by Yacinthe Diene, Sénégal, 22 novembre 1997
THEME = ARMES
Une arme largement utilisée dans les
zones de conflit va être interdite par le droit international.
Et cela, grâce aux ONG qui ont sensibilisé et
mobilisé l'opinion publique
sur le problème des mines antipersonnel.
La convention d'Ottawa visant l'interdiction totale des mines antipersonnel (MAP) sera signée par un grand nombre de gouvernements, notamment africains. Le texte de la future convention a déjà été élaboré et adopté par plus de 90 pays lors des deux conférences qui se sont tenues à Bruxelles (Belgique) et à Oslo (Norvège), à la fin du 1er semestre 1997.
On note cependant qu'il n'y a pas eu de position africaine commune sur ce problème des MAP, qui reste controversé au sein de la communauté internationale. Le rapport de 1997 de l'organisation des droits de l'homme Human Rights Watch, sur la politique des pays africains à l'égard des mines antipersonnel, révèle des points de vue différents: des pays comme le Nigeria, la Gambie, la Tunisie, la Libye, le Maroc et l'Egypte sont opposés au traité contre les MAP; d'autres, comme le Kenya, la Guinée-Bissau, le Niger, le Libéria, la République démocratique du Congo, Madagascar et Djibouti font des efforts pour appuyer le traité; et d'autres encore affichent une neutralité.
Voilà peut-être pourquoi la Rencontre africaine pour la défense des droits de l'homme (RADDHO ) a lancé récemment, à partir de Dakar, un appel afin que tous les Etats membres de l'OUA (Organisation de l'unité africaine), et le Sénégal en particulier, soient les premiers à signer la convention d'Ottawa. L'Afrique, en effet, est le continent actuellement le plus affecté par les MAP.
Aucune partie de l'Afrique n'est épargnée par les MAP, enfouies sous certaines pistes de brousse ou le long des frontières.
L'Egypte reste un des pays les plus minés au monde, avec 22,7 millions de munitions non explosées, enfouies dans son désert depuis la seconde guerre mondiale et la guerre des six jours, soit 25% des 110 millions de mines recensées dans le monde. Viennent ensuite l'Angola et le Mozambique avec respectivement 12 et 9 millions de mines éparpillées sur leur territoire. L'Angola détient le triste record du plus haut taux de blessés par mines, soit 70.000 mutilés pour une population de 9 millions d'habitants. Le Mozambique enregistre, lui, un millier de blessés par mines, depuis les accords de paix de 1992. Par ailleurs, sa frontière avec la Zambie reste impraticable, infestée par au moins 3 millions de mines.
A ces pays, on peut en ajouter d'autres. Le Tchad, dont certaines parties restent inaccessibles depuis l'invasion libyenne de 1993; l'Ethiopie et l'Erythrée, où on compte pas moins de 50 accidents par mois; le Burundi et le Rwanda, avec 1 millions de mines depuis 1992; la Sierra Leone, dont les routes ont été minées par les forces de l'ordre; le Libéria, où on compte bon nombre de victimes civiles; la Guinée-Bissau, dont la frontière commune avec le Sénégal est minée depuis la guerre de libération contre le Portugal...
C'est une véritable épée de Damoclès qui pèse sur le continent et ses habitants, car les MAP tuent et estropient civils et militaires, indistinctement. Actuellement, près de 250.000 personnes, dont 30% de femmes et d'enfants, sont victimes de ces engins qui freinent aussi développement, agriculture et élevage. Les paysans et les bergers, en effet, sont les catégories les plus exposées.
Si l'on sait que l'Afrique australe et l'Afrique du Nord sont saupoudrées de mines, on ne disposes que de très peu de données pour l'Afrique occidentale.
