by Kenneth Dareng, Nigeria, octobre 1997
THEME = JUSTICE
Lors d'une session spéciale de la Cour suprême, tenue pour la prestation de serment de nouveaux avocats seniors du Nigeria, ainsi que pour marquer le début de la nouvelle année judiciaire, le premier président de la Cour, le juge Mohammed Uwais, a fait quelques révélations alarmantes au sujet de la Cour suprême. La Cour souffre d'un manque de juges, une situation qui impose aux quelques juges disponibles un excès de travail pour venir à bout du nombre croissant d'affaires en attente. M. Uwais constate qu'il n'y a que sept juges à la Cour suprême au lieu des seize qui seraient nécessaires. "Si l'on considère l'âge des juges, qui doivent rester en fonction jusqu'à 70 ans (auparavant, l'âge de la retraite était fixé à 65 ans) et doivent encore rendre des jugements bien motivés pouvant supporter l'épreuve du temps, le moins qu'on puisse dire c'est que nous sommes surmenés. La situation actuelle n'est ni souhaitable, ni idéale".
M. Uwais révéla que le délai moyen pour qu'une affaire passe en Cour suprême peut être de six à sept ans, et il estimait que les 125 affaires en appel devant la Cour suprême au cours de l'année judiciaire 1996-1997 pourraient ne pas passer avant l'année 2003.
Le juge Uwais a demandé que l'on nomme plus de juges à la Cour suprême, prévenant que si on n'obtenait pas tout le complément requis, moins de cas d'appel passeraient devant la Cour. Une situation qui, disait-il, est tout sauf satisfaisante car "justice remise est aussi justice refusée".
La majorité des Nigérians partagent le souci du juge Uwais et sont consternés de ce que la Cour suprême se trouve en pareille situation. L'avocat John Magaji affirme: "C'est une situation effarante. Le Nigeria compte de nombreux bons juristes, tout à fait qualifiés pour siéger à la Cour aux niveaux les plus élevés".
Les gens ne parviennent pas à comprendre les raisons des retards dans les nominations de juges de haut niveau, surtout qu'ils savent que l'on a fait les recommandations voulues au chef de l'Etat, le général Sani Abacha.
Les analystes politiques mettent vite le doigt sur le fait que, si le premier magistrat du pays est obligé de rendre publiques les difficultés de la Cour suprême, cela en dit long sur les problèmes que la justice du Nigeria doit affronter. C'est pourquoi, beaucoup pensent que la communication normale entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif s'est détériorée et que le président de la Cour suprême a parlé, poussé par la frustration. Il se pourrait que le courant ne passe plus entre le chef de l'Etat et le plus haut magistrat.
L'avocat Magaji faisait remarquer que le gouvernement fédéral ne peut justifier ce manque prolongé d'intérêt pour ce qui, après tout, est un problème qui touche beaucoup de citoyens. M. Uwais a fait connaître l'état critique de la Cour suprême le 15 septembre 1997. Depuis lors, le gouvernement fédéral n'a accordé aucune attention au problème et le président a, lui aussi, gardé un silence incompréhensible.
Il y a un certain nombre d'affaires politiquement sensibles actuellement en souffrance devant la Cour suprême. Par exemple, il y a deux affaires auxquelles est mêlé Mr M.K.O. Abiola, connu comme le vainqueur aux élections présidentielles du 12 juin 1993 (les résultats ont été annulés). Ces deux affaires concernent des violations des droits fondamentaux de l'homme dont M.Abiola serait la victime. Mais on sait que la majorité des juges actuels de la Cour suprême se sont déclarés eux- mêmes non qualifiés pour siéger dans les affaires de M. Abiola parce que, disent-ils, ils traitent déjà un procès en diffamation concernant le Concord Press of Nigeria Limited, dans lequel M. Abiola a des intérêts.
Si seulement le gouvernement avait complété le nombre requis de juges pour la Cour suprême, d'autres juges auraient pu reprendre les affaires d'Abiola et la justice aurait été mieux servie.
