ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 339 - 01/02/1998

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Mauritanie

Le retour des vieux démons


by Alexis Gnonlonfoun, Bénin, novembre 1997

THEME = MEDIAS

INTRODUCTION

Début octobre 1997, l'hebdomadaire "Mauritanie Nouvelles"
était frappé d'interdiction de parution pendant 3 mois. Sans explication.

L'hebdomadaire "Mauritanie Nouvelles" ne rouvrira ses pages à ses lecteurs qu'après les élections présidentielles de décembre 1997. Et pour cause!

Une telle décision - tombée comme un couperet sur la tête des dirigeants de ce journal - pose encore aujourd'hui le problème de la liberté de la presse dans ce pays. Pourtant, la Constitution du 20 juillet 1991 reconnaît le droit des citoyens à une libre information. Alors, quel regard peut-on jeter sur la presse mauritanienne? On dit qu'elle est libre, mais dans les faits, on s'aperçoit qu'elle ne va pas tellement bien.

On sait que, la plupart du temps, les autorités se réfugient sous l'article 11 de l'ordonnance sur la presse qui permet de censurer les écrits jugés "contraires aux intérêts du pays". En Mauritanie, cela pose toute une série de problèmes complexes, sans pour autant leur fournir de véritables solutions. Quelles sont les limites exactes de la liberté dont disposent les journalistes dans le cadre de leur vie professionnelle et inversement? Dans quelle mesure le gouvernement se trouve-t-il engagé par les activités zélées de certains de ses fonctionnaires à part entière? Ces questions essentielles font l'objet, depuis bientôt cinq ans, de prises de position contradictoires et de controverses passionnées.

Baisse de crédibilité

Il semble qu'actuellement il y ait en effet une tentative de reprise en mains; mais il faut constater aussi que certains confrères y prêtent le flanc. Cela demande une "décision inébranlable" du pouvoir qui est ainsi placé devant un choix. Il s'agit donc d'une question d'ordre politique et d'une prise de position vis-à- vis de certains journaux, supposés en faveur d'un engagement politique d'opposition.

Cette situation conduit à une forte baisse de la crédibilité des informations rapportées par les médias. Principalement, elle tient d'une part au trop grand nombre d'informations relatées, et d'autre part au fait que les médias ne reflètent pas correctement l'opinion publique.

Mais cette perte de crédibilité provient aussi d'autres causes, comme la déformation de la réalité, le mélange d'informations et d'opinions, des comptes rendus tendancieux, une orientation excessive vers le sensationnel et la sensiblerie dans la relation des événements. Le contact de la population mauritanienne avec les médias et l'élargissement de sa connaissance et de sa curiosité des affaires sociales se sont considérablement accrus.

En six ans, plus de 140 titres ont vu le jour dans le pays. Aujourd'hui, seuls quelques rares journaux paraissent normalement. D'où ce constat amer: aussitôt la baraque ouverte aussitôt elle est fermée. Les moyens logistiques n'ont pas suivi. Les finances aussi ont grandement fait défaut. Une telle situation a favorisé la concurrence déloyale et la division, entretenue par les politiciens. Les journalistes n'ont pas d'autres choix.

De 1993 à 1996 on a assisté à la naissance de l'UPPIM (Union des professionnels de la presse indépendante), proche du pouvoir; de l'API (Association de la presse indépendante), dont les membres ne sont autres que des dissidents de l'ANPI (Association nationale de la presse indépendante). Ils finiront par se retrouver devant les tribunaux pour des querelles intestines.

Par ailleurs, l'Association de patrons de presse (APP), créée en 1994, ne parle pas le même langage que l'ANPI, qui a vu le jour en octobre 1991. Ce qui intéresse principalement les patrons, ce n'est pas la politique de la solidarité corporative, mais l'accroissement de leur influence dans la presse. Ils détournent les luttes des journalistes (considérés comme des employés) de leur véritable objectif, pour atteindre des objectifs politiques.

L'état de faiblesse dans lequel se trouvent certains journaux à la suite des dommages économiques causés par la non-parution de leurs publications est différemment apprécié. Les journaux les plus censurés sont "L'Eveil hebdo", "Al Akhabar", "Mauritanie Nouvelles". Auparavant, et sans aucune explication, les hebdomadaires "La Vérité" et "Al Bouchra" ont été fermés, et ils ne renaissent pas de leurs cendres.

A ce propos, pour pallier les difficultés, l'ANPI s'efforce, sans y parvenir pour le moment, de bouleverser l'ordre des choses. Et l'on voit se développer certains conceptions syndicales selon lesquelles la liberté de la presse ne peut devenir une réalité, que si la presse mauritanienne évolue vers une révolution à la fois sur le plan des structures juridiques et sur celui des structures économiques.

Aussi déplore-t-on le tour pris assez souvent par des conflits salariaux, tout en refusant de saisir les institutions compétentes de ces affaires qui doivent normalement se régler au niveau des partenaires sociaux.

Le droit à une libre information

Nul doute que la reconnaissance par le gouvernement du droit des citoyens à une libre information a rendu le travail de la presse privée plus riche, mais aussi ardu. Malgré tout, le travail du journaliste indépendant au sein de la grande presse prend une importance sans cesse croissante.

Point crucial, les journalistes ont besoin d'une formation non seulement sur le plan professionnel, mais aussi sur le plan éthique. Le problème est, certes, d'ampleur mondiale, mais la réponse à la question de la formation ne pourra être que d'ordre régional. L'ANPI a encore beaucoup à faire, face à cette question capitale.

Le gouvernement lui-même a parfois succombé à la tentation de distinguer à sa manière entre "bonne" et "mauvaise" presse, d'après le contenu rédactionnel de certains journaux. Au ministère de l'Intérieur, où le zèle a régulièrement cours, les "petits patrons" font la loi en s'opposant souvent à la publication de commentaires qui ne sont pas de leur goût. C'est dire qu'ils interviennent "unilatéralement" dans le travail journalistique. Ils considèrent des interventions de ce genre comme inhérentes à un légitime "co-pouvoir". L'opinion publique, pour sa part, ne comprend pas le fond des mesures de censure adoptées par le ministère de l'Intérieur.

En l'état actuel des choses, la conclusion est claire: moins il y a de journaux gênants, plus le système politique en place peut dormir sur ses lauriers. Et on assiste ainsi au retour des vieux démons. Cela fait partie du jeu politique. Alors, l'idéal, c'est que les journalistes s'autocensurent pour qu'il y ait moins d'absence de l'influence stimulante de la presse écrite.

END

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