Il n'est pas facile de faire l'inventaire exact des MAP au Sénégal. L'armée sénégalaise n'a pas l'habitude de poser des mines. Mais le Mouvement des forces démocratiques de la Casamance (MFDC) a reconnu en avoir posé au hasard, sans recenser ou élaborer des plans de minage. En 1992 et 1993, deux camions civils ont été soufflés par des mines, et on enregistra alors les premières victimes dans le pays: 6 secouristes de la Croix-Rouge, et 30 militants du parti socialiste, qui allaient voter pour les élections présidentielles. Ensuite, entre 1995 et 1997, 3 véhicules militaires ont sauté sur des mines, avec 7 morts et 20 blessés graves, dont 10 prisonniers du MFDC qu'on convoyait à la prison de Ziguinchor.
L'année 1997 a été la plus sanglante, avec 29 morts, dont 10 militaires, et 87 mutilés, à cause d'une dizaine d'incidents sur les principaux axes routiers, au sud- est et au sud-ouest de Ziguinchor. Sous le coup de boutoir de l'armée sénégalaise, les maquisards, voulant pousser la population à l'exode et déplacer le théâtre des opérations vers le nord de la région, ont opté pour une stratégie de la terreur à l'aide de mines antichars.
Pour prévenir toute infiltration à partir de la frontière avec la Guinée-Bissau et démanteler toutes les bases rebelles, les autorités sénégalaises prirent alors la décision d'augmenter le dispositif militaire, en hommes et en matériel. Dès lors, une psychose s'est emparée de la population, surtout ceux qui vivent dans un rayon de 20 km autour de Ziguinchor. A ces populations on a imposé un périmètre de sécurité, avec la consigne "d'éviter les rizières, minées, et d'emprunter certains axes routiers, en leur préférant des voies d'eau maritimes et fluviales".
Le Sénégal est certes loin des situations qui prévalent dans certaines zones de conflit, ailleurs sur le continent, où les victimes se comptent par milliers. Cependant, comme partout ailleurs, la plupart des victimes ont trouvé la mort parce que les véhicules sur lesquels ils voyageaient ont sauté sur des mines antichars, en théorie destinées aux véhicules de l'armée.
Le problème humanitaire causé par les MAP est dénoncé par les ONG du Nord, qui interviennent dans le déminage, les soins de santé et l'assistance aux mutilés: Handicap International, Vietnam Veterans of America, Human Rights Watch, Comité international de la Croix-Rouge... Elles ont lancé une vaste campagne pour une interdiction totale des mines.
Les ONG du Sud, elles, se sont constituées en relais sur le continent. L'Union africaine des droits de l'homme, basée à Ouagadougou, et le RADDHO , basé à Dakar, ont mobilisé les gouvernements et l'opinion publique africaine. Déjà en 1995, ces deux organisations avaient introduit des résolutions auprès de la Commission des droits de l'homme et des peuples, à Addis- Abeba, qui les a adoptées. En octobre 1996, cette démarche aboutit à l'appel pour l'interdiction des mines antipersonnel, lancé lors du 10e anniversaire de l'entrée en vigueur de la charte africaine des droits de l'homme en Ile Maurice.
Pour l'heure, il est question de faire pression sur les Etats pour déclencher une adhésion massive au processus d'Ottawa. Le RADDHO et 'African Topic Magazine', de Londres, ont organisé, début novembre, un atelier sur "Médias et mines antipersonnel en Afrique" pour des journalistes de 14 pays sur les 16 que compte la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO).
Même si les pays africains ne sont pas parvenus à adopter une position commune sur la question des MAP, les ONG ont sensibilisé l'opinion des hommes politiques africains: ils ont tous participé à l'Assemblée des Nations unies du 10 décembre 1996, au cours de laquelle la résolution 51/45 a été adoptée par 156 voix pour, 0 contre et 10 abstentions.
Même après la signature de la convention d'Ottawa, les ONG ne devraient pas baisser la garde, puisqu'il y aura de nombreux pays non signataires et que les violations devront être dénoncées. Par ailleurs, les questions liées au déminage ne sont pas encore à l'ordre du jour. Ce qui veut dire que des actions sont encore à envisager pour l'avenir.
En définitive, on peut retenir que sauter sur une mine restera toujours un des dangers qui guettent les pauvres gens empruntant une route, une piste ou un sentier pour aller au travail...
END
PeaceLink 1998 - Reproduction authorised, with usual acknowledgement