ANB-BIA SUPPLEMENT - ISSUE/EDITION Nr 334 - 15/11/1997

ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 334 - 15/11/1997

CONTENTS | ANB-BIA HOMEPAGE


BURUNDI

En l'absence de tout dialogue, c'est la guerre

by Albert Mbonerane, Allemagne, octobre 1997

THEME = GUERRE CIVILE

INTRODUCTION

Dialogue ou pas de dialogue?
Pour Nyerere et les évêques burundais,
il n'y a pas d'alternative au dialogue.
Mais pour d'autres, toute ouverture avec les "génocidaires"
est une "haute trahison".

Dans une conférence de presse du 13 mai 1997, le major Buyoya révélait que le gouvernement en place était en pourparlers de paix avec le CNDD à Rome, et qu'un procès-verbal les sanctionnant avait été paraphé le 10 mars 1997, sous les auspices de la communauté de San Egidio à Rome. Ce message fut différemment accueilli.

Le Frodébu s'est réjoui de ce pas franchi, mais a demandé que les négociations soient une affaire de toutes les parties du conflit, et non une affaire entre l'armée et le CNDD, et qu'elles se mènent dans un pays proche du Burundi.

Le président de l'Assemblée nationale félicite le gouvernement en place et le CNDD, même s'il estime que les négociations doivent être une affaire de tout le monde, y compris de l'Assemblée nationale.

Le Raddes (un petit parti extrémiste tutsi) estime que c'est une bonne chose, même si après il répète qu'il ne négociera pas avec les "génocidaires".

Pour le président de l'Uprona, Charles Mukasi, il s'agit d'une "haute trahison". Il n'est pas question de négocier avec ceux qu'il appelle "les génocidaires". Mais le groupe parlementaire Uprona désapprouve "la précipitation avec laquelle le président du parti Uprona a agi sans même consulter les organes habilités" et "se désolidarise totalement de l'accusation de haute trahison portée intempestivement contre les plus hauts responsables du pays".

La Conférence des évêques catholiques du Burundi a lancé un appel pressant aux responsables politiques d'engager des négociations entre tous ceux qui ont des revendications, et a rappelé que seul le dialogue peut garantir le retour rapide à la paix.

L'Uprona menacé d'éclatement

La question des négociations divise donc l'Uprona en deux tendances, l'une engagée derrière le major Buyoya, et l'autre pour qui "les accords de Rome sont une trahison à la nation burundaise et à la mémoire des victimes du génocide, convaincue que le partenariat avec des organisations génocidaires n'a jamais été source de paix". Le comité central de l'Uprona, lui, a finalement donné raison à son président.

Se sentant soutenu, M. Mukasi a tenu une conférence de presse le 28 mai, au cours de laquelle il a étalé toutes les divergences qui l'opposent au major Buyoya. Rejetant tous les arguments avancés par celui-ci pour justifier l'opportunité de négocier, le président de l'Uprona souligne que "le seul service que Buyoya peut rendre aux Burundais n'est pas d'aller s'isoler avec les génocidaires du CNDD; c'est plutôt de nous organiser pour mener un combat sans merci sur le plan politique, diplomatique et médiatique contre le CNDD".

Il serait intéressant de connaître les militants de l'Uprona qui sont derrière Mukasi, et ceux qui adhèrent à la politique du major Buyoya. Est-ce possible que celui-ci ait décidé de négocier avec le CNDD, sans qu'il en ait discuté au préalable avec les états-majors de son parti? Difficile à croire, quand on sait que les trois quarts de ses ministres sont des militants de l'Uprona.

Université et syndicats opposés aux négociations

Cette cacophonie au sein de l'Uprona fut suivie par un mouvement de manifestation des étudiants de l'université de Bujumbura, protestant contre les négociations. Le 21 mai 1997, ce fut le tour des étudiants de l'Institut des sciences agricoles de Gitega. (Les organisateurs sont des étudiants qui ont participé à la tuerie des 27 étudiants hutu finalistes en 1996.)

Le même jour, 23 syndicats burundais d'obédience tutsi protestaient contre les discussions engagées à Rome par le gouvernement en place et le CNDD. Dans une déclaration rendue publique à Bujumbura le 17 mai 1997, ces syndicats mettaient en garde le gouvernement: "Ils (les syndicats) seront amenés à identifier, en concertation avec leurs bases respectives, les stratégies susceptibles de contrer la dérive d'une négociation avec les génocidaires de tout acabit".

La position de l'Association des professeurs de l'université du Burundi n'est pas différente. "S'agissant du fond, l'Association laisse à la postérité le soin d'apprécier l'acte de ce gouvernement qui est entré en intelligence avec l'ennemi qui tue les enfants, les élèves, les femmes et les vieillards du Burundi. L'Association constate que c'est la première fois qu'un gouvernement négocie avec des criminels coupables de génocide en arguant que c'est la seule voie pour ramener la paix".

