by Simon Kiba, Sénégal, Dakar, octobre 1997
THEME = ISLAM
L'islam sénégalais est avant tout basé sur les confréries. Deux familles maraboutiques principalement polarisent les fidèles. Très peu de musulmans sénégalais ne se réfèrent pas à une famille-chef de confrérie. On obéit aux ordres et directives du grand marabout, comme le catholique obéit aux commandements de l'Eglise.
Les confréries sont dirigées par des khalifes, toujours choisis dans la famille du fondateur. Etre d'une famille-chef de confrérie confère aux fils, filles, neveux et oncles une aura qui les met à part. Ce n'est pas un clergé, mais cela y ressemble beaucoup.
Une spécificité des confréries, c'est qu'elles prêchent un islam modéré. Elles insistent sur la tolérance, le refus de la violence, etc., et elles ont des rapports de bon voisinage avec les non-musulmans. Mieux, c'est un islam qui condamne tout intégrisme. Au Sénégal, à plusieurs reprises, des individus ont écrit et parlé en intégristes: les confréries ont été leur première cible. En effet, par le culte du travail (manuel et intellectuel), les confréries participent au développement du pays, et contribuent donc à diminuer le mécontentement dû au chômage.
Il reste cependant beaucoup à faire. Le gouvernement ne s'investit pas directement dans la religion, mais il profite de toutes les opportunités pour aider l'islam. Ainsi, il a applaudi quand des ONG ont organisé des voyages d'imams sénégalais en Indonésie et en Egypte, pour qu'ils puissent voir comment est traitée, dans des pays musulmans avancés, la question de la planification familiale. Un colloque a aussi été organisé sur "Sida et islam".
Le gouvernement s'implique directement dans l'enseignement de l'arabe. Un nombre important (cinquante) de nouveaux professeurs d'arabe a été recruté et a suivi un stage pédagogique pour la rentrée 97-98. Ces professeurs enseignent non seulement la religion, mais aussi les matières profanes.
Les arabisants ont leur structure propre dans le Parti socialiste, au pouvoir. C'est dire que ces professeurs et intellectuels sont loin de tout intégrisme. Ce sont des modérés. Les quelques "gauchistes" sont traités d'anarchistes, et ceux "de droite" d'intégristes. Les confréries savent bien qu'elles seraient les premières victimes de ces "hors-norme". Aussi, le bouclier des confréries joue-t-il à fond contre toute velléité de violence au nom de la religion.
Il reste que, dans les quatre ou cinq villes importantes du Sénégal, on retrouve des banlieues difficiles. Surtout depuis la sécheresse de 1973, l'exode rural a amené dans des bidonvilles une masse d'anciens agriculteurs. Les gens y perdent leurs repères de vie, et les enfants nés dans ce milieu sont enclins à la violence, à la loi du talion et à la drogue.
Il existe un ministère de la Ville, qui fait ce qu'il peut avec les moyens du bord. Si les jeunes veulent des écoles, des bibliothèques, des terrains de sport, ils veulent surtout trouver du travail. Des groupements d'intérêts économiques existent, mais tous les jeunes ne peuvent en profiter, pour la simple raison qu'ils sont analphabètes et qu'aujourd'hui, même pour travailler manuellement, il faut un minimum d'instruction.
Pour un véritable sursaut social, le gouvernement espère mobiliser les structures qui entourent les mosquées. Dans les villes sénégalaises on trouve des mosquées dans chaque rue. Un forum se tiendra bientôt à Dakar sur "Islam et développement de la ville - pour relever les grands défis qui assaillent les cités". Mieux vaut prévoir que guérir.
Lors de la cérémonie de lancement de cette initiative, le ministre de la Ville a constaté que "la communauté musulmane, qui représente 90% de la population du Sénégal, s'est limitée avec un grand dynamisme aux volets mystiques et théologiques, ainsi qu'à l'enseignement; mais elle ne s'est engagée que faiblement dans le domaine social". Il s'agit d'activer le rôle des mosquées. Mais alors il faudra changer les mentalités et aider les mosquées à se doter d'infrastructures adéquates. Le ministre a déjà tenu une séance de travail avec l'Eglise catholique de Ziguinchor, très bien structurée depuis longtemps dans le domaine social.
Les femmes africaines, bien qu'elles travaillent énormément, n'ont pas droit de cité dans l'organisation et les décisions concernant la mosquée et la communauté des fidèles. Elles se tournent donc vers leur grand marabout pour les questions religieuses, et vers les structures d'Etat pour les associations de développement. Les jeunes font de même. De plus, en islam, les hommes doivent être séparés des femmes.
C'est à une véritable révolution pacifique et silencieuse que sont appelées les mosquées des villes, pour aider les gens à mieux vivre dans les quartiers, surtout les quartiers difficiles. Il faudra des moyens. Il faudra surtout beaucoup d'abnégation et de dévouement.
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