ANB-BIA SUPPLEMENT - ISSUE/EDITION Nr 336 - 15/12/1997

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ISSUE/EDITION Nr 336 - 15/12/1997

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Sénégal

Une découverte du Sud pour le Sud

by Yacinthe Diene, Sénégal, août 1997

THEME = SANTE

INTRODUCTION

Malgré l'explosion surmédiatisée du sida,
le paludisme demeure encore une préoccupation majeure

"Le Sénégal remercie le chercheur émérite venu partager avec nous le fruit d'une recherche capitale pour le tiers monde". Cette petite phrase a été prononcé par le ministre de la Santé, Ousmane N'Gom, lors de la remise d'une des plus hautes distinctions nationales (grade de Commandeur de l'Ordre national du lion) au professeur Manuel Elkin Patarroyo, actuel directeur et fondateur de l'Institut d'immunologie de l'hôpital "San Juan de Dios", de l'université nationale de Colombie. Le chercheur colombien, invité spécial du président de la République, Abdou Diouf, a séjourné au Sénégal en juillet dernier pour participer à la journée de mobilisation sociale contre le paludisme à Nioro du Rip (centre du pays), et pour rencontrer la communauté scientifique nationale.

Au terme de son séjour, le prof. Patarroyo a suscité un espoir immense et a formulé le voeu de revenir: "Fin 1998, ou au plus tard début 1999", a- t-il déclaré lors d'une conférence de presse, "mon vaccin coûtera 75 f.cfa les trois doses pour l'immunisation complète. Il sera disponible au Sénégal, et je compte être des vôtres pour le lancement de la grande lutte contre le paludisme". Le "Synthetic plasmodium falciparum 66e formule" (SPF66) est le nom du vaccin expérimental mis au point, en janvier 1986, par le prof. Patarroyo après avoir décomposé la structure chimique du "plasmodium falciparum", un protozoaire parasite du sang vecteur du paludisme. Ce dernier est toujours transmis par le moustique femelle anophèle, que l'on retrouve dans les zones marécageuses.

Les enjeux commerciaux

Cette découverte est intervenue dans un contexte marqué par une résistance accrue du vecteur précité: les antipaludéens, dont la chloroquine, sont de moins en moins efficaces et les insecticides inutiles. Ainsi, tout laisse croire que le SPF66 soit une découverte salutaire pour les pays du tiers monde où sévit la malaria. Ce qui fera dire au chercheur colombien: "Ma découverte est un cadeau de la Colombie au monde". Le prof. Patarroyo envisage en effet de faire baisser, dans la mesure du possible, le coût du vaccin: "Une dose peut coûter moins de 25 fcfa, ce qui n'est pas exhorbitant pour sauver des vies humaines".

Si cela se réalise, le nouveau vaccin constituera un manque à gagner pour les grands laboratoires pharmaceutiques qui commercialisent les médicaments antipaludéens ou les insecticides, parce que le SPF66 devra être vendu huit fois moins cher qu'un traitement antipaludéen classique, vendu à 500 fcfa (environ 1 dollar US). Mais comment réagiront les producteurs de médicaments?

Le découvreur du vaccin a refusé des millions de dollars proposés par une firme américaine, et il a offert le brevet de son invention à l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui diffusera le vaccin pour une somme modique. Ainsi, il fait preuve d'un humanisme authentique. "Je crois en l'homme et à la solidarité, et si j'ai des talents pour aider les gens, je le ferai", affirmait-il lors de sa conférence de presse, pour montrer sa détermination à aller jusqu'au bout pour devenir le "Louis Pasteur" du 3e millénaire. Mais également pour répondre à ses détracteurs.

