by Sylvester Tetchiada, Cameroun, décembre 1997
THEME = POLITIQUE
Retour d'ascenseur pour Paul Biya,
interpellé de présenter sa fortune
La Constitution, promulguée le 18 janvier 1996 par le président Paul Biya, dispose en son art. 66, que "le président de la République, le Premier ministre, les membres du gouvernement et assimilés doivent faire une déclaration de leurs biens et avoirs, au début et à la fin de leur mandat".
C'est au regard de cette disposition de la loi fondamentale que le COLICITE (Comité de libération du citoyen Titus Edzoa)(1), à l'occasion de la prestation de serment du président (mal) réélu le 12 octobre 1997 pour un mandat de sept ans, a fait déposer une lettre ouverte sur la table de deux éminentes personnalités de la République: le président de l'Assemblée nationale et le président de la Cour suprême. Dans cette lettre, le COLICITE demande de contraindre le président Paul Biya à déclarer sa fortune avant d'entamer son septennat.
Cette lettre a provoqué d'interminables débats chez les Camerounais qui se demandent: "le président va- t-il accepter de déclarer ses biens?". Pour les membres du COLICITE , conduits par le célèbre écrivain contestataire Mongo Beti, la réponse est sans équivoque: "La Constitution étant la loi fondamentale, aucun citoyen ne saurait s'y soustraire; encore moins le président de la République". Dans sa "Lettre pour le respect des droits de l'homme", le COLICITE "prend à témoin le peuple camerounais et la communauté internationale au cas où le président de la République ne déclarerait pas ses biens au début de son mandat". Ce mandat, il faut le préciser, a effectivement débuté le lundi 3 novembre 1997, avec la prestation de serment.
On dirait que le COLICITE s'est trompé. D'autant plus que les deux personnalités interpellées sont non seulement concernées par les dispositions de l'Art.66 de la Constitution, mais ont aussi souvent fait montre d'une allégeance ignominieuse envers Paul Biya.
Le président de l'Assemblée nationale, Cavaye Yeguie Djibril, membre éminent du parti au pouvoir, le RDPC (Rassemblement démocratique du peuple camerounais), dans son discours d'ouverture de la seconde session ordinaire de l'Assemblée, n'a pas hésité à présenter Paul Biya comme "un homme miracle, providentiel, habité par le souci constant du respect des institutions républicaines".
Soit. Cependant, Biya lui-même, qui n'a jamais raté l'occasion de moraliser ses compatriotes sur le nécessaire respect des lois, peut-il surprendre?
Depuis quinze ans qu'il préside aux destinées du Cameroun, (il a accédé à la magistrature suprême le 6 novembre 1982), Paul Biya, vantard et arrogant comme l'a qualifié récemment l'hebdomadaire "Perspectives" de Yaoundé, a sûrement thésaurisé une fortune que personne ne peut contester et qui ferait de lui l'un des Camerounais les plus riches aujourd'hui. Dans son édition du 22 mai 1997, le journal français, "L'Evénement du jeudi", dans un dossier intitulé "Afrique, le hit-parade des fortunes cachées", chiffrait sa fortune à 45 milliards de FCFA.
Selon l'hebdomadaire français, P. Biya avait exploité la loi des Finances qui, jusqu'en 1994, stipulait que "le président est habilité, en cas de besoin, à prélever et à affecter par décret à un compte spécial hors budget tout ou partie des résultats bénéficiaires des entreprises d'Etat". Génial!
Cette disposition incriminée "a permis à Paul Biya de gérer à son profit les pétrodollars. L'évaporation de 2,3 milliards de francs français (soit 230 milliards de FCFA) pour la période 1988- 1993, ainsi que l'évasion fiscale, hors du Cameroun, de 20 milliards de FF (environ 2.000 milliards de FCFA) entre 1983 et 1993 donne une idée des sommes détournées". Et de 1994 à 1997, qu'en sait-on?
Donc, le chef de l'Etat camerounais, qu'on dit disposer d'un terrain de golf personnel de 18 trous à Mvomeka'a (son Gbadolite) est - comme le disait en mai dernier le professeur Edzoa Titus, son ancien proche collaborateur, au magazine L'Expression - "le Camerounais le plus riche". En outre, il a été régulièrement fait état d'acquisition, par Biya et sa famille, de châteaux de rêve en France et en Allemagne, notamment à Baden-Baden.
A ce registre s'ajoutent les placements effectués par l'ancien directeur (aujourd'hui en exil au Canada) de la Société camerounaise de banque (SCB), devenue SCB-CL (Société commerciale de banque-Crédit Lyonnais), après sa restructuration-liquidation. Celui-ci, dans une longue interview à Jeune Afrique Economie en 1992, accusait le président Biya et sa famille, avec preuves à l'appui, d'être les "fossoyeurs" de la banque dont il avait la charge.
Paul Biya, qui vient d'entamer son septennat, aura une prise directe sur une réalité faite de pauvreté et de misère. Il n'a jamais manqué l'occasion de se présenter comme légaliste. Est-il prêt à le démontrer maintenant qu'il est interpellé par une question fondamentale, de surcroît émanant d'une disposition constitutionnelle?
NOTA - (1) Titus Edzoa, détenu au secrétariat d'Etat à la Défense (Gendarmerie nationale), a été le collaborateur de Paul Biya depuis son accession à la magistrature suprême en 1982. D'abord médecin personnel du chef de l'Etat, puis ministre chargé de mission à la présidence, il est nommé ministre de l'Enseignement supérieur en 1992. Il passe secrétaire général de la présidence en 1994, qu'il quitte pour le ministère de la Santé publique, au début de 1997. Il démissionne le 15 avril 1997 et annonce simultanément sa candidature aux élections présidentielles d'octobre. Dès lors, la machine répressive gouvernementale est en marche et c'est seulement après cette annonce de sa candidature aux élections présidentielles que le pouvoir constate que M. Edzoa a détourné les fonds publics, motif de son incarcération. Il est condamné à 15 ans de prison ferme et 350 millions de FCFA d'amende.
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