ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 334 - 15/11/1997

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Burkina Faso

Dix ans après - Quelles mutations?

by Sarah Tanou, Burkina Faso, septembre 1997

THEME = POLITIQUE

INTRODUCTION

L'année 1997 inaugure une seconde législature au Burkina Faso,
le
"pays des hommes intègres".
Cette année coïncide avec les dix ans de l'arrivée au pouvoir du président Blaise Compaoré,
à la faveur d'un coup d'Etat dont l'issue a été la mort tragique de Thomas Sankara.
C'était le 15 octobre 1987.
Depuis lors, beaucoup d'événements se sont passés.
Quels sont aujourd'hui les grands changements qui se sont opérés?
Espoir ou déception?

Ayant été lui-même un des héros de la révolution démocratique et populaire (du 4 août 1983), Blaise Compaoré est aujourd'hui président, démocratiquement élu en décembre 1991 pour un mandat de 7 ans. En octobre 1987, Blaise Compaoré et ses compagnons engagèrent un processus de rectification, faisant dissoudre le Conseil national de la révolution et proclamant la naissance du Front populaire. Ce faisant, les hommes au pouvoir ont, selon eux, voulu "rectifier le processus révolutionnaire, éviter le chaos et redonner espoir au peuple et à la patrie". Ce mouvement populaire entend poursuivre conséquemment la révolution d'août 1983, et s'engage à respecter les engagements envers les autres Etats et les organisations internationales. On appelle le "peuple militant" à la vigilance.

A partir de là, sur le plan politique, le Burkina connaîtra une année de feu. Aux tumultes se succéderont des révoltes, des violences et des interpellations. Plusieurs responsables politiques seront assassinés, déportés.

Sur le plan social, le peuple accepte, bon gré, mal gré, cette rectification. Il n'y a pas de grand changement par rapport aux dérives commises par le régime précédent, sauf qu'une révolution a remplacé l'autre. A la place des comités de défense de la révolution (milices), naissent des comités révolutionnaires. Des débordements sont constatés au sein de ces milices nouvelle version, qui considèrent tout le monde comme un opposant, un sankariste.

Sur le plan économique, la rectification s'attaque à certains projets dits "trop personnifiés, utopiques, bureaucratiques et spontanéistes".

Bref, le pays se forge un autre destin, intimement lié à celui de son président, Blaise Compaoré, qualifié par ses admirateurs de "militaire révolutionnaire et pragmatique". Un personnage complexe.

Malgré les multiples rectifications, la situation est peu reluisante: l'économie est au rouge. Mais le peuple et ses dirigeants ne désespèrent pas. Pour calmer les tensions, on se préoccupe davantage des problèmes sociaux. Divers projets sont exécutés: construction massive de logements à la portée des bourses moyennes; la politique de "consommons burkinabè" n'est plus de rigueur; plus de 2.000 enseignants, licenciés pour fait de grève en 1984, sont repris.

Mais dans les années 90, après le sommet de la Baule, commence en Afrique le mouvement démocratique. Le Burkina doit se conformer.

L'Etat de droit

De la rectification, le Burkina doit s'acheminer vers l'Etat de droit. Un changement de ton s'instaure. Le multipartisme s'installe. Tous les aigris de la révolution se lancent dans la création de partis politiques, qui poussent comme des champignons. En 1991, on enregistre plus de 80 partis légalement reconnus, toutes tendances confondues: révolutionnaires, indépendants, rassembleurs, communistes, démocrates et sociaux démocrates...

Le président Compaoré n'est pas en reste. Il crée l'Organisation pour la démocratie populaire/mouvement du travail (ODP/MT), qu'il présente comme une organisation de masse qui se veut révolutionnaire. Mais, petit à petit, le président pragmatique développe une approche consensuelle, essayant d'associer tous les partis et toutes les sensibilités à la gestion du pouvoir.

A l'instar d'autres pays, le Burkina s'engage dans le processus de démocratisation, mais à sa manière. La tenue d'une Conférence nationale souveraine (CNS), tant prônée par les politiciens, est refusée: "Cela relève d'un Etat d'exception et non d'un Etat de droit", rétorque le président. A la place de la CNS, est convoqué un Forum de réconciliation nationale qui s'est buté sur les préalables, notamment la retransmission en direct des débats à la radiodiffusion nationale. Il sera reporté sine die.

