ANB-BIA SUPPLEMENT - ISSUE/EDITION Nr 337 - 01/01/1998

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ISSUE/EDITION Nr 337 - 01/01/1998

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Mali

Une justice à deux vitesses

by Alexis Kalambry, Mali, octobre 1997

THEME = JUSTICE

INTRODUCTION

La justice malienne est sévèrement jugée par les citoyens, et même par les spécialistes de la question. Si les textes de loi garantissent sa liberté, elle la compromet tous les jours
par des actions qui ternissent son image de marque.

Un contentieux opposait deux citoyens. Le premier, pour faire pencher le juge de son côté, lui apporta discrètement une gourde de miel. L'ayant appris, le second protagoniste s'empressa d'offrir au juge un taureau. Le lendemain, ce fut bien entendu celui qui avait offert un taureau qui gagna le procès. A l'annonce du verdict, l'autre s'écria: "Depuis hier, je savais que le taureau avait brisé ma gourde de miel".

Propos d'humoristes ou de malveillants, un fait demeure: les Maliens n'ont pas confiance dans la justice de leur pays. Pourquoi? Les explications varient. L'homme de la rue est très direct: "La justice, c'est à la tête du client. Il n'y a pas de justice pour les pauvres dans ce pays", affirme un jeune homme qui dit avoir eu des problèmes avec des magistrats. "Il n'y a qu'à voir le train de vie des juges pour se rendre compte que ce ne sont pas des gens qui vivent de leur seul salaire", ajoute un autre.

Pour A.D., économiste, la justice n'est pas indépendante: "Il y a des forces qui font tout pour la dominer, mais, d'une manière générale, elle-même ne veut pas trop de cette liberté. Les juges maliens sont bien payés, et pourtant, ils sont nombreux; ils ne se gênent pas pour prendre de l'argent". "La justice malienne est à deux vitesses. C'est comme dans les fables de La Fontaine: selon que vous êtes riche ou pauvre, la justice vous rend blanc ou noir".

Indépendance et responsabilité

Il faut remarquer que, si on remet facilement en cause la liberté de ceux qui sont chargés de rendre la justice, il n'en est pas de même pour la justice elle- même. "Le système judiciaire malien est organisé de telle manière que les magistrats soient indépendants. Mais ce n'est certainement pas le cas des juges".

Le bâtonnier de l'ordre des avocats du Mali, Me Kassoum Tapo, affirmait en février dernier, lors de la rentrée judiciaire, que "l'affirmation du principe de liberté s'accompagne d'un corollaire, celui de la responsabilité en cas d'abus. Aucune déclaration, aucune constitution ou législation ne consacre la liberté".

Daniel Tessougué est le président du syndicat autonome de la magistrature. Il est formel: "La justice malienne est indépendante. Mais les juges veulent-ils de cette indépendance? Peuvent-ils l'assumer? L'indépendance de la justice est une notion philosophique difficile à cerner, mais les textes qui nous régissent établissent l'Etat de droit".

La justice et les juges sont estimés différemment. Certes, ce sont les seconds qui influent sur la notoriété de la première, mais, autant le système judiciaire est apprécié par tous, autant la liberté des juges est contestée, du fait de leur comportement.

Organisation

Au Mali il y a trois niveaux de juridictions: les tribunaux de premier degré, ceux du second degré et la Cour de cassation qui n'intervient qu'en dernière instance. Il y a aussi la Cour constitutionnelle, qui n'est pas une cour de juridiction, mais qui juge de la constitutionnalité des lois.

La Constitution du Mali, en son article 89, affirme que "le pouvoir judiciaire est indépendant des pouvoirs législatif et exécutif". Et le président du syndicat déclare: "Dans son travail, le juge n'est soumis qu'à l'autorité de la loi. Il n'a pas d'autres barrières de fait".

Selon Me Seydou Maïga, secrétaire du barreau malien, il y a environ 520 avocats inscrits au barreau, et les rapports avec les magistrats sont "très bons". C'est également l'avis de l'association malienne des droits de l'homme (AMDH), qui, avec la section malienne de la ligue africaine des droits de l'homme et des peuples, constitue la structure défendant les droits de l'homme au Mali.

Le Mali compte environ 300 magistrats pour une population estimée à 10 millions d'habitants. Si on compte dans ce lot les juges administratifs, ce chiffre est en-dessous de la norme, qui se situe à environ un magistrat pour 20.000 habitants.

Le statut de la magistrature est bien défini et clairement scindé. Les magistrats sont certes nommés par le président de la République, mais le décret est pris, non pas en conseil des ministres comme c'est le cas dans certains pays, mais lors du conseil supérieur de la magistrature.

Pour être magistrat, le chemin est long. Il faut, en effet, avoir au minimum une maîtrise en droit et passer un examen. C'est après celui-ci que le futur juge prend des cours à l'école de formation des magistrats pendant 18 mois. Il fait alors un stage d'un an, à la suite duquel il passera un examen de classement et aura une confirmation dans son statut de magistrat.

Le conseil supérieur de la magistrature comprend 17 membres. 8 sont des membres de droit, les 9 autres sont élus par leurs pairs. Le conseil de discipline qui sanctionne les magistrats en cas de faute ne peut pas siéger sans un minimum de 6 membres élus.

Liberté et moyens

"Toutes ces précautions ont pour but de garantir la liberté des magistrats", affirme Daniel Tessougué, président du syndicat de la magistrature. "Précédemment, les avancements se faisaient au choix. Aujourd'hui, ils se font tous les deux ans, en fonction de la note que l'on reçoit".

Mais les magistrats veulent-ils de cette liberté? "Non, affirme M. Tessougué. Alors que toute une série de textes assurent l'indépendance aux magistrats, leur comportement fait penser à autre chose. Il y a un hiatus entre le peuple et la justice. A moins que la mission de la magistrature ne soit incomprise à la fois des juges et des citoyens".

Parmi les faits qui aliènent l'indépendance des juges, on cite "la volonté perverse de s'enrichir". Daniel Tessougué renchérit: "Lorsque l'argent entre dans le prétoire, la justice en sort par la fenêtre". La "course aux postes juteux" est également citée.

"C'est scandaleux de voir la cour que font les magistrats aux hommes politiques pour se faire envoyer à des postes qu'ils jugent financièrement plus rentables", affirme un autre juge. "Quand on fait la courbette pour avoir un poste, peut-on encore parler d'indépendance?"

Les magistrats maliens peuvent-ils assumer cette liberté? "Non", assure-t-on toujours du côté des gens de robe. Mais, cette fois, c'est surtout l'Etat qui est accusé. "Quand on veut obtenir des résultats, on met les moyens. Or les moyens mis à la disposition des magistrats ne permettent pas d'avoir les résultats souhaités", déclare le juge du tribunal de la commune VI. "On se pose la question de savoir si l'Etat veut vraiment nous laisser travailler".

Certes, les sections détachées des tribunaux viennent toutes d'avoir des sièges, mais elles sont restées longtemps en location dans des maisons exiguës, où l'on retrouvait le juge partageant son bureau avec deux ou trois autres personnes.

END

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