Les cinq partis politiques enregistrés par le gouvernement se préparent à une importante épreuve de force avec le gouvernement fédéral militaire. La controverse tourne autour des tribunaux électoraux qui avaient été créés pour instruire et juger les pétitions concernant les élections des conseils locaux de mars 1997. Chacun de ces tribunaux était présidé par un juge de la High Court assisté par trois praticiens juridiques qualifiés, ayant chacun au moins douze ans d'expérience professionnelle.
Mais peu après la fin des séances des tribunaux électoraux à travers le pays, le Conseil de gouvernement provisoire (PRC), l'organisme de décision le plus élevé du gouvernement militaire du général Abacha, a suspendu toutes les décisions des tribunaux électoraux. Selon le PRC, il y aurait eu des cas de corruption et des malversations dans ces tribunaux dans certains Etats. Comme les juges de la High Court présidaient ces tribunaux, le monde judiciaire est maintenant l'objet de suspicion quant à son intégrité.
Mr Fred Agbaje, avocat, note que toute allégation de corruption contre un tribunal est une affaire sérieuse et on ne peut pas l'enterrer. "Une fois que les gens commencent à perdre confiance dans le système judiciaire, la voie de l'anarchie est ouverte. On ne peut jamais dispenser la justice "selon le système du supermarché"".
Depuis que le général Abacha a repris le pouvoir, la justice du Nigeria a connu beaucoup d'interventions du gouvernement. Le système judiciaire est malade de ce qu'on ne peut décrire que comme des "ulcères politiques". Les High Courts et les juridictions inférieures prononcent des jugements, mais ensuite le gouvernement dicte ce qu'il en sera réellement. Les juges, les magistrats et les avocats qui ne sont pas prêts à chanter les louanges du gouvernement sont considérés comme des "propres à rien", on leur refuse rapidement toute promotion ou on les envoie à la "retraite anticipée".
Les avocats considérés comme "anti- gouvernement" ou "pro-démocratie" n'ont aucun espoir de jamais siéger comme juges ou d'être désignés comme avocats seniors du Nigeria. Par exemple, des avocats des droits de l'homme comme Gani Fawehinmi, Femi Falana et Olu Onagoruwa ont subi toutes sortes d'humiliations de la part du gouvernement actuel.
Gani Fawehinmi est bien connu pour sa position sans compromis à l'égard du régime militaire. Il a été emprisonné, torturé et on a attenté à sa vie. Mais n'eussent été ses opinions au sujet des droits de l'homme, il y a longtemps que Gani aurait été désigné comme avocat senior du Nigeria. Alors les Nigérians, les jeunes surtout, ont pris les choses en mains et l'ont sacré "Avocat senior des masses"!
Le système judiciaire du Nigeria a besoin d'un "grand nettoyage". Le ministère de la Justice doit changer d'attitude. Ce devrait être un ministère veillant à l'administration correcte de la justice au Nigeria. Il ne devrait pas être là pour faire voter des lois de détention.
Il faut améliorer les conditions de travail et fournir un équipement moderne aux tribunaux. Il faut faire quelque chose pour diminuer l'arriéré de dossiers, soit que les affaires attendent encore de passer, soit qu'elles prennent trop de temps devant les tribunaux. En effet, il y a beaucoup trop d'affaires et tout doit encore être écrit à la main. Il faut aussi s'occuper de la situation des juges eux-mêmes. Un ancien avocat général, Olu Onagoruwa, dit que les juges devraient avoir la sécurité d'emploi et la sécurité physique. Ils devraient bénéficier d'une atmosphère leur permettant de se consacrer à leur travail sans craindre le harcèlement du dehors.
Les Nigérians attendent que le général Abacha restaure la confiance dans le système judiciaire du pays afin que la maxime judiciaire "Tout accusé est censé être innocent jusqu'à preuve du contraire" devienne réalité au Nigeria.
END