by Ashley Green-Thompson, Afrique du Sud, janvier 1998
THEME = VIE SOCIALE
Un portrait à la plume de la plus grande ville et capitale commerciale d'Afrique du Sud
Des nuages d'un bleu sombre menacent dans le lointain et s'agglutinent rageusement en une frénésie de puissance et de fureur. La chaleur sèche de la journée est soudainement écrasée par la pluie menaçante que signalent de féroces éclairs qui percent le banc de nuages annonciateurs. Une heure plus tard, son ardeur apaisée dans une averse violente qui a trempé la terre assoiffée, la tempête électrique s'est déplacée pour s'abattre ailleurs, laissant derrière elle une soirée d'été fraîche et parfumée.
Située à 640 km de la côte la plus proche, la ville de Johannesbourg connaît des orages violents mais brefs en été, et est ensoleillée et froide en hiver. La plus grande ville d'Afrique du Sud et sans conteste la maison du pouvoir économique du sous-continent, "Jobourg", comme on l'appelle ici, est un véritable chaudron de sorcière, tant du point de vue d'une météorologie déchaînée que de son avidité de richesse et de la multitude de peuples du monde entier qui s'y côtoient.
Fondée en 1885 par des chercheurs d'or, Johannesbourg a défié les sceptiques et a prospéré bien au-delà de la première ruée sur l'or. La ville est située sur un banc de rochers à fleur d'eau riche en or, de 80 km de long, appelé le "Witwaterstrand" (traduit approximativement de l'afrikaans, cela signifie "banc de l'eau blanche", mais en zoulou, il s'appelle "Egoli", la place de l'or). Cet or constitue l'essence même de cette métropole tentaculaire.
Les décharges minières qui encombrent tous les abords de la cité témoignent des 50.000 tonnes de ce métal jaune brillant qu'a fourni cette terre. L'industrie minière aurifère reste une composante- clé de l'économie sud-africaine et place le pays au premier rang mondial des producteurs d'or. On estime à 50.000 tonnes les réserves d'or que contiendrait encore le sol sud-africain dans ses profondeurs, trop enfouies même pour les technologies actuelles. Les mineurs descendent pourtant encore au-delà de 5 kilomètres sous terre pour arracher ce minerai tant recherché comme le symbole de richesse. Ces mines ont leurré des millions de travailleurs des régions rurales d'Afrique du Sud, du Malawi, du Mozambique, du Lesotho et de plus loin encore. L'apartheid a bien sûr confiné ces travailleurs dans des dortoirs très rudimentaires, hors de la vue des banlieues huppées des Blancs au nord-ouest de la ville.
L'affluence de toutes ces populations dans la ville a créé un mélange culturel vibrant. Ce ne fut nulle part aussi évident qu'à Sophiatown, un quartier pauvre à l'ouest de Johannesbourg, le lieu qui a vu danser au son d'un jazz endiablé les légendaires Hugh Masakele et Jonas Gwengwe et où se trouvait la paroisse du vétéran de la lutte contre l'apartheid, l'archevêque Trevor Huddleston. Sophiatown était un mélange de cultures et de races les plus diverses et s'opposait à l'essence même de la philosophie de l'apartheid. Dans les années 1950, le gouvernement décida de détruire cette cité et déplaça de force les résidents. Ils furent réinstallés dans les Meadowlands, arides et balayés par le sable, dans certains coins de Soweto et dans la banlieue extrêmement pauvre et surpeuplée d'Alexandra au nord de Johannesbourg. C'est avec brutalité que fut ainsi totalement anéanti un héritage culturel et que Johannesbourg prit sa part de cet infâme héritage des déplacements forcés de populations qu'ont connu tant d'autres villes d'Afrique du Sud.
Mais le gouvernement n'est pas arrivé à briser la volonté du peuple. Soweto (acronyme de South Western Townships - les banlieues du sud-ouest), est devenu le remuant centre d'activité de deux millions d'habitants qui vont travailler tous les jours au centre de Johannesbourg et dans les sites industriels des environs. Depuis 1995 seulement, Soweto est intégrée dans les structures municipales de Jobourg et bénéficie d'un budget annuel de près de deux milliards de dollars dégagé par le conseil métropolitain. Avant, les habitants de Soweto travaillaient à Jobourg et y faisaient leurs courses. La cité n'était qu'un étrange mélange d'habitations, de maisons-dortoirs et de grosses demeures habitées par l'élite cossue que la Loi sur le regroupement des régions (Group Areas Act) empêchait de résider ailleurs.
