ANB-BIA SUPPLEMENT - ISSUE/EDITION Nr 337 - 01/01/1998

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ISSUE/EDITION Nr 337 - 01/01/1998

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Togo

Une justice qui doit être repensée

by Pascal K. Dotchevi, Togo, octobre 1997

THEME = JUSTICE

INTRODUCTION

La Constitution togolaise garantit la liberté à tout Togolais.
Elle prévoit une justice libre et accessible à tous. Et pourtant!

"Nul ne peut être arbitrairement arrêté ou détenu...", ou encore "tout prévenu ou accusé est présumé innocent jusqu'à ce que sa culpabilité ait été établie à la suite d'un procès qui lui offre les garanties indispensables à sa défense". C'est ce qu'affirme la loi fondamentale en ses articles 15 et 18.

Cependant c'est le contraire que l'on vit. Au point que certains observateurs parlent d'une crise ou d'une carence de justice au Togo. Comment peut-on expliquer cette dérive, malgré les multiples garde-fous prévus par la loi et malgré la bonne formation des cent sept magistrats et des soixante-quatorze avocats inscrits?

N'est pas magistrat qui veut

La loi organique N§ 96-11 du 21 août 1996 portant statut des magistrats prévoit les conditions de recrutement des magistrats. Il faut d'abord avoir une maîtrise en droit, ensuite intégrer, sur concours, l'Ecole nationale d'administration pour deux ans de formation en magistrature. Après cela intervient le recrutement "sur proposition du garde des Sceaux, après avis du Conseil supérieur de la magistrature (CSM)".

Pour les nominations, il y a deux cas de figure. Les magistrats du siège sont nommés par décret pris en Conseil des ministres sur proposition du CSM; tandis que ceux du parquet le sont par décret pris en Conseil des ministres, sur proposition du ministre de la Justice après avis du CSM.

En ce qui concerne l'indépendance de ces magistrats, la loi tranche la question encore de deux façons. "Le magistrat du siège est inamovible. En conséquence, il ne peut recevoir une affectation nouvelle, même en avancement, sans son consentement préalable... Dans l'exercice de leurs fonctions juridictionnelles, ils ne peuvent recevoir des instructions hiérarchiques", stipulent les articles 3 et 4 de la loi organique. Par contre les magistrats du parquet sont placés "sous la direction et le contrôle de leurs chefs hiérarchiques et sous l'autorité du garde des Sceaux". Ils sont en outre "tenus par les instructions données par l'autorité hiérarchique pour le dépôt de leurs réquisitoires écrits". Néanmoins, à l'audience "leur parole est libre".

Dépendance financière et politique

"La justice togolaise souffre de l'influence politique et du pouvoir de l'argent", souligne un haut magistrat du syndicat des magistrats du Togo (SMT). En effet, malgré les conditions de nomination et de promotion clairement définies par la loi, l'exécutif passe outre pour asseoir "ses juges". Au moment même où nous écrivons, il y a un bras de fer entre le SMT et le ministre de la Justice concernant certaines affectations. Le syndicat a même introduit un recours gracieux pour ramener le garde des Sceaux à la légalité; en vain.

L'article 18 de la loi organique prévoit que "la présidence, la vice-présidence, le parquet et l'instruction dans les tribunaux de troisième, deuxième et première classe, ne peuvent être occupés respectivement que par des magistrats de troisième, deuxième et premier grade dans le souci scrupuleux de leur ancienneté et de leur aptitude".

Partant de là, le SMT relève que les tribunaux de première instance de deuxième classe de Dapaong, Kara, Sokodé, Atakpamé et Aneho, les principales villes du pays, sont "occupés par des magistrats n'ayant pas les grades requis". Certains postes, qui ne peuvent être pourvus que par décret pris sur proposition du CSM, l'ont été en violation de ces dispositions.

Pour les affaires courantes, comme les vols ou les abus de confiance, il n'y a pas trop d'influence de la part de l'exécutif. Mais il n'en va pas de même pour les affaires d'argent: "Beaucoup de juges succombent à la corruption. Ils se déplacent dans des grosses cylindrées; et pourtant nous avons les mêmes salaires. Ceux qui refusent la voie de la facilité, sont envoyés au "garage". C'est pour cela que nous nous battons pour un salaire conséquent", souligne un juge de la cour d'appel de Lomé.

Pour d'autres dossiers cependant, les juges qui en ont la charge sont "bien choisis". Dans des affaires d'offense ou de diffamation du chef de l'Etat, par exemple, un journaliste n'échappera jamais à la condamnation. "C'est un système hautement politisé", affirme un avocat. Car, soutient-il, "les juges du siège qui doivent normalement bien travailler parce qu'indépendants, ne le font pas. Prenez les présidents ou les vice- présidents des juridictions de Lomé: ils sont tous des militants du pouvoir en place".

"Pour plus de quatre millions deux cent mille habitants, nous ne sommes que 107 magistrats", souligne un haut fonctionnaire au ministère de la Justice. "Le comble c'est que parmi ce petit nombre, il y a beaucoup de piètres et d'assoiffés d'argent. Malheureusement, ce sont eux qu'on retrouve à la tête des juridictions du pays".

"Le procureur de la République, qui est le chef de la police judiciaire", renchérit un professeur de droit "et qui décide donc des personnes à poursuivre et désigne les juges pour les affaires, est sous la botte du pouvoir en place". De plus, ce procureur ne contrôle pas effectivement la police judiciaire. Il demande parfois la libération d'un détenu par manque de preuve. "Mais les officiers de police n'en font qu'à leur tête", ajoute le professeur.

Ceux qui jouent le rôle de chef de cette police judiciaire, ces derniers temps, n'ont pas la poigne nécessaire pour s'imposer devant les officiers supérieurs qui excellent dans l'arbitraire, révèle un avocat. Le code de procédure pénale en vigueur au Togo prévoit une garde à vue n'excédant pas 48 heures, sauf autorisation du procureur de la République, qui peut accorder une autre durée de 48 heures. Mais force est de constater que des gens croupissent dans les commissariats des dizaines de jours, sans ménagement.

En outre, en matière pénale, la loi autorise l'inculpé à être assisté par son avocat lors des enquêtes préliminaires et devant le juge d'instruction. Mais les officiers de police sont très réticents à l'admettre. "Nous ne sommes pas contre. Nous souhaitons simplement que cette pratique soit réglementée pour éviter des dérapages comme cela se passe actuellement", justifie cet officier de gendarmerie.

La dernière bataille des magistrats

Le salaire d'un magistrat qui a passé tous les grades (l'équivalent d'au moins vingt ans de carrière) n'excède pas 200.000 fcfa, soit 2.000 francs français. "Pourtant on travaille comme des fous", souligne un juge d'instruction. Depuis la promulgation de la loi organique du 21 août 1996, les magistrats attendent toujours le décret du Conseil des ministres devant fixer le montant de leur nouvelle rémunération. Certains ministres auraient trouvé trop élevés les montants de salaires proposés par les magistrats. Mais si l'on veut une justice libre et vraiment indépendante, il faut offrir aux juges des conditions de vie décentes.

En attendant que nos dirigeants comprennent cela, les pauvres citoyens continuent à faire les frais de cette dépendance des juges. Mais le vrai défi de cette justice, c'est qu'elle puisse un jour juger les auteurs (parfois à visage découvert) des innombrables assassinats politiques qui ont émaillé le processus démocratique au Togo.

END

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