Un espoir malgré des résultats mitigés

Depuis sa découverte il y a une dizaine d'années, le SPF66 fait l'objet d'une levée de boucliers de la part de certains scientifiques. Arguments à l'appui, ils soutiennent que les tests effectués un peu partout ont échoué, et que le vaccin expérimental est sans avenir. La prestigieuse revue médicale britannique "Lancet" s'est fait l'écho de cette vive controverse, et le débat a été ravivé lors de la conférence sur le paludisme tenue àHyderabad (au sud de l'Inde), au mois d'août 1997.

Or les essais du dit vaccin, fruit d'une quinzaine d'années de recherches, ont révélé une immunité de plus de 50% pour des singes, de 40% pour des personnes adultes et de 77% pour les enfants ayant utilisé le vaccin durant 5 ans. Des essais cliniques et en double aveugle ont été opérés en Amérique latine (Venezuela, Equateur, Colombie, Brésil), en Asie (Thaïlande et Cambodge), et en Afrique (Gambie et Tanzanie). Ces tests ont montré un effet protecteur de 33,55% (intervalle de confiance de 21 à 75%), ce qui a conduit l'OMS à conclure que le nombre total d'épisodes de paludisme peut être réduit de 47% par le SPF66, avec très peu ou presque pas d'effets secondaires.

Le vaccin contre le paludisme, attendu sur le marché dès 1998, est en mesure d'infléchir les indicateurs du paludisme. Cette maladie demeure l'un des plus graves problèmes de santé publique; elle est la cause de 10% des hospitalisations et de 30% des consul-tations externes dans le monde. On enregistre, en effet, pas moins de 4 millions de décès, et entre 250 à 450 millions de nouveaux cas. Au Sénégal, on enregistre environ 1 million de nouveaux cas, et un taux de mortalité de 40% pour les formes graves, soit 4.000 décès sur toute l'étendue du territoire. Seuls 12% d'Africains sont à l'abri du paludisme. Il sévit sous forme d'épidémie dans des pays comme le Botswana, le Kenya et l'Ouganda, mais surtout dans les camps de réfugiés au Burundi, au Rwanda, en Tanzanie et au Congo (ex-Zaïre). 73% des populations africaines vivent dans des zones de forte endémicité.

Dès lors, on comprend aisément que la malaria soit un problème de santé publique, à cause de son ampleur sur la vie ou la qualité de vie des populations.

Ce qu'on attend des spécialistes du Sud

Avec génie et détermination, le prof. Patarroyo s'est intéressé à une maladie qui est reléguée au dernier rang des préoccupations de la communauté internationale, malgré les déclarations d'intention et les voeux pieux.

Ainsi, au moment où certains scientifiques doutent de la possibilité de parvenir à un vaccin standard et que les laboratoires font de la propagande pour des produits dont l'efficacité n'est pas avérée, le futur vaccin devient de plus en plus une alternative pour l'OMS. Certains de ses pays membres, dont le Kenya, la Côté d'Ivoire, le Burkina Faso et le Sénégal, après son lancement, veulent en faire le cheval de bataille de leurs programmes nationaux de lutte contre la maladie.

Pour le chercheur colombien, avec une approche logique et peu de moyens, un ressortissant du tiers monde doit pouvoir créer un vaccin. Devant la communauté scientifique sénégalaise, à laquelle il a réaffirmé sa disponibilité et l'ouverture de son institut à tous les chercheurs du tiers monde, il déclarait: "Seuls les habitants du Sud régleront les problèmes du Sud avec des solutions adaptées au Sud". La contribution des chercheurs du Sud peut être déterminante dans la dernière phase conceptuelle du futur vaccin. Cet appel de pied du chercheur émérite est une occasion pour que les scientifiques du Sud se mobilisent dans la lutte contre le fléau. Déjà en 1992, la déclaration mondiale de lutte antipaludique (Amsterdam, Pays-Bas) préconisait une vaste chaîne de solidarité ou de partenariat de tous les chercheurs. Pour le moment il ne nous reste qu'à attendre l'échéance fixée, pour voir si le SPF66 est vraiment la réalisation inédite, voire le vaccin tant attendu.

END

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