ANB-BIA SUPPLEMENT - ISSUE/EDITION Nr 337 - 01/01/1998

ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 337 - 01/01/1998

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Côte d'Ivoire

Une exemplarité à conquérir

by Alphonse Quénum, Côte d'Ivoire, octobre 1997

THEME = JUSTICE

INTRODUCTION

Présenter le pouvoir judiciaire est une tâche à la fois difficile et délicate,
car le système judiciaire est une instance fondamentale dans la Constitution d'un pays.
Le respect des droits de chacun et l'accomplissement des devoirs
supposent une atmosphère de liberté,
ce qui n'est malheureusement pas le fort de la plupart des pays africains.

La grande stabilité politique qu'a connue la Côte d'Ivoire par rapport à ses voisins, sous un régime de parti-Etat, lui a certes permis de sauvegarder ses institutions judiciaires, mais les a empêchées de développer leur indépendance et leur démocratisation. Le président Houphouët n'hésitait pas à dire qu'il préférait l'injustice à l'anarchie. Comme dans la plupart des anciennes colonies françaises, les structures et les normes judiciaires ivoiriennes sont tributaires d'une dualité et paraissent parfois inadaptées.

Environnement socio-politique

La Côte d'Ivoire compte une population d'environ 12 millions d'habitants, d'un pluri-ethnisme assez marqué - près de 60 ethnies. Elle abrite une forte population étrangère, plus du tiers de l'ensemble.

Elle vit sous un régime constitutionnellement démocratique, mais la prédominance écrasante du premier parti du pays en limite notablement les effets. La justice est rendue par la Cour suprême, les cours d'appel, les tribunaux de première instance et des sections détachées de ces tribunaux.

La justice est assurée par un corps de magistrats et un ordre d'avocats, dont le nombre est à peu près de 300 chacun. Les avocats sont regroupés dans un ordre géré par un conseil, présidé par un bâtonnier.

La magistrature

Les juges sont nommés par le pouvoir exécutif, soit directement, soit parmi les admis au concours de la magistrature qui ont réussi les épreuves du stage. Les facteurs politiques, ethniques et religieux ne jouent pas dans la nomination. Mais dans les cas de recrutement discret, on peut déceler quelques glissements vers le tribalisme. Les magistrats, qui ne sont pas nommés à vie, prennent leur retraite en principe à 60 ans; mais ceux qui sont hors hiérarchie prolongent leur activité jusqu'à 65 ans.

La formation des juges est assurée par la section magistrature de l'Ecole nationale d'administration. Ils doivent être titulaires d'une maîtrise en droit. En plus, le ministère de la Justice organise des sessions de formation, mais celles-ci ne sont pas systématiques pour tous les magistrats.

En dépit du fait que la Constitution sanctionne l'indépendance de l'autorité judiciaire, celle-ci est plus ou moins liée au pouvoir exécutif. Elle subit des ingérences venant de divers niveaux de l'administration centrale, pour donner des instructions ou demander des comptes. Dans ce domaine, il est difficile d'avoir un témoignage écrit de magistrats. Mais l'un ou l'autre avoue avoir été dessaisi de dossiers.

Pour démontrer les causes de la partialité et de la vulnérabilité de la justice, le prof. René Degni Segui évoque trois affaires dans son article "L'accès à la justice et ses obstacles dans les actes du Colloque de Port Louis", sur l'"Effectivité des droits fondamentaux dans les pays de la communauté francophone" (Ed. Aupelf/Uref, p.250).

Quant au problème de l'inamovibilité, il est constamment battu en brèche. Le même prof. Segui dénonce cette situation en ces termes: "Mutations et déplacements fréquents (des magistrats et auxiliaires de justice), opérés souvent pour des raisons politiques, compromettent le fonctionnement régulier du service public de la Justice, en aggravant les maux habituels qui minent ledit service" (op. cit. p.245).

Le dernier congrès de l'Association syndicale de la magistrature dénonce les violations du principe de l'inamovibilité, favorisées par les affectations dites de "nécessités de service".

De son côté, le dernier congrès de l'Union des magistrats de Côte d'Ivoire a stigmatisé la corruption généralisée dans les milieux de la magistrature qui s'explique pour une large part, estime-t-il, par la rémunération insuffisante des magistrats.

Le ministère public

Les procureurs et leurs subsituts, membres du ministère public, sont des magistrats recrutés et formés comme leurs collègues juges. Un magistrat peut passer indifféremment du ministère public au siège, et vice-versa. Les policiers et les gendarmes ne sont que des auxiliaires du ministère public.

Les magistrats du ministère public ne sont pas indépendants; mais à l'audience leur parole est libre.

Le procureur de la République reçoit plaintes et dénonciations, et apprécie les suites à donner. Puisqu'il est légalement soumis à ses supérieurs hiérarchiques, la sélection des poursuites peut parfois obéir à des impératifs politiques ou ethniques. Quant aux policiers, du fait de leur subordination hiérarchique, ils sont plus facilement exposés à l'influence du pouvoir politique.

La défense

La durée de la garde à vue est de 48 heures, renouvelable une seule fois par le procureur de la République. Pendant l'instruction préparatoire, la détention préventive ne peut excéder 6 mois pour les délits, et 18 mois pour les crimes. La loi ivoirienne ne prévoit pas d'assignation à résidence; en conséquence, si elle peut exister de fait, il n'y a aucun recours contre elle, surtout quand elle est exercée par l'Etat.

Plusieurs garanties protègent l'inculpé pendant l'instruction préparatoire: notification des charges, droit de choisir un conseil; puis droit de communiquer librement avec son conseil, droit d'assister aux perquisitions, etc... Mais, malheureusement, une nouvelle loi sur les perquisitions permet de faire celles-ci à toute heure du jour ou de la nuit.

A l'audience, le prévenu a le droit de se faire assister par un avocat. Devant la cour d'assises (qui juge les crimes) un avocat est commis d'office. En pratique, cependant, l'assistance judiciaire n'est pas très développée, et les mineurs ne sont pas assistés par un avocat, contrairement aux prescriptions légales.

Conclusion

La crédibilité du pouvoir judiciaire est indispensable pour la construction d'une démocratie solide. Pour assurer l'égalité de tous devant la loi, son indépendance est donc une nécessité, comme l'ultime recours contre toute injustice.

En République de Côte d'Ivoire, comme partout ailleurs, le pouvoir judiciaire doit se battre pour affirmer ou conquérir son exemplarité, en se libérant des pressions politiques et des pouvoirs d'argent.

Depuis quelques années, la nécessité d'une Cour constitutionnelle est apparue dans la phase actuelle de transition vers le pluralisme. La Côte d'Ivoire dispose désormais d'un Conseil constitutionnel, dont la mission principale est de réguler la vie publique: régularité des opérations de référendum, des scrutins pour l'élection du président de la République et des députés, règlement des conflits de compétence, etc...

Il faut simplement souhaiter que les mots deviennent des réalités et que le droit ait de plus en plus raison.

END

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