Il n'est pas du tout surprenant que les étudiants protestent contre les négociations. Certains d'entre eux ont tué ou fait massacrer d'autres étudiants les 11 et 12 juin 1995, dans les campus, sous l'oeil complaisant des forces de l'ordre. En plus de ces étudiants, des professeurs hutu ont été soit tués (Stanislas Ruzenza), soit contraints à l'exil sur instigation de certains colgrave;gues.

L'administration de l'université ne s'est jamais préoccupée de ces cas de barbarie, encore moins de la justice. Au moment des négociations, ces crimes (assassinats, purification ethnique...) risquent d'être évoqués. Et cela fait peur à ces professeurs et étudiants. Pour les victimes de ces actes criminels, ils ne sont pas moins génocidaires que ceux qu'ils accusent.

L'impasse

Le gouvernement de Buyoya essaie d'expliquer aux Burundais l'opportunité de négocier la paix. La tâche s'annonce difficile, car il rencontre une résistance farouche de la part des extrémistes tutsi. Pourra-t-il convaincre les militaires de mettre fin à la guerre ou s'agit-il d'une simple manoeuvre de diversion?

Quoi qu'il en soit, son équipe n'a qu'un choix: assumer les négociations et convaincre de leur nécessité ceux qui s'y opposent, comme les caciques de l'Uprona, les professeurs de l'université, les étudiants et les syndicats tutsi.

Qui sont ces Burundais qui s'opposent au principe même des négociations? Ils sont de plusieurs ordres:
- des politiciens burundais qui ont géré le Burundi d'une manière exclusionniste, qui a abouti aux massacres d'une ethnie en 1965, 1969, 1972-73, etc. et qui ont peur d'en répondre un jour;
- des autorités militaires et civiles impliquées dans l'assassinat du président Ndadaye et dans les massacres de Burundais depuis 1993;
- des Burundais qui ont conçu et organisé la purification ethnique dans les centres urbains et dans les institutions scolaires;
- des politiciens et hommes d'affaires burundais qui profitent de l'état de guerre pour s'enrichir;

- des politiciens qui ont conçu les camps de regroupement comme moyen d'extermination des Hutu;
- une minorité de politiciens hutu qui ont collaboré avec les régimes dictatoriaux;

- des politiciens tutsi et hutu qui vivent paisiblement à Bujumbura, et qui se moquent éperdument des mauvaises conditions dans lesquelles vivent les déplacés, les dispersés et les regroupés. La guerre ne les touche pas encore. Ils vivent dans des villas. Leurs enfants mangent à leur faim, et vont tous les jours à l'école. Et pourtant, ce sont ceux-là qui parlent de la protection des minorités, et qui en même temps s'opposent aux pourparlers de paix.

Leur stratégie consiste à culpabiliser et à projeter leurs crimes sur les autres, en brandissant le mot de génocide, fortement capitalisé depuis la tragédie du Rwanda. En regardant froidement l'histoire du Burundi, on découvre que les bourreaux se présentent comme victimes et présentent les victimes comme des "criminels".

Ceci résulte du fait que c'est le pouvoir qui oriente la lecture de l'histoire. Un militaire qui fait un coup d'Etat, et qui échoue, est condamné par la cour martiale comme un rebelle; celui qui le réussit est salué comme un héros, un libérateur. L'ironie du sort veut que le pouvoir issu du putsch du 25 juillet 1996, juge les putchistes du 21 octobre 1993. Mais les Burundais savent qu'il n'y a pas de différence entre les deux; raison pour laquelle leur procès n'avance pas.

Et comme ces groupes restent encore militairement et financièrement forts, ils pèsent dans la balance. La conséquence directe en est le ralentissement du processus.

Le refus d'Arusha

Mukasi a dit "Je n'irai pas à Arusha"; et c'est Buyoya qui n'est pas parti. Devant cette farouche opposition aux négociations manifestée dans son clan politique et ethnique, le major Buyoya se trouve entre deux chaises. A Bujumbura, on raconte que Mukasi dit tout haut ce que le major murmure tout bas. Il ne veut pas de négociations.

Les négociations prévues en mai 1997 à Rome n'ont toujours pas commencé. Pour ne pas se sentir obligé de retourner à Rome, et éviter en même temps Arusha, Buyoya a entraîné l'Unesco dans la danse. La rencontre organisée par l'Unesco en juillet 1997 n'a pas eu lieu, car la Suisse, pays qui se veut respectueux des droits de l'homme, a refusé des visas d'entrée à certains membres de la délégation gouvernementale, présumés impliqués dans l'assassinat du président Ndadaye.