Mais Soweto s'enorgueillit d'avoir été à l'avant-plan de la résistance contre l'apartheid. Le soulèvement des étudiants de 1976 a attiré l'attention internationale sur Johannesbourg et a augmenté les pressions sur le gouvernement de l'apartheid. Ce fut également le signal du début de l'exode et le départ en exil de nombreux jeunes en colère et de la lutte armée. Pendant les révoltes des années 1980, le foyer de résistance se situait une nouvelle fois à Soweto. Les organisations de masse et les comités de rues ont utilisé le dédale des rues poussiéreuses pour faire des ravages en combattant les forces de l'ordre.
Le centre de Johannesbourg est occupé comme toujours par les affaires. Avec ses hautes tours, c'est la capitale commerciale d'Afrique du Sud qui réalise, à elle seule, plus de 35% du produit intérieur brut du pays. Les buildings de verre et de béton de haute technologie sont occupés par les sièges de corporations multinationales et des banques. Les entrées secondaires sont occupées par des milliers de marchands informels qui vendent de tout, depuis les fruits frais jusqu'aux appareils électriques et les vêtements imitation haute couture. Beaucoup de ces marchands sont des réfugiés qui ont fui la pauvreté dans leur propre pays. Les accrochages avec les marchands sud-africains sont fréquents.
Johannesbourg possède encore des témoins du temps où seuls les riches fréquentaient le centre de la ville. Le fameux Carlton est encore toujours l'un des hôtels les plus luxueux d'Afrique du Sud, mais il attire nettement moins de personnages importants locaux depuis l'augmentation de la criminalité et l'occupation massive des nombreuses tours à appartements bon marché et mal entretenus. Les touristes y viennent toujours, mais la plupart du temps, ils se font rançonner par les criminels.
L'administration provinciale de Gauteng, dont les bureaux se situent au coeur de la ville, a lancé des programmes de rénovation urbaine, mais cela n'a pas empêché de nombreuses grosses sociétés de déplacer leurs bureaux vers des faubourgs plus sûrs. On note, cependant, que les résidents des banlieues voisines affluent toujours à Johannesbourg pour leurs loisirs et pour faire leurs achats.
Hillbrow, l'agglomération à plus forte densité de population d'Afrique du Sud, se trouve à cinq kilomètres du centre de Johannesbourg. Ici aussi, la décadence du centre ville connaît une augmentation de buildings à taudis où crime et drogue règnent en maîtres. Refuge de nombreux immigrants des régions rurales d'Afrique du Sud et d'autres pays africains qui cherchent fortune, Hillbrow ne dort jamais car, la nuit, boîtes de nuit et tripots y tiennent le haut du pavé. La journée, les marchands pressent les acheteurs et quelqu'un de bien déterminé peut tout y trouver, depuis la cocaïne jusqu'au fusil AK47. Hillbrow, tout comme le centre de Johannesbourg, était anciennement réservé aux Blancs, mais les lois draconiennes de l'apartheid n'ont pu arrêter ni la dynamique des migrations sociales ni l'urbanisation.
L'infrastructure de Johannesbourg est semblable à celle de n'importe quelle ville européenne. Même une banlieue pauvre comme Soweto peut s'enorgueillir d'un réseau d'eau et d'électricité bien développé. De grands "hôpitaux de l'Etat" sont dispersés dans la ville, dont le "Johannesburg General", l'hôpital anciennement réservé exclusivement aux Blancs, qui se trouve à la pointe de la technologie au niveau mondial, et le "Chris Hani Baragwanath" à Soweto, le plus grand hôpital dans l'hémisphère sud.
Il y a également des stades très modernes qui, chaque semaine, accueillent des milliers de fanatiques du football et du rugby. A côté de Soweto se trouve le stade FNB , qui accueille la finale de la coupe nationale sud-africaine de football et, à Johannesbourg même, se trouve le Parc Ellis, où se joue la finale de la coupe nationale de rugby.
Des trains s'arrêtent à proximité de ces deux stades puisqu'ils transportent chaque jour les travailleurs entre la gare du Central Park et les différentes banlieues de Soweto, Katlehong, Tembise, etc. Un réseau routier bien développé permet aux voitures d'atteindre les lieux de travail en saturant les larges autoroutes multi-bandes. En fin de journée, les minibus-taxis débordant de navetteurs se bousculent avec les bus à deux étages lorsque tout le monde quitte le centre ville pour rejoindre les faubourgs.
Six millions de personnes se démènent pour survivre et s'enrichir dans la cité de l'or. Beaucoup de personnes vivant à l'extérieur de Johannesbourg se plaignent un peu sardoniquement que la ville n'a aucun intérêt et qu'elle aurait dû disparaître depuis bien longtemps. Ceux qui, au jour le jour, essayent d'y survivre doivent lutter contre la criminalité et s'efforcer de gagner leur croûte. Ce n'est pas un bel endroit comme le Cap ou Durban, au bord de l'Océan.
Mais la vibration de Johannesbourg vous prend à la gorge. C'est une ville dangereuse, mais elle bat la cadence au rythme de la vie comme seules le font les grandes villes du monde.
END
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