilités - a donc installé un
régime monopartite, qui ne fait que renforcer
l'autorité du président et a
déjà balisé le terrain pour
l'élection présidentielle de 1998.
Ce grand mouvement annonce la rupture définitive
du "pays des hommes intègres" avec la
réthorique marxiste et révolutionnaire, et son
ancrage dans la social-démocratie, une politique
prônée par le CDP. Plusieurs changements auront lieu
au cours de ce revirement, entre autres la révision de la
Constitution de 1991 par l'Assemblée, et non par
référendum.
Par la révision de l'article 37, le nombre des mandats du
président devient illimité; la devise du pays est
désormais "Unité-Progrès-
Justice"; l'Assemblée des députés
du peuple devient l'Assemblée nationale; l'hymne national
est débarassé des connotations
révolutionnaires. De nouvelles institutions
démocratiques s'installent également, même
si leur efficacité laisse à désirer: le
Médiateur du Faso; le Conseil supérieur de
l'information (récusé par la presse, surtout
indépendante); la Chambre des
représentants; le Conseil économique et
social...
Un système de pouvoir local est installé à
travers la décentralisation adoptée en mars
1993. Des élections municipales sont organisées
dans 33 communes de plein exercice en février 1995. En
1996, 15 nouvelles provinces sont créées, en plus
des 30 existantes, ainsi que 14 nouvelles communes de plein
exercice. Dans ces municipalités, si l'ODP/MT (aujourd'hui
CDP) en a raflé 29 sur 33, l'opposition est quand
même présente par des conseillers dans 31 d'entre
elles. Ainsi, sur le plan politique, le chef de l'Etat tient bien
son navire.
Sur le plan social, la situation est plus ou moins calme,
malgré quelques soulèvements (grèves des
étudiants l'année dernière; grève des
syndicats de la santé, en juillet 1997) suite aux
difficultés économiques. Au Burkina, un consensus
tant soit peu social existe, parce que les gens
s'expriment. Aux différents forums organisés
chaque année, les responsables comme les exécutants
peuvent exprimer leur colère ou leurs doléances.
Chaque année aussi, il y a des assises nationales sur
l'économie qui regroupent les ministres concernés,
la société civile, les syndicats, les
opérateurs économiques. Il y a également une
conférence annuelle de l'administration publique,
où ses manquements sont passés au scanner. Il
existe une réelle volonté d'écoute, de
dialogue.
Economiquement, malgré les contraintes (climat
défavorable, enclavement, analphabétisme), le
Burkina se développe. La dévaluation, il y a un an
et demi, a été mieux digérée
qu'ailleurs. Face à la mondialisation de
l'économie, le pays essaie de mieux s'adapter aux
réalités économiques. Pour s'en sortir, les
choix politiques et économiques sont orientés vers
le pragmatisme dans les affaires aussi bien intérieures
qu'extérieures, et cela dans les rapports avec les
bailleurs de fonds et la Banque mondiale.
En mars 1991, le Burkina signe son premier programme d'ajustement
structurel (PAS), appuyé par la communauté
financière internationale, qui fait fi des
réalisations des régimes révolutionnaires.
Le constat est sans appel. De 1986 à 1990, remarque la
Banque mondiale, l'économie burkinabè a certes
connu une croissance soutenue, mais une croissance tirée
essentiellement du secteur minier et de l'administration
publique, deux secteurs largement contrôlés par
l'Etat. En outre, la Banque mondiale relève que 38
entreprises publiques assurent près de 60% de la valeur
ajoutée du secteur moderne, tandis que le solde (40%) est
produit par 150 firmes privées. Par rapport à ces
constats, les mesures n'ont rien d'exceptionnel: on passe aux
privatisations, la réforme de l'administration, la
restructuration des banques, la refonte du système
fiscal...
Ce qui est moins classique, en revanche, ce sont les
résultats obtenus. Alors que la plupart des autres pays
de la zone franc peinaient à mettre en oeuvre ces
réformes, le Burkina affichait une déconcertante
sérénité dans l'application du
programme. En un temps record, les autorités avaient non
seulement stoppé le processus de dégradation, mais
avaient amorcé un redressement sensible de
l'économie. En 1991 et en 1993, le produit
intérieur brut (PIB) a enregistré un taux de
croissance de 6,1%; l'inflation, malgré la suppression du
contrôle des prix, a été contenue dans des
limites supportables (4,3% en 1991). Autre bon résultat:
le déficit
budgétaire a été maintenu dans des limites
conformes aux objectifs du programme, 7,2% du PIB en 1991 et 6,1%
en 1992, contre 7,7% en 1990.
Deux points sombres toutefois: les médiocres
performances du commerce extérieur, et l'échec des
réformes dans le secteur bancaire. Après avoir
enregistré une amélioration en 1991 (13% du PIB
contre 13,9 en 1990), le solde du compte courant de la balance
des paiements s'est à nouveau dégradé en
1992 (13,3%) en raison notamment de la chute des exportations de
l'or et du coton.
Forts de l'expérience passée, les Burkinabè
ont accepté les sévères conditions du
deuxième PAS (1994-1996). Le gouvernement a fait preuve
d'une grande rigueur dans l'application des mesures
d'accompagnement, sans céder à la pression des
syndicats qui réclamaient des hausses de salaires pour
compenser la dévaluation. Les rémunérations
n'ont finalement été augmentées que de
10%.