Face à ce piétinement et à l'intensification de la guerre, le médiateur Nyerere s'est résolu à relancer les pourparlers d'Arusha. Après de multiples consul-tations, le gouvernement en place accepta de se rendre à Arusha, et le rendez-vous fut fixé au 25 août 1997. Toutes les parties en conflit y furent invitées, y compris la SOJEDEM (Solidarité jeunesse pour la défense des droits des minorités þ association extrémiste tutsi), le PALIPEHUTU et le FROLINA (Front pour la libération nationale þ parti extrémiste hutu), qui participaient pour la première fois à de tels pourparlers.

Ce rendez-vous fut précédé, le 16 août à Kampala, par un sommet des ministres des affaires étrangères des pays ayant imposé l'embargo au Burundi. Malgré la diplomatie offensive de Bujumbura, le sommet conclut au maintien des sanctions. Grande fut la déception du ministre burundais des relations extérieures qui avait vendu la peau de l'ours, en misant sur la levée totale de l'embargo. Malgré ce camouflet, le gouvernement de Bujumbura confirma sa participation aux pourparlers d'Arusha.

A la grande surprise de tout le monde, le même gouvernement fit volte face et, le 23 août, il déclara son incapacité de se rendre à Arusha et empêcha les autres délégations de sortir du pays.

Boudant le Conseil de sécurité des Nations unies qui avait rejeté sa requête de créer un Tribunal pénal international, le gouvernement Buyoya fit exécuter, le 31 juillet 1997, 6 condamnés sans défense, espérant choquer l'opposition par ce crime, pour qu'elle renonce aux négociations. Il fut dépité, car l'opposition accepta de se rendre à Arusha.

Un faux prétexte

Manquant d'arguments, le gouvernement déplace alors le conflit burundais, en fait un conflit entre Etats, et accuse le médiateur Nyerere de partialité. Il exige que les pourparlers aient lieu dans un pays autre que la Tanzanie, et que le médiateur soit entouré d'autres médiateurs.

En plus de ces exigences, le gouvernement en place trouve que c'est urgent de faire une médiation entre la Tanzanie et le Burundi. Histoire de distraire l'opinion internationale et de gagner du temps. Le major Buyoya a fait un pari. Lors du coup d'Etat, il s'est donné une période de 3 ans, et il demande qu'on ne le bouscule pas. Et puis il sait qu'en juin 1998, le Frodebu n'aura plus de légitimité à revendiquer, même s'il n'a pas réellement gouverné. Il doit donc employer la ruse.

Toute personne, d'où qu'elle vienne, devant intervenir dans la crise burundaise, devra à un certain moment admettre que le Frodebu a gagné les élections en juin 1993, que les militaires ont décapité les institutions issues des élections, constater que l'armée et la justice ont besoin d'être restructurées, et qu'il faut un système politique qui offre les mêmes chances et garantit les mêmes droits à tous les Burundais.

Le major Buyoya a rallié la position des partisans de la guerre finale, qui sont opposés aux négociations. Il se trouve dans une situation embarrassante. Face à l'Occident qui le trouve "démocrate", il est obligé de dire qu'il va négocier, en passant par un pseudo-débat national, tout en sachant que ceux qui lui ont demandé d'assumer la responsabilité du coup d'Etat ne lui permettront pas de négocier, même s'il le voulait. C'est dans ce cadre de mensonge qu'il a créé, juste à la veille des pourparlers, un ministère chargé de la paix.

Peut-on penser que l'Unesco, qui semble avoir le soutien de Bujumbura, pourra jouer une médiation porteuse d'espoir? On ne doit pas se faire d'illusions. La rencontre de Paris organisée les 27 et 28 septembre dernier n'a pas permis d'avancer. Les Burundais devraient se rappeler de l'adage kirundi qui dit que "plusieurs chasseurs déroutent les chiens et les détournent de leur proie". Aujourd'hui, le gouvernement de Bujumbura ne veut pas entendre parler d'Arusha. Et si demain les autres partenaires disaient: nous ne voulons pas Paris, Genève ou autres villes du monde, que deviendraient les pourparlers de paix?

Il est donc important que les Burundais se disent la vérité, et reconnaissent qu'il n'y a pas de saints dans un seul camp qui peuvent s'arroger le pouvoir d'exclure les autres et prétendre chercher la paix pour le peuple burundais. La communauté internationale devrait appuyer les initiatives africaines, sinon on connaîtra des sabotages qui risquent de ne réconforter que ceux qui ont choisi les armes. Seuls les déplacés, les dispersés, les regroupés, les réfugiés apprécient à leur juste valeur l'urgence des négociations. Malheureusement, ils n'ont pas voix au chapitre. Ils attendront que ceux qui mangent trois fois par jour décident de leur sort. Comme le déclarait le médiateur Nyerere, il n'y a pas d'alternative au dialogue.

END

CONTENTS | ANB-BIA HOMEPAGE


PeaceLink 1997 - Reproduction authorised, with usual acknowledgement