Tant bien que mal, on assiste à l'installation des institutions démocratiques. La Constitution est adoptée par référendum, le 20 juin 1991. En décembre 1991, des élections présidentielles sont organisées, malheureusement boycottées par l'opposition. Le président Compaoré, sous la bannière de l'ODP/MT, va seul aux urnes: il est élu, par 25% des électeurs, pour un mandat de sept ans.

Contrairement à l'élection présidentielle, les élections législatives organisées en 1992 voient la participation de l'opposition. Au terme du scrutin, des 107 députés issus de 10 partis politiques, 78 sont du parti du président.

Après ces élections législatives, le paysage politique burkinabè subira de profonds bouleversements. Le nomadisme politique saisit la classe politique: certains députés démissionnent de leur parti pour s'associer à d'autres; des partis se scindent. L'ODP/MT se retrouvera avec 88 députés, et il phagocytera encore d'autres partis (une dizaine). De cette 'symbiose' naquit, en février 1996, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), un supra- parti.

Tous les partis ont été concernés par ce nomadisme politique. En Afrique, la plupart du temps, on ne milite pas pour une idée, mais pour l'intérêt. "C'est la politique du ventre". Dans la démocratie "à l'africaine", l'argent achète tout, et ceux qui ont les moyens sont aussi au pouvoir. Ce nomadisme - lié à l'incapacité de l'opposition de prendre ses responsabilités - a donc installé un régime monopartite, qui ne fait que renforcer l'autorité du président et a déjà balisé le terrain pour l'élection présidentielle de 1998.

Ce grand mouvement annonce la rupture définitive du "pays des hommes intègres" avec la réthorique marxiste et révolutionnaire, et son ancrage dans la social-démocratie, une politique prônée par le CDP. Plusieurs changements auront lieu au cours de ce revirement, entre autres la révision de la Constitution de 1991 par l'Assemblée, et non par référendum.

Par la révision de l'article 37, le nombre des mandats du président devient illimité; la devise du pays est désormais "Unité-Progrès- Justice"; l'Assemblée des députés du peuple devient l'Assemblée nationale; l'hymne national est débarassé des connotations révolutionnaires. De nouvelles institutions démocratiques s'installent également, même si leur efficacité laisse à désirer: le Médiateur du Faso; le Conseil supérieur de l'information (récusé par la presse, surtout indépendante); la Chambre des représentants; le Conseil économique et social...

Un système de pouvoir local est installé à travers la décentralisation adoptée en mars 1993. Des élections municipales sont organisées dans 33 communes de plein exercice en février 1995. En 1996, 15 nouvelles provinces sont créées, en plus des 30 existantes, ainsi que 14 nouvelles communes de plein exercice. Dans ces municipalités, si l'ODP/MT (aujourd'hui CDP) en a raflé 29 sur 33, l'opposition est quand même présente par des conseillers dans 31 d'entre elles. Ainsi, sur le plan politique, le chef de l'Etat tient bien son navire.

Sur le plan social, la situation est plus ou moins calme, malgré quelques soulèvements (grèves des étudiants l'année dernière; grève des syndicats de la santé, en juillet 1997) suite aux difficultés économiques. Au Burkina, un consensus tant soit peu social existe, parce que les gens s'expriment. Aux différents forums organisés chaque année, les responsables comme les exécutants peuvent exprimer leur colère ou leurs doléances. Chaque année aussi, il y a des assises nationales sur l'économie qui regroupent les ministres concernés, la société civile, les syndicats, les opérateurs économiques. Il y a également une conférence annuelle de l'administration publique, où ses manquements sont passés au scanner. Il existe une réelle volonté d'écoute, de dialogue.

