by Sarah Tanou, Burkina Faso, septembre 1997
THEME = FEMMES
Les statistiques sont unanimes pour reconnaître que les femmes représentent près de 52% de la population et produisent 70% de la richesse nationale. Cependant, leur participation politique au niveau national reste très faible.
L'environnement juridique est favorable à l'instauration de l'égalité hommes-femmes. Plusieurs textes juridiques, reconnaissant les droits politiques des femmes, sont ratifiés par le Burkina. La Constitution elle-même leur reconnaît ce droit: l'article 1 consacre l'égalité de tous les citoyens, et l'article 12 dispose que tous les Burkinabè, sans distinction aucune, ont le droit de participer à la gestion de l'Etat. A ce titre, ils sont électeurs et éligibles. Mais le constat est amer. Si les femmes sont de bonnes électrices et de bonnes militantes de base, elles ne sont pas considérées comme étant de bonnes élues ou de bonnes candidates.
Au niveau de l'exécutif burkinabè, après les élections de mai 1997, le gouvernement actuel compte trois femmes ministres, aux postes de l'Intégration régionale, l'Action sociale et de la famille, et la Promotion de la femme. Au niveau des institutions, une femme vient d'être nommée, le 10 septembre, comme présidente du Conseil économique et social.
Quant au législatif, neuf femmes siègent actuellement à l'Assemblée nationale, toutes élues du parti majoritaire, le CDP. Lors des dernières élections, elles étaient 80 à briguer les suffrages sur un total de 852 candidats, issus de 13 formations politiques pour 111 sièges à pourvoir.
Dans les communes, en 1995, seules trois femmes ont été élues maires sur les 33 communes de plein exercice qui ont été érigées, et deux d'entre elles viennent d'être élues députés, et ont préféré siéger à l'hémicycle. 147 femmes ont été élues sur les 1.700 conseillers municipaux. En ce qui concerne les provinces, il y a deux femmes hauts-commissaires sur les 45.
Des chiffres éloquents! Considérant la représentativité des femmes, on ne peut que déplorer cette mauvaise performance et l'absence d'égalité tant prônée par les principes nationaux et internationaux. Les causes peuvent en être recherchées au plan interne et externe.
L'analphabétisme est un problème crucial au Burkina Faso, et touche encore plus les femmes que les hommes (plus de 80% des femmes de plus de 15 ans). Malgré les efforts de sensibilisation, la crise économique oblige encore la majorité des familles à faire des choix dans la scolarisation de leurs enfants, et ce sont les filles qui en sont victimes. Aux yeux de beaucoup, les femmes comprises, le mariage demeure un gage de respectabilité et de reconnaissance sociales pour les femmes. Le reste vient au second plan.
La grande pauvreté de la majorité des femmes fait paraître leur faible participation politique comme un problème secondaire. Les efforts de l'Etat, des ONG et de la coopération internationale sont axés essentiellement sur le renforcement du rôle économique des femmes, et non sur leur rôle politique. La mauvaise répartition des responsabilités et tâches domestiques est un autre obstacle à la promotion de la femme.
Et ajoutons aussi le manque de confiance des femmes en elles-mêmes et leur désintérêt pour la chose politique. "Faire de la politique" ou "C'est de la politique" restent des expressions péjoratives dans le langage courant, faisant allusion à la liberté de pensée et d'opinion des femmes. La peur de se "voir traîner dans la boue" (on est en effet plus regardant sur la moralité des femmes et la façon dont nombre de femmes engagées dans la vie publique sont diffamées) n'encourage pas de nouvelles candidates. Il y a enfin l'inconfortable position de la femme mariée dont la candidature est mal vue tant dans sa circonscription d'origine (dont elle est partie), que dans celle de son mari (où elle est considérée comme intruse).
Le spectre des coups d'Etat, et des violences qui s'ensuivent, n'a pas encore complètement disparu. Les proches réprouvent donc l'engagement des femmes dans un monde politique considéré comme dangereux.
Le clientélisme politique, outre qu'il exige d'énormes moyens financiers, fait percevoir les femmes comme des candidates "moins rentables", car drainant moins d'électeurs potentiels que les hommes. Les états-majors des partis politiques sont donc plus réticents à proposer des candidatures féminines.