En guise de récompense, le FMI concède un
prêt de facilité d'ajustement structurel
renforcé (FASR) de 13,5 milliards de francs CFA. Pour le
FMI, la réponse de l'économie en 1994 a
été globalement encourageante, en dépit de
l'attentisme manifesté par les opérateurs
économiques au lendemain de la dévaluation.
Au niveau micro-économique, les performances ne
sont pas non plus mirobolantes: le processus de privatisation
traîne en longueur: 10 entreprises seulement, sur un total
de 41, ont été vendues. Mais conscient de la
nécessité de renforcer le programme des
réformes, le gouvernement a déposé en mars
1995 un document cadre de politique économique (DCPE) pour
1995-1997, avec à la clé un deuxième
prêt FASR. Objectifs du DCPE? Consolider d'abord les acquis
des deux précédents PAS en portant la croissance
du PIB réel à 5%, et en ramenant le déficit
du compte extérieur à 12%. Plus important, ce
document qui reprend les grandes lignes de la politique de
développement du gouvernement, ambitionne de traduire dans
les faits les six engagements du septennat de Blaise
Compaoré.
A travers ses six engagements, le président
Compaoré a appelé le peuple du Burkina, le 2 juin
1994, à une mobilisation générale pour
surmonter les
énormes difficultés qui s'opposent à son
bien-être socio-économique.
Ces six engagements sont: la sauvegarde de l'environnement
et la lutte contre la désertification; l'accroissement de
la production agro-pastorale; l'organisation et l'appui du
secteur informel et de l'artisanat; le développement du
réseau des petites et moyennes entreprises et des petites
et moyennes industries (PME/PMI ); le soutien aux
activités rémunératrices des femmes;
l'élévation du niveau général des
connaissances de base et le développement du sport et des
activités
culturelles.
Blaise Compaoré vise ainsi à faire du Burkina Faso
une terre de prospérité et un creuset d'espoir et
de bien-être pour tous. Volontarisme d'Etat ou
utopie? Les six engagements font partie du document cadre de
politique économique du gouvernement burkinabè et
témoigne de sa volonté de faire en sorte que la
population participe elle-même au développement;
d'où le concept de "développement
participatif". Un des éléments qui font
partie des réussites incontestables de la politique
économique du pays.
En dépit de ces réussites, le Burkina Faso reste
toujours parmi les pays à indice de développement
faible. L'indicateur de développement humain (IDH),
élaboré cette année par le PNUD, place le
Burkina parmi les 47 pays du groupe au développement le
plus faible, soit le 172e sur 174. En effet, même si en
matière de croissance du PIB le Burkina occupe la seconde
place des pays de la région, la progression de la dette
extérieure est importante. La dépendance
externe est accentuée par le poids des importations.
Par rapport au PNB, le poids de l'aide est le plus fort des pays
de la région. L'économie est donc
particulièrement dépendante des concours
extérieurs.
Puisque "les mêmes causes produisent les
mêmes effets" et que le Burkina est un pays
pauvre, la situation sociale n'est pas rose. Une grande
frange de la population vit au jour le jour. La pauvreté
frappe plus de 80% de la population et, surtout, elle a un visage
féminin (plus de 85% des femmes vivent en dessous du seuil
de la
pauvreté). Le panier de la ménagère est
moins garni. Les produits de première
nécessité sont chers. Le chômage sévit
durement; plus de 50% des jeunes issus des universités
sont au chômage. A cause des problèmes financiers,
les sociétés et entreprises privées ferment
leurs portes, en
déversant sur le marché des centaines de
travailleurs sans avenir. Les sociétés à
privatiser ne trouvent pas de repreneurs.
Tous ces phénomènes ont pour conséquence la
dégradation du tissu social, la dépravation
des moeurs. On assiste à une nouvelle
société composée d'affairistes, de
clientélistes, de corrompus. Les détourneurs de
deniers publics restent impunis. A la faveur du chômage
grandissant dans les villes s'installe le banditisme. Les jeunes
ruraux quittent les campagnes et regagnent les villes
déjà engorgées. Même si certains
indicateurs sociaux sont optimistes, il n'en demeure pas moins
qu'ils restent faibles. L'espérance de vie est faible (47
ans); le taux de scolarisation bas (28%); le taux
d'analphabétisme élevé (80%). Le revenu par
tête est de 300 dollars. Enfin, le système de
santé est des plus précaires.
Sur le plan politique, c'est la morosité.
L'opposition fait de la figuration. Elle hiberne et se morfond
dans l'explication du manque de moyens. A défaut donc, on
assiste à une monopolisation du pouvoir par un parti
super-majoritaire. Pour remédier à cet état
de fait, seules les organisations syndicales et estudiantines
élèvent la voix.
Pays sahélien, pauvre, dirigé depuis dix ans par
un président pragmatique dont le destin lui est intimement
lié, le Burkina Faso a une longue histoire
caractérisée par une tradition syndicale
farouche et démocratique, qui n'a pas
été épargnée par les
révolutions, violences et tragédies.
Néanmoins, à bien des
égards, le pays se développe. L'Etat de droit y est
une réalité. Le Burkina amorce sa marche vers le
3e millénaire en dépit des difficultés.
END