ANB-BIA SUPPLEMENT - ISSUE/EDITION Nr 337 - 01/01/1998

ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 337 - 01/01/1998

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Guinée

Pouvoir judiciaire: un pari sur l'avenir

by Alexis Gnonlonfoun, Guinée, novembre 1997

THEME = JUSTICE

INTRODUCTION

La justice guinéenne est encore soumise à diverses pressions,
même si, depuis le temps de Sékou Touré,
on a franchi d'énormes étapes en matière de droits de l'homme.
Mais, surtout, il y a un grand désir de justice.

Parmi les acquis fondamentaux du changement intervenu depuis l'arrivée au pouvoir du président Lansana Conté en 1984, celui du respect des droits de l'homme et des libertés publiques est assurément l'un des plus importants. En matière des droits de l'homme, la Guinée-Conakry a franchi d'énormes étapes et réalisé des progrès qui étaient du domaine des rêves du temps de Sékou Touré.

Sékou Touré

La Guinée de Sékou Touré a connu six grands complots ou séries de complots depuis son indépendance, le 2 octobre 1958. Elle a toujours vécu dans une vague de répressions contre les principaux groupes sociaux:

- en avril 1960, les tenants du système social antérieur à l'indépendance;

- en novembre 1961, les intellectuels, notamment les enseignants;

- en septembre 1965, les commerçants;

- en mai et septembre 1967, les cadres des entreprises nationales;

- en février 1969, novembre 1970 et juillet 1971, les militaires et les hauts fonctionnaires ainsi qu'une partie du haut personnel politique;

- en juin 1976, les Peuls.

Le respect des droits de l'homme n'étant pas un choix fondamental de l'ère Sékou Touré, le pays ne connaissait pas de codes juridiques. D'où la façon épouvantable dont étaient menés les interrogatoires des prisonniers, les abominables conditions de détention de ceux-ci, et les conditions atroces dans lesquelles ils périssaient, qu'ils aient été formellement condamnés à mort ou non par le tribunal révolutionnaire ou la Haute Cour de justice, dont les membres n'étaient que les militants du parti-Etat.

Réformes

Aujourd'hui, la Guinée a renoué avec les principes du régime républicain, pour une justice efficace. Le pays dispose d'un ministère de la Justice, d'une Cour suprême, d'une cour d'appel et d'un parquet général.

Si, dans ce pays de plus de sept millions d'habitants, la justice souffre encore d'un manque de personnel et de qualification du personnel, le gouvernement élabore cependant un programme de restauration ou de reconstruction des tribunaux et prisons civiles dans les différentes régions: Guinée maritime, Basse Guinée, Moyenne Guinée, Haute Guinée et Guinée Forestière. Toutefois, dans ce contexte de mutations, toutes les conditions ne sont pas encore réunies pour assurer l'exercice d'un pouvoir judiciaire fort, crédible et efficace, débarrassé des maux qui l'empêchent d'assumer sa mission.

Pour lutter contre l'arbitraire, la garde à vue et la détention préventive ont été réglementées. Le pays a adhéré à toutes les conventions de l'ONU contre la torture et les traitements inhumains qui étaient naguère monnaie courante.

L'attachement du président Conté au respect de la dignité humaine s'est manifesté aussi, dès les premiers jours de sa prise du pouvoir, par l'élargissement de milliers de prisonniers, qui ont bénéficié de la grâce présidentielle, vidant par ce fait les prisons de tout détenu politique.

De même, nombre de personnes ont été réhabilitées et le retour de personnalités politiques exilées autorisé. Les droits de l'homme et des libertés publiques figurent désormais au premier plan des préoccupations du pouvoir actuel. L'arsenal juridique mis en place - de la suppression des juridictions d'exception à l'adoption des réformes constitutionnelles - a créé les conditions pour garantir les libertés individuelles et sociales.

Mais le président Conté ne peut pas garantir à lui seul les droits de l'homme. Il lui faut l'aide de tous: organisations, partis et citoyens. Au-delà des mesures et actions nombreuses et diversifiées prises au plan de la législation et des institutions, il y a toute une démarche à faire au niveau de la pratique.

La théorie et la pratique

Il y a du laxisme. On ne s'intéresse pas assez à ce que l'on fait, et sans doute les structures administratives sont- elles trop faibles.

Si les magistrats et les juges sont nommés par le ministère de la Justice, ceux de la Cour suprême sont nommés sur proposition du président même de la Cour suprême, et après avis du Conseil supérieur de la magistrature, suivant en cela une procédure particulière qui a pour finalité de renforcer leur indépendance vis-à-vis du gouvernement. Mais souvent, l'on ne respecte pas le parallélisme des formes. Et le gouvernement n'en est pas resté à une irrégularité près. Souvent, des actes gouvernementaux violent le dispositif constitutionnel et légal en vigueur.

En réalité, la justice guinéenne n'est pas encore indépendante. Pourtant, les juges se sont vu reconnaître, par la Constitution ou par les lois, un ensemble élargi de moyens. Les textes, dans leur essence, veillent ainsi à leur garantir l'indépendance. Quant aux voies d'action qu'ils peuvent emprunter, elles sont nombreuses. En fait, tout réside dans la pratique.

