ANB-BIA SUPPLEMENT - ISSUE/EDITION Nr 337 - 01/01/1998

ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 337 - 01/01/1998

CONTENTS | ANB-BIA HOMEPAGE


Zimbabwe

Un pouvoir judiciaire ouvert à tous les abus

by Augustine Deke, Zimbabwe, septembre 1997

THEME = JUSTICE

INTRODUCTION

Dans un pays où la plupart de ses habitants ignore tout sur l'interprétation de la Constitution,
le pouvoir judiciaire est exposé aux manipulations d'un gouvernement qui détient trop de pouvoirs

Depuis l'indépendance, en 1980, on a apporté 14 amendements à la Constitution du Zimbabwe; mais les Zimbabwéens n'ont été consultés que sur un seul de ces amendements. C'est évidemment une situation qui ne peut durer.

Au début de 1997, des citoyens ont formé une Assemblée constitutionnelle nationale (NACOASS), ayant comme but d'apprendre à la nation ses droits, tels qu'ils figurent dans la Constitution. Le principal souci de la NACOASS est que les Zimbabwéens aient leur mot à dire sur la façon dont il faut interpréter la Constitution.

Les citoyens sont très préoccupés par ce qui se passe "en haut lieu". C'est le parti au pouvoir, le ZANU-PF, qui prend toutes les décisions au sommet; elles sont adoptées ensuite par le cabinet de Mugabe, et finalement approuvées, sans discussion, par le Parlement.

Formation à la carrière judiciaire

Avec en arrière-fond la situation décrite plus haut, jetons un coup d'oeil sur le monde judiciaire du pays. Le Zimbabwe, avec près de douze millions d'habitants, a trois juges de Cour suprême, dont deux femmes. La Haute Court compte 25 juges; et il y a 300 magistrats travaillant pour le service public. Ceux qui souhaitent entrer dans le service judiciaire doivent obtenir une licence à l'université du Zimbabwe ou être diplômés du Collège judiciaire du Zimbabwe, fondé par le gouvernement britannique qui continue à patronner la formation juridique qu'on y donne.

Le cursus du Collège judiciaire pour futurs magistrats consiste en 18 mois de cours théoriques, plus une année de formation en stage. Lorsqu'ils ont obtenu le diplôme, les magistrats s'adressent au service public pour y obtenir un emploi. S'ils sont acceptés, ils deviennent fonctionnaires au ministère de la Justice.

Pour devenir juge, il faut avoir au moins sept ans de pratique dans la profession juridique; mais les nominations sont faites par le président Mugabe, après consultation de la Commission du service judiciaire (JSC) comme c'est stipulé dans la section 84 de la Constitution. A souligner que la JSC est aussi nommée par le président.

Les avocats ont leur propre association: la Société juridique du Zimbabwe (LSZ). La JSC agit indépendamment du ministère de la Justice, et se compose du premier président à la cour d'appel, du président de la Commission du service judiciaire (PSC), du procureur général et de trois juges au plus, qui siègent actuellement ou ont siégé comme juges soit à la High Court soit à la Cour suprême.

Rémunération

Les magistrats étant des fonctionnaires, sont soumis "au bon plaisir" de la PSC. Leur traitement de départ est très maigre, avec comme résultat que beaucoup d'entre eux quittent l'état de fonctionnaire pour travailler comme avocats auprès de firmes juridiques privées. Selon un magistrat: "Nos traitements sont autant que rien, quand on les compare à la somme de travail que nous devons abattre. Je ne m'étonne pas que certains acceptent des pots-de-vin pour nouer les deux bouts." Ils peuvent d'ailleurs être engagés et révoqués à volonté.

Par contre, les juges, eux, sont bien payés par le Consolidated Revenue Fund (CRF), conformément à la section 88 de la Constitution du Zimbabwe. L'âge de la retraite pour les juges est de 65 ans; mais les circonstances peuvent imposer une retraite "prématurée".

Le citoyen et la loi

Sur papier, les droits du citoyen pourraient sembler bien protégés par la loi. Avant d'arrêter quelqu'un, la police doit obtenir un mandat d'un magistrat. Les citoyens arrêtés à tort sont en droit de poursuivre la police et de réclamer des indemnités au gouvernement. Après l'arrestation, l'accusé doit comparaître au tribunal le premier jour où le tribunal siège. Si le dossier du procureur n'est pas prêt, on demande au magistrat d'accorder le renvoi. En principe, un citoyen ne peut être gardé en détention plus de 48 h. Après ce délai, un nouveau mandat est requis.

