by Mathieu Célien Ramasiarisolo, Madagascar, novembre 1997
THEME = JUSTICE
A l'aube du XXIe siècle, avec la mondialisation de nombreux secteurs de la vie politique, économique et sociale, il est vital d'avoir une justice digne de ce nom. En effet, seule une justice crédible sur le plan national comme sur le plan international - c'est-à-dire servie par des magistrats à la compétence technique incontestée et au comportement moral accepté - est de nature à constituer la garantie d'un Etat de droit, capable d'assurer la sécurité des personnes et des biens, de protéger les libertés démocratiques et de favoriser le développement économique.
Ces dernières années, quelques faits essentiels marquaient d'une manière notoire la vie judiciaire à Madagascar:
- des critiques sévères à l'endroit de magistrats accusés de corruption et de partialité;
- la division au sein du corps des magistrats, due à la politique partisane de certains groupes de magistrats;
- l'apparition d'un syndicat de magistrats agissant et rassembleur, mais dont la méthode et les résultats sont parfois discutés, sinon contestés.
En vue de la mise en oeuvre de la politique du gouvernement actuel, le ministère de la Justice a élaboré un document dont l'objectif est de disposer d'une justice indépendante, forte et crédible, indispensable pour la protection des libertés fondamentales, la sécurité des personnes et des biens, ainsi que la sécurisation des investissements.
Pour une population de plus de 12 millions d'habitants, Madagascar compte actuellement 349 magistrats, dont la grande partie est composée de femmes.
Notons qu'à Madagascar, il existe bien une "autorité" judiciaire. Mais le "pouvoir" judiciaire, en tant qu'institution indépendante vis- à-vis du pouvoir législatif et exécutif, même s'il figure dans l'actuelle Constitution (IIIe République), n'est pas encore mis en place; il est d'ailleurs rejeté par une grande partie de la population et par une certaine classe politique.
Tous les magistrats doivent respecter les dispositions constitutionnelles, législatives et réglementaires. Exemple, la séparation des pouvoirs. Tous sont tenus à l'obligation d'impartialité et d'honnêteté. Selon l'article 127 du code pénal, sont coupables et punissables: les juges, les procureurs généraux ou de la République ou leurs substituts, ainsi que les officiers de police judiciaire, qui se seront immiscés dans l'exercice du pouvoir législatif, notamment par des règlements contenant des dispositions législatives, ou en arrêtant ou suspendant l'exécution d'une ou de plusieurs lois.
La Cour suprême a une fonction de contrôle. Elle est chargée de faire des enquêtes et des rapports sur les activités juridictionnelles des magistrats, et doit éventuellement saisir le Conseil supérieur de la magistrature. Ce dernier est présidé par le président de la République; en sont membres, notamment, le ministre de la Justice (dans le rôle de vice- président), le premier président et le premier procureur général de la Cour suprême, le premier président et le procureur général de chaque cour d'appel, et un magistrat représentant les tribunaux de première instance. Ce Conseil supérieur de la magistrature confirme l'autorité judiciaire à Madagascar.
Le gouvernement actuel vient aussi de procéder à un grand changement concernant la transformation des tribunaux de section en tribunaux de première instance, pour accélérer la procédure et lutter contre les abus et la corruption. Actuellement, à part la Cour suprême, on compte sur tout le territoire malgache: 3 cours d'appel, 30 tribunaux de première instance et 2 tribunaux de section.
Selon l'article 8 du nouveau Statut de la magistrature, le premier président de la Cour suprême est nommé par décret du président de la République en Conseil des ministres. Les autres présidents de Cour sont nommés ou délégués par décret en Conseil des ministres, à partir d'une liste d'au moins trois noms proposés par le ministre de la Justice, après consultation du Conseil supérieur de la magistrature. Les autres magistrats sont nommés par décret, sur proposition du ministre de la Justice.
Les candidats ayant une licence en droit sont admis au concours professionnel de la magistrature, section administrative et financière. Les élèves magistrats ayant obtenu le diplôme de fin d'étude de l'Ecole nationale de la magistrature et du greffe (ENMG, auparavant Institut d'études judiciaires) sont nommés magistrats stagiaires. Le système de quota d'ordre ethnique, pour être admis au concours, a été rejeté par la Chambre administrative. A l'issue de ce stage, ils sont nommés magistrats du quatrième grade. Nul ne peut être inscrit au tableau d'avancement s'il ne compte au moins 6 années d'ancienneté (4e, 3e, 2e grade).
Les magistrats du siège de la cour d'appel, des tribunaux et des sections sont placés sous l'autorité et la surveillance du premier président de la cour d'appel du ressort.
Les premiers présidents ont le droit d'adresser aux magistrats relevant de leur autorité les observations et recommandations qu'ils estiment nécessaires dans l'intérêt de l'administration de la justice et d'une correcte application de la loi. Mais ces observations et recommandations ne peuvent en aucune manière porter atteinte à la liberté de décision du juge. Ainsi, les magistrats ne peuvent pas être inquiétés pour des actes accomplis dans l'exercice de leurs fonctions. Les magistrats du siège sont indépendants, et leur inamovibilité est la garantie de cette indépendance. Il est donc inadmissible qu'avant ou après un procès, ces magistrats soient menacés de mutation ou se voient promettre d'autres affectations.
Cependant, la qualité technique des décisions judiciaires constitue un élément important d'appréciation de la crédibilité de la justice et de la valeur de la magistrature. C'est pourquoi l'accent a été mis aussi sur la formation continue des magistrats déjà en fonction. Cette année 1997, des chefs de juridiction et magistrats en exercice ont suivi des stages à l'ENMG et en France (10 magistrats): 50 magistrats sur le droit du travail, et le 80 sur le droit foncier.
