by Yvon Brulecoeur, Ile Maurice, décembre 1998
THEME = MEDIAS
Premiers pas vers une libéralisation des
transmissions radio-télévisées.
Et c'est déjà la guerre (commerciale) des ondes...
29 ans après son indépendance, l'île Maurice fait un grand pas dans la démocratie, en amorçant une libéralisation graduelle des ondes.
Depuis lundi 1er décembre, en effet, une première compagnie privée, la London Satellite Systems (LSS), propose la retransmission d'un bouquet de chaînes étrangères aux téléspectateurs mauriciens. De son côté, M. Mervyn North Coombes, président du conseil d'administration de la MBC (Mauritius Broadcasting Corporation), la station qui bénéficiait jusqu'ici du monopole des ondes, reste optimiste quant à l'avenir de sa station. La libéralisation des ondes avait toujours alimenté les débats, surtout que Maurice, étant une société pluriculturelle avec une économie libérale, ne cessait de s'ouvrir sur le monde. La possibilité de capter les émissions radio et TV de l'île de la Réunion toute proche, n'a fait qu'accentuer ce désir des Mauriciens d'avoir d'autres sons de cloche, différents de ceux proposés par la MBC.
Lors des élections générales de 1991, le Dr. Navin Ramgoolam, leader du Parti travailliste et actuel Premier ministre, avait inscrit dans son programme électoral la libéralisation des ondes. On disait qu'il tenait cette idée de son long séjour à Londres, où il exerçait comme médecin. Malheureusement, son parti ne remporta pas les élections.
N'empêche qu'il aura accentué le débat. Certaines personnes passèrent même à l'action, en essayant de fabriquer des antennes artisanales, capables de capter les émissions que les satellites font pleuvoir sur la région de l'océan Indien. D'autres, mieux lotis financièrement, recherchèrent des projets de commercialisation d'antennes paraboliques. Tout cela dans l'illégalité la plus parfaite, puisque le gouvernement n'avait pas légiféré sur ce sujet.
C'est ainsi qu'en 1994, un amoureux des chaînes étrangères, un certain Philippe Rogers, devait importer une antenne qui fut bloquée à la douane. L'affaire fut déférée en justice, l'importateur étant accusé d'avoir fait entrer un équipement sans avoir préalablement obtenu le permis approprié. Le déclic vint cependant du juge de la Cour suprême, Maître Vinod Boolell, qui donna gain de cause à l'importateur: il jugea, en effet, qu'en confisquant l'équipement en question, les autorités étaient allées à l'encontre des droits constitutionnels du défendeur.
Dès lors, les adeptes de la libéralisation redoublèrent leurs efforts. La LSS de Maxime King se lança résolument dans ce secteur, en installant une station émettrice et des antennes à travers toute l'île.
De nouveau, les autorités sévirent en mettant la station sous scellé. Devant la pression de l'opinion publique cependant, le gouvernement sortant institua un "comité d'élite" pour préparer un plan de libéralisation. Entre-temps, l'équipe gouvernementale subit une cuisante défaite aux élections générales de 1995, portant au pouvoir celui qui, au départ, avait véhiculé l'idée de libéralisation, Navin Ramgoolam. Au même moment, LSS obtint gain de cause en justice et les scellés furent enlevés. A partir de là, la voie était ouverte pour la libéralisation.
Toutefois, l'amorce se fait d'une façon graduelle. En présentant une première ébauche d'un projet de loi pour la libéralisation complète de la radio, le ministre des Télécommunications, M. Sarat Lallah, annonce qu'il soumettra le projet à l'Assemblée nationale, lors de la prochaine rentrée parlementaire. De ce fait, même si les intéressés ont déjà annoncé leurs intentions de lancer des radios privées, ils ne peuvent passer à l'action, faute d'un encadrement légal. Au moins deux promoteurs se sont déjà présentés pour des stations radio.
Pour la télévision, le tableau est différent. Maurice n'ayant qu'une population d'environ 1,2 million et un marché publicitaire relativement restreint, aucun promoteur pour une station télé productrice ne s'est encore signalé. L'investissement onéreux fait hésiter plus d'un investisseur. Par conséquent, la formule qui a paru la plus rentable est celle de la retransmission.
LSS offrira dans un premier temps un bouquet de quatre chaînes, à savoir TV5, Worldnet (avec dix heures de programmes repris de Skynews), Nile TV (images du Proche-Orient, montées en Egypte), et Deutsche Welle, allemande. A partir de février, CNN et deux autres chaînes, de la Chine et de l'Inde, seront proposées aux abonnés. Un autre promoteur, Multichoice, offrira probablement bientôt un bouquet composé, entre autres, de Canal Plus et de Skynews.
Mais les choses ne sont pas aussi simples. Multichoice cherche à acheter les droits de Skyvision, une compagnie lancée par la MBC suite au jugement du juge Boolell. Or, Skyvision se voit confrontée à de sérieux problèmes financiers n'ayant pas pu trouver suffisamment d'abonnés. Avec cette libéralisation, la MBC se voit aussi concurrencée par la LSS. Alors que, depuis 1994, - grâce à un accord tacite lors du Sommet de la francophonie à Maurice, et au don d'une antenne parabolique par la France - la station émettait les images de TV5, elle se voit aujourd'hui dépouillée de cette chaîne au profit de LSS.
Pour se rattraper - puisque les images de TV5 lui permettaient de meubler la tranche nocturne de 23 à 7 heures, - la MBC est retombée sur Deutsche Welle et Worldnet, déjà programmées par la LSS. Il faut rappeler ici que, durant la période du monopole, la MBC en avait profité pour occuper les canaux hertziens avec Skyvision et trois autres chaînes. Ce qui a forcé la LSS à émettre sur un système MMDS (micro-ondes). Réponse du berger à la bergère?
Cette situation plutôt cocasse de la MBC, trouve du reste écho chez son président. Dans une récente interview à la presse, il a reconnu que, même si les Mauriciens peuvent être satisfaits de la station nationale, lui, il ne l'est pas. D'où l'adoption d'un plan de réorganisation qui, espère-t-il, permettra d'atteindre son objectif: la création d'une MBC concurrentielle, avec une grande audience. Mais, pour beaucoup, ce ne serait que des pieux désirs...
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