Un accusé est autorisé à consulter immédiatement un avocat avant de faire une déclaration, et doit avoir suffisamment de temps pour préparer sa défense avec son avocat. L'avocat de l'accusé doit être informé de la date où son client doit comparaître. Si l'accusé n'a pas les moyens de payer un avocat, l'Etat lui fournira une aide légale, selon la gravité du cas.

On accorde la liberté provisoire à trois conditions: 1) si le délit n'est pas trop grave; 2) s'il est prudent de supposer que l'accusé ne va pas intervenir auprès des témoins; 3) s'il est prudent de supposer que l'accusé ne va pas se soustraire à la justice. La liberté provisoire sans caution n'est accordée que quand l'accusé n'a pas assez d'argent pour garantir qu'il se présentera au tribunal. La liberté provisoire est généralement refusée quand il s'agit d'un crime contre l'Etat ou d'autres délits graves tels que le viol, le meurtre, le cambriolage ou des voies de fait.

Pour renseigner les gens en général sur ce qui concerne la loi et leurs droits, le gouvernement a créé la Fondation de documentation légale, qui fournit gratuitement informations et avis.

Indépendance - un fait ou une fiction?

Toutefois, il n'est pas évident que le pouvoir judiciaire soit vraiment indépendant. Bien que l'on fasse croire aux Zimbabwéens que personne n'est au-dessus de la loi, la Constitution accorde l'immunité présidentielle dans certains cas au président en fonction, le plaçant ainsi au-dessus de la loi.

Ainsi, le président n'est pas personnellement responsable d'un délit civil ou d'un crime commis durant sa présidence (Section 30, 1). Il peut accorder la grâce pour tout jugement prononcé par la Cour suprême ou par tout autre tribunal. Il a le pouvoir de suspendre l'exécution d'un jugement pour la durée qu'il veut, de remplacer une condamnation par une condamnation moins lourde, de suspendre un jugement, de gracier.

Le président Mugabe ne s'est certainement pas privé d'utiliser les pouvoirs présidentiels que lui accorde la Constitution. Lors des secondes élections nationales du Zimbabwe, en 1990, deux agents secrets, Mr Kanengoni et Mr Chivamba, ont blessé à coups de feu Patrick Kombayi, du Mouvement de l'unité zimbabwéenne (ZUM) de l'opposition: le président les a graciés sans problème. En avril 1996, le gouvernement a utilisé illégalement des fonds publics tenus en fidéicommis par le tribunal d'instance: l'argent des comptes de dépôts temporaires a été utilisé pour financer la campagne électorale du président. (Note: Les "comptes de dépôts temporaires" sont des fonds de fidéicommis, gérés et administrés par les Magistrates Courts et la High Court. L'argent de ces comptes représente l'argent des amendes, des cautions, des pensions alimentaires, des veuves et un fonds de tutelle pour les orphelins). Malgré toutes les demandes de la Société juridique du Zimbabwe pour que l'on enquête sur ce scandale, rien n'a été fait jusqu'ici.

Comme nous l'avons déjà signalé plus haut, les juges sont nommés par le président, après consultation de la Commission du service judiciaire (JSC) et c'est le président qui désigne le JSC. Comment peut-on alors parler d'un pouvoir judiciaire indépendant?

Pour la préparation de cet article, nous avons interviewé des magistrats en activité et d'anciens magistrats: tous ont demandé l'anonymat de peur de perdre leur emploi: "Rappellez-vous que la loi n§ 25 de 1995 sur les tribunaux et autorités judiciaires (loi des restrictions d'intérêt public) interdit la publication des actes des tribunaux et des autorités judiciaires. Si nous y contrevenons, nous sommes révoqués!", dit un des magistrats. Le gouvernement a promis aux magistrats qu'ils pourraient agir en tant que corps indépendant. Mais la promesse est loin d'être réalisée. Il n'y a pas plus clair!

END

CONTENTS | ANB-BIA HOMEPAGE


PeaceLink 1998 - Reproduction authorised, with usual acknowledgement