ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 339 - 01/02/1998

CONTENTS | ANB-BIA HOMEPAGE



Tchad

N'Djaména : un gros village


by Missé Nanando, Tchad, octobre 1997

THEME = VIE SOCIALE

INTRODUCTION

Petite ville ou gros village, les traditions et la modernité cohabitent et se bousculent à N'Djaména

Le vendredi 3 octobre 1997, deux équipes de football des collèges de N'Djaména s'affrontent au quartier Chagoua pour les éliminatoires de la coupe scolaire. En pleine partie, l'arbitre siffle pour arrêter momentanément le match, car un troupeau de boeufs et de moutons traversent le terrain de foot. Les joueurs et les spectateurs restent de marbre, sans rouspéter en attendant le passage des bêtes et de leurs bergers. Deux expatriés américains présents n'y comprennent rien. "C'est la réalité de chez nous", leur lance juste à côté, un homme âgé, visiblement un enseignant. Et l'un des Blancs de lui répliquer: "Mais votre réalité ne colle pas avec le foot..."

Un petit tour dans N'Djaména suffit à dire que la capitale tchadienne est à la fois un gros village et une petite ville moderne. Gros village, en ce sens que ce n'est pas seulement la divagation des animaux qui donne son caractère rural à notre capitale. Bien d'autres aspects nourrissent cette impression.

L'aspect rural

En effet, lorsqu'on traverse certains quartiers de N'Djaména, on est parfois surpris d'entrer dans un champ de mil, de canne à sucre, d'arachides, de maïs ou de légumes. Les sentinelles qui veillent devant les bâtiments publics exploitent de petites surfaces pendant la saison des pluies pour semer, planter et cultiver. On voit cohabiter les tiges de mil aux feuilles vertes avec des bâtiments aux murs blancs. Les insectes prolifèrent à N'Djaména à cause de cette végétation rurale. Les alentours de l'université, de l'Institut supérieur des sciences de l'éducation et de l'Ecole nationale d'administration se transforment en champs de mil en saison des pluies.

Le caractère rural de N'Djaména se perçoit nettement à travers le développement d'une sorte de chefferie traditionnelle, qu'on appelle pompeusement "chefferie de race". Ce sont des hommes généralement âgés, cooptés dans des grandes familles ou des régions, qui assurent dans la capitale ce que les chefs traditionnels assurent aux villages. Ces chefs jouent le rôle de relais de l'administration. Ils rendent jugement avant les institutions judiciaires du pays. Ils sont très influents, à telle enseigne qu'il est rare d'entreprendre certaines initiatives sans leur consentement. Les différends liés au mariage, au vol, à l'adultère et aux grossesses indésirées sont le lot quotidien de leurs occupations. Selon beaucoup de Tchadiens, l'origine de cette institution est à rechercher dans le repli identitaire qui s'empare des gens au sortir des longs conflits que le pays a connus.

Un autre aspect et non des moindres qui fait de N'Djaména un gros village est le campement des nomades qui jouxte souvent les belles villas. Un contraste jamais égalé entre un mode de vie citadin et de gens qui se mêlent au bétail avec l'odeur âcre d'urine de chevaux et d'ânes. Tôt le matin, leurs vaches lancent de longs meuglements qui perturbent les temps de repos des voisins, surtout pendant les week-ends.

Mais la population semble s'habituer à ces bruits de bétail et de calebasses lorsque les femmes ou les enfants traient les animaux. Et même, quand ceux-ci vont au pâturage, on voit une longue file de voitures, de bicyclettes ou de motocyclettes attendre leur passage sur la grande voie. La question de l'urbanisation est ainsi posée. Celle-ci échappe complètement aux autorités communales par sa rapidité. Dans certains quartiers, une large voie peut déboucher directement dans une concession privée. On peut même glisser dans un bouta (eau dormante) si on ne fait pas attention...

Magie et traditions

Les pratiques magico-religieuses ne manquent pas non plus à N'Djaména. Alors qu'on pensait diminuer la pratique de la sorcellerie et autres magies avec les mosquées et les églises qui poussent comme des champignons ces derniers temps, on assiste plutôt à un développement étonnant de l'influence des attitudes et comportements villageois.

Aux carrefours des rues, sur le tronc de certains types d'arbres, on voit des brisures de calebasses ou de canaris, des morceaux d'écorces parfois plongées dans un liquide rougeâtre et mélangés à de la farine. Même devant les maisons de certains intellectuels, on voit pousser un certain type de plantes rares qu'on prend bien soin d'arroser. Pour des profanes, cela a valeur d'ornement. Or, il s'agit d'une plante totem qui peut protéger et enrichir la personne.

Certaines traditions néfastes continuent aussi de se perpétuer. Nous pensons à l'excision des filles. Malgré les textes gouvernementaux et les slogans des associations de la société civile contre cette pratique, les gens font le dos rond et continuent à exciser leurs filles. Après cette initiation, on les voit danser à travers les quartiers comme c'est le cas aux villages. Elles vont de domicile à domicile pour chanter et danser, et quémander de l'argent ou de la nourriture.

N'Djaména ressemble encore à un village de par ce qu'on observe dans les ménages. Ces derniers prennent le style des grandes familles villageoises, aux membres fort nombreux. Parmi ceux-ci on peut dénombrer des gens qui ne font rien, mais qui sont bien entretenus; ils mangent à leur faim, on leur achète des habits, on les soigne.

Plus inquiétant est le fait que toutes ces personnes vivent dans des endroits insalubres. Ils font leurs besoins partout en plein air. En août dernier, quand le choléra a commencé à sévir, les autorités municipales sont descendues dans les quartiers pour identifier et punir ceux qui ne se construisent pas des latrines.

Même si c'est un indice de pauvreté, le caractère rural de la capitale invite à une certaine réflexion. Comment se fait-il qu'en pleine mondialisation, et au moment où des initiatives de jumelages des villes se multiplient sous d'autres cieux, la capitale tchadienne s'apparente encore à un gros village? Pourtant, lorsqu'on fait une petite promenade au centre de la ville, on se trouve régulièrement nez à nez avec les grosses voitures Nissan Patrol ou Lagune et autres Safrane rutilantes. "Nous attendons l'économie tchadienne à l'ère pétrolière pour développer notre capitale", nous a lancé un jour un haut responsable du pays. Mais le développement est d'abord mental avant d'être économique.

END

CONTENTS | ANB-BIA HOMEPAGE


PeaceLink 1998 - Reproduction authorised, with usual acknowledgement