D'autres obstacles sont liés aux expériences personnelles vécues par les femmes: le manque de solidarité (surtout politique) entre femmes, la peur de l'échec accentué chez les femmes par le fait qu'elles croient transgresser les règles sociales. Elles pensent qu'on les "attend au tournant". De plus, les femmes sont connues sous le nom de leur mari et, lorsqu'elles sont candidates, on ne les reconnaît pas toujours sous leur propre nom figurant sur les listes.
Finalement, les femmes préfèrent s'investir dans le domaine social, qu'elles trouvent moins dangereux que la politique, considérée comme une véritable jungle où tous les coups sont permis. En outre, les résultats y sont, selon elles, plus visibles et plus utiles à la communauté.
Si, au plan local, la femme est confrontée à bien des problèmes décrits plus haut, force est de reconnaître qu'au plan national la femme elle-même constitue le premier facteur limitant son propre épanouissement. C'est la femme qui dénigre la femme. Les actes de mesquinerie, de division, de mensonge et de sabotage des actions des femmes ont pour auteurs les femmes elles- mêmes. Que fait-elle là? N'a-t-elle rien à faire dans son foyer? Une femme peut-elle rester au dehors à parler politique en restant fidèle à son mari? etc.
Combien sont-elles, femmes devenues ministres, ambassadeurs, députés, épouses de dirigeants politiques ou hauts cadres, à continuer de défendre la cause de la femme une fois promues? Cela aussi explique la faible position de la femme dans la vie politique.
Au Burkina, le principe de la participation des femmes aux affaires publiques semble acquis, et on sent une volonté de l'améliorer, aussi bien du côté des femmes que du côté de certaines autorités politiques. Mais il reste la question des stratégies pour optimiser cette participation.
Pour ce faire, les responsables du pays doivent avoir une volonté politique affirmée. Un premier pas a été franchi, les 18 et 19 juin, par le président Blaise Compaoré qui a rencontré les femmes à Koudougou pour un débat sur la condition des femmes. Certaines décisions concrètes ont été prises à cette occasion, dont l'extension du fonds d'appui aux activités rémunératrices des femmes et la mise en place d'un comité de suivi. La récente création d'un ministère de la Promotion féminine peut également être considérée comme faisant partie de cette volonté politique. De plus, une cellule spéciale a été mise en place pour améliorer la participation des femmes à la gestion des collectivités décentralisées.
L'action des ONG est aussi primordiale. Elles constituent un vivier de femmes actives, leaders dans leurs communautés. C'est un lieu d'apprentissage à la prise de décisions. Des actions concertées sont à mener par les femmes pour trouver des solutions à la faiblesse de leur représentation politique. Un exemple: la dernière rencontre (du 18 au 20 août 1997) des membres de la Convention des femmes politiques (CFEP) et de l'Association des femmes élues du Burkina (AFEB) pour des journées de réflexion sur le bilan des élections passées. La rencontre s'est concrétisée par la mise en place d'un plan d'action pour les prochaines échéances électorales.
La meilleure stratégie passe par la femme elle- même. Elle doit se convaincre de la nécessité d'une justice par rapport à la situation actuelle, la porter vers ses soeurs des villes et des campagnes, obtenir leur franche adhésion à cette cause et se battre ensemble pour la faire triompher. Ceci passe par un travail de sensibilisation, d'éducation, de mobilisation et d'organisation, qui fait de la femme non plus un corps isolé, mais une chaîne au plan national soudée et solidaire.
La démocratie et le développement ont un lien indissociable. Il ne peut y avoir de démocratie et de développement véritables et durables sans l'engagement et la participation effective et active des femmes. Elles sont une force inaliénable avec laquelle il faut compter. Au Burkina, les autorités l'ont compris. Les femmes aussi. Elles s'intéressent de plus en plus aux activités politiques, tout en restant embrigadées au sein des partis politiques. D'où la nécessité pour elles de se faire connaître et, partant de là, de faire reculer les barrières de l'analphabétisme et de l'ignorance, qui constituent pour elles un goulot d'étranglement. Des changements optimistes se font jour, mais il reste beaucoup à faire. Une émergence, somme toute timide.
END