Economiquement, malgré les contraintes (climat défavorable, enclavement, analphabétisme), le Burkina se développe. La dévaluation, il y a un an et demi, a été mieux digérée qu'ailleurs. Face à la mondialisation de l'économie, le pays essaie de mieux s'adapter aux réalités économiques. Pour s'en sortir, les choix politiques et économiques sont orientés vers le pragmatisme dans les affaires aussi bien intérieures qu'extérieures, et cela dans les rapports avec les bailleurs de fonds et la Banque mondiale.

Une longue marche

Ajustement interne, ajustement externe, le Burkina Faso vit depuis dix ans en se serrant la ceinture. En effet, dans les années 90, soumis à un isolement économique et politique quasi complet, le Burkina a été contraint à s'engager dans une libéralisation politique, et à l'abandon de sa ligne révolutionnaire pure et dure sur le chemin des réformes économiques. Dès 1990, des réflexions sur la situation économique du pays aboutissent à la tenue d'Assises nationales sur l'économie. Un an plus tard, le président Compaoré, pragmatique, fait son mea culpa.

En mars 1991, le Burkina signe son premier programme d'ajustement structurel (PAS), appuyé par la communauté financière internationale, qui fait fi des réalisations des régimes révolutionnaires. Le constat est sans appel. De 1986 à 1990, remarque la Banque mondiale, l'économie burkinabè a certes connu une croissance soutenue, mais une croissance tirée essentiellement du secteur minier et de l'administration publique, deux secteurs largement contrôlés par l'Etat. En outre, la Banque mondiale relève que 38 entreprises publiques assurent près de 60% de la valeur ajoutée du secteur moderne, tandis que le solde (40%) est produit par 150 firmes privées. Par rapport à ces constats, les mesures n'ont rien d'exceptionnel: on passe aux privatisations, la réforme de l'administration, la restructuration des banques, la refonte du système fiscal...

Ce qui est moins classique, en revanche, ce sont les résultats obtenus. Alors que la plupart des autres pays de la zone franc peinaient à mettre en oeuvre ces réformes, le Burkina affichait une déconcertante sérénité dans l'application du programme. En un temps record, les autorités avaient non seulement stoppé le processus de dégradation, mais avaient amorcé un redressement sensible de l'économie. En 1991 et en 1993, le produit intérieur brut (PIB) a enregistré un taux de croissance de 6,1%; l'inflation, malgré la suppression du contrôle des prix, a été contenue dans des limites supportables (4,3% en 1991). Autre bon résultat: le déficit budgétaire a été maintenu dans des limites conformes aux objectifs du programme, 7,2% du PIB en 1991 et 6,1% en 1992, contre 7,7% en 1990.

Deux points sombres toutefois: les médiocres performances du commerce extérieur, et l'échec des réformes dans le secteur bancaire. Après avoir enregistré une amélioration en 1991 (13% du PIB contre 13,9 en 1990), le solde du compte courant de la balance des paiements s'est à nouveau dégradé en 1992 (13,3%) en raison notamment de la chute des exportations de l'or et du coton.

Forts de l'expérience passée, les Burkinabè ont accepté les sévères conditions du deuxième PAS (1994-1996). Le gouvernement a fait preuve d'une grande rigueur dans l'application des mesures d'accompagnement, sans céder à la pression des syndicats qui réclamaient des hausses de salaires pour compenser la dévaluation. Les rémunérations n'ont finalement été augmentées que de 10%.

En guise de récompense, le FMI concède un prêt de facilité d'ajustement structurel renforcé (FASR) de 13,5 milliards de francs CFA. Pour le FMI, la réponse de l'économie en 1994 a été globalement encourageante, en dépit de l'attentisme manifesté par les opérateurs économiques au lendemain de la dévaluation.

Au niveau micro-économique, les performances ne sont pas non plus mirobolantes: le processus de privatisation traîne en longueur: 10 entreprises seulement, sur un total de 41, ont été vendues. Mais conscient de la nécessité de renforcer le programme des réformes, le gouvernement a déposé en mars 1995 un document cadre de politique économique (DCPE) pour 1995-1997, avec à la clé un deuxième prêt FASR. Objectifs du DCPE? Consolider d'abord les acquis des deux précédents PAS en portant la croissance du PIB réel à 5%, et en ramenant le déficit du compte extérieur à 12%. Plus important, ce document qui reprend les grandes lignes de la politique de développement du gouvernement, ambitionne de traduire dans les faits les six engagements du septennat de Blaise Compaoré.