Les magistrats du ministère public, bien que soumis à la subordination hiérarchique, agissent selon leur intime conviction et conformément à la loi. Ils disposent d'une police judiciaire, dont ils peuvent contrôler les activités et le fonctionnement. En effet, les officiers de la police judiciaire sont tenus d'informer dans les meilleurs délais les magistrats et officiers du ministère public des crimes ou délits dont ils ont connaissance. Ils doivent leur faire parvenir l'original des procès-verbaux qu'ils ont dressés, ainsi que les actes, documents et objets saisis qui s'y rapportent.
Le représentant du ministère public n'est pas un simple fonctionnaire comme un autre; il est avant tout un magistrat. Il arrive que le ministère public reçoive des instructions de la chancellerie sur une affaire en cours, et que son opinion diffère de celle du gouvernement, en matière pénale ou civile. Dans ce cas, le ministère public rédige des réquisitions ou des conclusions conformément aux instructions reçues; mais lors de la déposition au tribunal, il peut déclarer: "Mes conclusions écrites sont dans le dossier; mais, selon mon intime conviction, voici ce que je requiers...".
Malheureusement, cela ne s'est jamais vu ni entendu à Madagascar; mais c'est une procédure tout à fait possible et légale, pourvu que le point de vue soit soutenable. De même que l'Assemblée nationale peut rejeter une proposition de loi, le ministère public peut ne pas être d'accord dans une affaire déterminée, soit sur la réalité ou la preuve des faits, soit sur le droit.
Il y a une commission d'affectation composée du ministre de la Justice, quelques présidents de cours et des directeurs du ministère. Cette année, 60 magistrats en fonction ont été changés d'affectation, y compris des chefs de juridiction. Ceci pour éviter qu'un magistrat restant trop longtemps dans un poste n'encoure le risque de corruption et d'abus d'autorité. Mais le magistrat du siège, titulaire de son poste, ne peut être affecté ailleurs sans son consentement qu'après avis du Conseil supérieur de la magistrature.
Sans doute les magistrats malgaches, comme les autres fonctionnaires d'Etat, sont mal payés. Pourtant, selon la déontologie, un magistrat doit avoir une bonne présentation, tout en évitant d'afficher des signes extérieurs de richesse, ce qui ne manquerait pas de faire penser à des sources d'argent inavouables.
D'après le nouveau statut, tout magistrat a droit à des avantages familiaux et à des indemnités: indemnités de risque, de scolarisation de ses enfants, d'entretien, de transport, de prestations familiales. Tout magistrat a encore droit à un logement; à défaut, il bénéficiera d'une indemnité représentative de loyer. L'Etat prend également en charge et en totalité les frais de santé, y compris les frais d'hospitalisation et les frais d'évacuation sanitaire des magistrats traités dans les hôpitaux publics ou privés ou à l'étranger.
Existe-t-il de la corruption? L'opinion publique ne cesse d'alerter le ministère de la Justice et les autres institutions sur la corruption qui toucherait de manière générale l'administration à Madagascar. Des critiques sévères, les plus corrosives et les plus nuisibles, sont faites également aux magistrats. C'est pour cette raison que l'actuel ministre de la Justice, M. Imbiki Anaclet, a fait des efforts pour moraliser la profession et a ouvert des enquêtes au sujet de doléances reçues contre des magistrats. Evidemment, les magistrats visés se considèrent injuriés par ces enquêtes, et ils protestent. Cependant, des magistrats ont été surpris en flagrant délit de corruption, arrêtés, placés sous mandat de dépôt et condamnés définitivement.
Le magistrat, serviteur du droit, qui a pour mission de rendre la justice, doit mener une vie extra-professionnelle exemplaire. Ainsi, il doit suivre une ligne de conduite dictée par certaines considérations. Lors d'une affaire à traiter, il doit éviter de se montrer avec l'une ou l'autre des parties en cause, leur avocat ou leurs proches, parce que cela ne manquerait pas de donner lieu à des commentaires. Il doit aussi éviter d'adopter publiquement un comportement politique partisan. De même, il doit absolument s'interdire des agissements susceptibles d'être jugés tribalistes ou méprisants par la société.
Il existe à Madagascar un barreau depuis le temps de la colonisation française: le premier arrêté instituant le barreau de Madagascar est daté de 1937. Une loi a réorganisé la profession en 1967.
Aujourd'hui, on compte 336 avocats, dont 229 titulaires et 107 stagiaires. La cour d'appel est l'autorité de tutelle du barreau. Les cabinets des avocats sont inspectés annuellement. L'inspection tend surtout à vérifier qu'ils tiennent un registre des affaires dont ils ont été chargés.
Comme les magistrats, les avocats doivent agir avec doigté et correction. A l'audience, le parquet d'instance doit veiller à ce que les avocats déposent leurs conclusions dans les délais légaux. Tout dernièrement, il fut accepté que l'avocat puisse assister son client pendant les instructions au niveau même de la police judiciaire, pour éviter les arrestations arbitraires. Dans certains cas, la défense gratuite est accordée à une personne risquant d'être condamnée à plus de cinq ans de détention, ou à une personne qui se trouve dans l'impossibilité de payer des honoraires d'avocat. Dans ces cas, la cour criminelle demande auprès de l'ordre des avocats le droit de défense à la personne jugée, et il appartient à l'ordre de désigner un avocat.
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