by Yacinthe Diene, Sénégal, septembre 1997
THEME = JUSTICE
Les Etats membres de l'Organisation de l'unité africaine (OUA) vont désormais coopérer de manière efficace pour appréhender, transférer et juger les délinquants qui opèrent dans plusieurs pays à la fois. Telle a été la recommandation principale ressortie de la concertation régionale de 50 délégations ministérielles, tenue en juillet dernier à Dakar. D'après le directeur des Grâces et des Affaires criminelles du Sénégal, il était question de "trouver des passerelles entre les différentes législations des Etats, afin de mieux combattre les activités criminelles et associations du même genre et de poursuivre plus rapidement et plus efficacement les responsables d'actes délictueux".
Tenues à l'initiative de la Division de la prévention du crime et de la justice pénale (DPCJP) du bureau des Nations unies de Vienne, ces assises ont marqué l'accord de la majorité des pays du continent à la mise en oeuvre d'une Convention internationale de lutte contre le crime international. Déjà en chantier, elle sera un instrument juridique et judiciaire qui permettra d'arrêter et d'extrader des délinquants opérant dans plusieurs pays.
Edouardo Vetéré, directeur de la DPCJP, a affirmé: "Il est nécessaire que tous les gouvernements prennent ensemble une décision politique pour lutter plus efficacement et plus solidairement contre la criminalité".
Les représentants des différents services de police ont fait une évaluation des expériences de lutte contre les réseaux inter-Etats, qui ignorent les frontières et posent de sérieux problèmes économiques au continent. Il s'agit de voleurs de bétail ou de voitures de luxe, de fabricants de faux billets de banque, de proxénètes qui font disparaître des femmes et des enfants, et de marchands d'armes dans les régions à conflits.
Les échanges ont révélé que les formes de criminalité et les stratégies de lutte diffèrent d'un pays à l'autre, ou à l'intérieur même d'un pays. Par conséquent, les trafiquants peuvent passer entre les mailles des législations douanières, fiscales ou pénales, si différentes d'un pays à l'autre.
De même, les politiques nationales de répression, inarticulées, permettent la présence sur le continent de cartels asiatiques et latino-américains, qui utilisent des techniques propres aux sociétés multinationales pour blanchir leur "argent sale" à travers des "sociétés- écrans".
L'Afrique est-elle une plaque tournante? On serait tenté de répondre par l'affirmative, car un peu partout sur le continent on constate des faits inquiétants, tels que:
- des saisies importantes de stupéfiants et de drogue (on dit que la responsabilité de ces traffics incombe souvent aux crises socio-politiques, se traduisant par des troubles ou des conflits);
- des nombreux financements occultes tendant à éviter une arrestation ou une interruption de trafic, à influencer un vote en achetant des voix, ou à gagner un marché public important;
- l'émergence de "nouveaux-riches", adeptes de grosses cylindrées et de villas luxueuses, sans aucune activité économique connue, avec souvent des comptes bancaires dans plusieurs pays; etc.
La concertation de Dakar a aidé les représentants des différents pays à reconnaître la nécessité d'une coopération inter-Etats.
Ainsi, M. Jacques Baudin, garde des Sceaux et ministre de la Justice du Sénégal, déclarait: "Il faut une solidarité effective qui mette en avant la nécessité de lutter contre le crime transnational et la corruption, pour asseoir le développement de nos Etats sur des bases financières saines". Or, les axes de cette coopération passent par la mise en oeuvre de quelques préalables, largement débattus lors des séances plénières.
- Lutte contre la pauvreté et le sous-emploi: les pays du continent n'ont pas encore trouvé d'alternative pour résoudre leurs problèmes macro- économiques; encore moins pour dissuader les paysans qui cultivent le cannabis, et pour initier des projets socio- éducatifs viables pour la jeunesse et l'enfance. Aujourd'hui encore, 304 millions d'Africains vivent avec un revenu de moins d'un dollar par jour.
- La réhabilitation de l'United African Institution for the Prevention of Crime and Treatment of Offenders (UMAFRI), mis en place en 1989 à Kampala (Ouganda). Cette instance, au sein de l'OUA, permettait de suivre les questions liées au crime organisé sur le continent; mais elle ne peut pas remplir son mandat, ni mener ses activités si les Etats membres ne s'acquittent pas de leurs cotisations.
- L'implication des administrations douanières dans les législations nationales et internationales, pour réduire l'ampleur et l'impact des trafics illicites.
- La mise en place d'accords multilatéraux en matière d'extradiction et d'entraide judiciaire, en vue d'améliorer les actions conjointes pour les enquêtes, la protection des témoins, les échanges d'informations, etc. Par exemple, si pour une affaire qui s'est passée au Sénégal, il y a des coresponsables au Nigeria, en Côte d'Ivoire ou ailleurs, il faut que la justice sénégalaise puisse faire extrader ces gens, comme l'a souhaité le garde des Sceaux: "Il faut dépasser le sacro-saint principe qui veut qu'un pays n'extrade pas un de ses ressortissants".
L'ONU s'est engagé aux côtés des pays avant- gardistes, pour riposter contre un fléau planétaire, comme l'a souligné M. Edouardo Vetéré: "L'ONU sera aux côtés des Etats de la région Afrique pour les aider à lutter contre les organisations criminelles, en renforçant les capacités nationales ou régionales, et pour l'assistance et la formation du personnel spécialisé. Dans ce cadre, la division spécialisée des Nations unies sera transformée en un centre avec des moyens d'action adéquats, pour la mise en oeuvre de mesures pratiques à la hauteur de ces défis qui interpellent toute la communauté internationale".
La communauté internationale avait perçu le danger, il y a de cela une décennie, et plus précisément lors d'une réunion diplomatique, tenue à Versailles (France) en 1990. Elle avait recommandé expressément à l'ONU de tout faire pour lutter de manière concertée avec les Etats contre la montée en puissance du crime organisé.
Cette directive fut directement exécutée avec la mise sur pied de la Commission pour la prévention et la répression du crime organisé (CPRCO), composée par les représentants de 40 gouvernements, et présidée par un groupe africain par l'intermédiaire de la Tunisie. Cette dernière s'est dotée d'un organe exécutif, la DPCJP, qui a été chargé des missions suivantes:
- créer les conditions pour que les Etats de chaque zone se concertent au niveau ministériel et contribuent de manière significative au projet de convention internationale qui, une fois adoptée, sera un instrument commun à tous les Etats membres de l'ONU;
- analyser les données des statistiques criminelles sous-régionales, régionales et internationales, et harmoniser les stratégies de lutte en facilitant les échanges d'information entre les Etats;
- organiser un sommet mondial sur la criminalité, tous les 5 ans, pour examiner, avec tous les Etats, les questions prioritaires et les problèmes de justice pénale.
Le processus de sensibilisation a été mis en route lors de la rencontre inter-ministérielle, tenue à Naples (Italie) en 1994, où 142 pays adoptèrent à l'unanimité une déclaration politique et un plan d'action à moyen et à long terme. La rencontre de Dakar aura permis aux pays du continent de prendre conscience des enjeux, des dimensions et surtout de l'impact du crime international. Mais ces assises ont été aussi l'occasion d'évaluer le fossé qui existe entre les politiques de répression et les activités criminelles sur le continent. Malheureusement, la bataille véritable n'est pas encore engagée, tandis que les organisations criminelles rechercheront des stratégies nouvelles pour continuer leurs activités.
Dès lors la communauté internationale, devra se mettre au diapason, si elle ne veut pas être en retard d'une guerre.
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