"Face à la crise des institutions judiciaires, qui tendent de plus en plus à rendre des décisions peu conformes au droit, il s'avère nécessaire de créer une médiation qui défendrait mieux les citoyens ordinaires", laisse entendre le juriste Alpha Doumbouya. Une tâche qui apparaît, à l'examen, singulièrement délicate à mener.

En fait, la justice guinéenne est soumise au pouvoir politique, au pouvoir de l'argent, aux pesanteurs sociales, bref, aux pressions diverses, et cette soumission la met aux enchères. Comme le souligne un juge, "la justice, telle qu'elle est rendue, est contestée. Elle n'est même plus la même pour tous. C'est à la tête du client".

Par ailleurs, l'ordre national des avocats essaie de mettre fin à tous les laisser-aller qui envahissent la profession et qui, s'ils devaient perdurer, amèneraient la justice à la catastrophe. On peut rappeler par exemple la rétention de fonds que font certains avocats sur les deniers perçus pour le compte de leurs clients.

En tout cas, avocats, magistrats, greffiers et huissiers, tous doivent faire l'aveu de leurs imperfections.

Certes, il va de soi que la conjoncture économique dicte parfois des contraintes... D'où des entorses inévitables apportées aux décisions judiciaires. Des difficultés financières sont venues frapper une économie nationale en pleine convalescence, après la faillite de l'ère Sékou Touré. Mais cela n'ajoute que plus de force à la nécessité d'oeuvrer pour dépasser, le plus vite possible et par tous les moyens disponibles, ce cap difficile.

Perspectives

Ce dont la Guinée a besoin aujourd'hui, selon les milieux de la magistrature, c'est d'organiser des conférences périodiques à l'intention des magistrats, au cours desquelles seront exposées les questions ayant trait à la législation et à la bonne gestion des affaires de justice, tant au plan matériel que moral, et de préconiser les moyens de renforcer une politique en matière de justice.

Cette politique devra avoir pour objectif de protéger les droits de l'individu, tout en préservant les droits de la société, et d'assurer, avec la célérité de la procédure, les droits du justiciable. L'objectif serait de doter les institutions judiciaires d'instruments de travail efficients, consistant notamment en des textes législatifs modernes, clairs et faciles à appliquer, et de structures simplifiées et efficaces.

En ce qui concerne le code de la procédure pénale, il y a lieu de souligner la nécessité d'assurer davantage de garanties pour que les droits de l'homme soient respectés, tant dans le cadre de la sauvegarde de la liberté individuelle et de la préservation de l'ordre public, que dans celui de la stabilité et de la protection de la société.

Cherchant à faire évoluer la législation au niveau de l'évolution sociale, les syndicats et la société civile examinent la possibilité de réduire davantage la durée de la guarde à vue (72 heures), tout en s'employant à limiter le recours à cette détention en lui substituant une autre procédure se situant entre la liberté totale et la détention, procédure connue, en droit comparé, sous l'appellation de contrôle judiciaire.

Aussi voudrait-on que les magistrats, chargés d'instruire les affaires criminelles notamment, déploient le maximum d'efforts pour accélèrer autant que possible la clôture de l'information, afin que la justice soit rendue dans des délais raisonnables. Tant dans la procédure pénale que dans la procédure civile et commerciale, l'accent est mis sur toutes les dispositions de nature à assurer, à la fois, la célérité du jugement et les garanties d'une justice équitable.

Concilier la célérité et les garanties est une tâche dévolue, en premier lieu, au juge qui agit en son âme et conscience pour trancher les affaires dans les meilleurs délais. Il lui incombe d'agir dans le respect des procédures légales et à la sauvegarde des droits, afin que personne ne puisse espérer tirer profit de sa partialité ou ne doive désespérer de son équité. Malheureusement, tous les magistrats ne sont pas en mesure de s'acquitter d'une telle tâche. A certains, il manque le savoir, les qualités morales authentiques, l'amour du travail, l'assiduité et l'abnégation au service de la justice et des justiciables.

Cette conciliation incombe aussi aux auxiliaires de la justice, chacun en fonction du rôle qu'il remplit dans le cadre du traitement des affaires. Ces auxiliaires, qui le plus souvent font preuve d'un laxisme déroutant, sont pourtant d'un précieux apport à la justice pour ce qui est de la célérité du jugement et de la bonne marche de la justice.

Il faut souligner cependant l'insuffisance des moyens dont disposent les tribunaux. Les institutions judiciaires ne sont pas dotées d'équipements modernes et d'instruments de travail à même d'aider le corps de la magistrature à s'acquitter de sa tâche dans les meilleures conditions.

Un effort doit donc être fait, d'une part pour former les cadres nécessaires, et d'autre part pour assurer les moyens de travail indispensables, de manière à conforter la bonne marche de la justice. Pour que la justice et ses hommes soient au diapason de l'évolution de la Guinée moderne, diverses mesures d'incitation et d'encouragement sont nécessaires afin de réhabiliter les magistrats et de leur faire prendre conscience de l'importance de la mission délicate qui leur incombe dans la consécration de l'Etat de droit.

END

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