Les six engagements, un espoir

A travers ses six engagements, le président Compaoré a appelé le peuple du Burkina, le 2 juin 1994, à une mobilisation générale pour surmonter les énormes difficultés qui s'opposent à son bien-être socio-économique.

Ces six engagements sont: la sauvegarde de l'environnement et la lutte contre la désertification; l'accroissement de la production agro-pastorale; l'organisation et l'appui du secteur informel et de l'artisanat; le développement du réseau des petites et moyennes entreprises et des petites et moyennes industries (PME/PMI ); le soutien aux activités rémunératrices des femmes; l'élévation du niveau général des connaissances de base et le développement du sport et des activités culturelles.

Blaise Compaoré vise ainsi à faire du Burkina Faso une terre de prospérité et un creuset d'espoir et de bien-être pour tous. Volontarisme d'Etat ou utopie? Les six engagements font partie du document cadre de politique économique du gouvernement burkinabè et témoigne de sa volonté de faire en sorte que la population participe elle-même au développement; d'où le concept de "développement participatif". Un des éléments qui font partie des réussites incontestables de la politique économique du pays.

L'arbre ne doit pas cacher la forêt

En dépit de ces réussites, le Burkina Faso reste toujours parmi les pays à indice de développement faible. L'indicateur de développement humain (IDH), élaboré cette année par le PNUD, place le Burkina parmi les 47 pays du groupe au développement le plus faible, soit le 172e sur 174. En effet, même si en matière de croissance du PIB le Burkina occupe la seconde place des pays de la région, la progression de la dette extérieure est importante. La dépendance externe est accentuée par le poids des importations. Par rapport au PNB, le poids de l'aide est le plus fort des pays de la région. L'économie est donc particulièrement dépendante des concours extérieurs.

Puisque "les mêmes causes produisent les mêmes effets" et que le Burkina est un pays pauvre, la situation sociale n'est pas rose. Une grande frange de la population vit au jour le jour. La pauvreté frappe plus de 80% de la population et, surtout, elle a un visage féminin (plus de 85% des femmes vivent en dessous du seuil de la pauvreté). Le panier de la ménagère est moins garni. Les produits de première nécessité sont chers. Le chômage sévit durement; plus de 50% des jeunes issus des universités sont au chômage. A cause des problèmes financiers, les sociétés et entreprises privées ferment leurs portes, en déversant sur le marché des centaines de travailleurs sans avenir. Les sociétés à privatiser ne trouvent pas de repreneurs.

Tous ces phénomènes ont pour conséquence la dégradation du tissu social, la dépravation des moeurs. On assiste à une nouvelle société composée d'affairistes, de clientélistes, de corrompus. Les détourneurs de deniers publics restent impunis. A la faveur du chômage grandissant dans les villes s'installe le banditisme. Les jeunes ruraux quittent les campagnes et regagnent les villes déjà engorgées. Même si certains indicateurs sociaux sont optimistes, il n'en demeure pas moins qu'ils restent faibles. L'espérance de vie est faible (47 ans); le taux de scolarisation bas (28%); le taux d'analphabétisme élevé (80%). Le revenu par tête est de 300 dollars. Enfin, le système de santé est des plus précaires.

Sur le plan politique, c'est la morosité. L'opposition fait de la figuration. Elle hiberne et se morfond dans l'explication du manque de moyens. A défaut donc, on assiste à une monopolisation du pouvoir par un parti super-majoritaire. Pour remédier à cet état de fait, seules les organisations syndicales et estudiantines élèvent la voix.

Pays sahélien, pauvre, dirigé depuis dix ans par un président pragmatique dont le destin lui est intimement lié, le Burkina Faso a une longue histoire caractérisée par une tradition syndicale farouche et démocratique, qui n'a pas été épargnée par les révolutions, violences et tragédies. Néanmoins, à bien des égards, le pays se développe. L'Etat de droit y est une réalité. Le Burkina amorce sa marche vers le 3e millénaire en dépit des difficultés.

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