by Justin Mendy, Sénégal, décembre 1997
THEME = VIOLENCE
Le banditisme en expansion a développé une tendance à la "psychose sécuritaire"
Arracher les chaînes du cou des femmes est devenu depuis quelque temps déjà une pratique courante dans les rues de Dakar, si courante que certaines femmes troquent leurs parures en or contre de la pacotille, ou renoncent simplement d'en porter. Les plus sadiques d'entre les agresseurs choisissent de balafrer à la lame les cous nus de ces dames, avec cette antienne à l'endroit de leurs victimes: "Dites à vos maris de vous acheter des bijoux!" ou "Arborez donc vos parures, ne laissez pas vos cous nus!".
Récemment, devant l'attitude passive des populations, des jeunes regroupés en bande ont défié les agents de l'ordre public avec des machettes. C'est là un exemple des nombreux actes de violence, aussi variés les uns que les autres, qui ont cours aujourd'hui dans certains centres urbains et à leur périphérie, surtout dans la zone urbaine de Dakar. Les plus classiques se produisent lors des manifestations et des grèves d'étudiants ou de travailleurs.
Il faut signaler les agissements, en juillet dernier, de ceux qu'on appelait "les réducteurs de sexes" (Les "réducteurs de sexes" seraient des individus dotés, croit-on, d'un pouvoir magique et qui, serrant la main à un homme, provoqueraient un rétrécissement de son sexe. Et ce n'est que moyennant une certaine somme d'argent que la victime peut retrouver son état normal). Les auteurs - réels ou présumés - ont été lynchés par la population, certains jusqu'à ce que mort s'ensuive, et ce, sur simple dénonciation. Les prétendus auteurs seraient venus du Nigeria et auraient opéré dans d'autres pays africains avant d'échouer au Sénégal.
Les lynchages de voleurs ou de chauffeurs de transports en commun, auteurs d'accidents de la route, sont devenus monnaie courante à Dakar. En tout cas, cette violence collective n'a pas été sans rappeler les horribles scènes contre les Mauritaniens en 1989. A un degré moindre, mais de manière plus fréquente, nous assistons à des rapines aux heures tardives, mais aussi, en plein jour, à des vols avec effraction. Les vols d'antennes de télévision étaient fréquents à une certaine époque. On a vu aussi des déménagements complets de mobilier, avec emploi de gaz stupéfiant ou en ligotant le personnel domestique en l'absence des maîtres de maison. Tout cela a contraint les Dakarois à prendre des mesures individuelles et/ou collectives de défense.
Désoeuvrement caractérisé - Cette autodéfense se manifeste par l'entretien de plus en plus courant de chiens de garde, par l'embauche de gardiens, ou par l'organisation d'une police dans les quartiers par les riverains eux-mêmes, des jeunes pour la plupart. Des sociétés de gardiennage, plus ou moins régulières, se sont développées de manière vertigineuse. Tout cela en raison de "la baisse sensible des effectifs et des moyens de la police au cours des dernières années", évoquée par le Conseil interministériel.
C'est là une des causes de la dégradation de la sécurité aujourd'hui. Le même Conseil interministériel cite d'autres causes: les défaillances de l'éclairage public (en raison des arriérés, sans doute, dus à la société de distribution d'électricité); l'occupation anarchique des voies publiques; le désoeuvrement des jeunes; le développement de la mendicité et de la population sans abri...
Ces deux derniers constats constituent sans nul doute les causes principales de cette dégradation. Elles ont engendré, d'après le gouvernement, "d'une part, l'émergence (...) d'une forme de criminalité sous forme de bandes de malfaiteurs, troublant la sécurité des passants, et d'autre part, la persistance d'un certain trafic de stupéfiants malgré de nombreux succès remportés dans la lutte contre la drogue". Il s'y ajoute "une progression inquiétante de la petite délinquance (vols et délits mineurs)" dont les auteurs sont de plus en plus jeunes, "en majorité, des adolescents de 15 à 25 ans".
Culture de la violence - Pour faire face à cette situation, porteuse de "dangers latents de dérapage", d'importantes décisions ont été prises par le Premier ministre, M. Habib Thiam en personne, afin de "doter les forces de sécurité (police et gendarmerie) de moyens matériels et humains adaptés à la défense de la sécurité des biens et des personnes".
Mais il est impératif de trouver des solutions durables à l'oisiveté des jeunes par la création d'emplois en nombre suffisant pour résorber ne serait-ce qu'une partie du chômage devenu endémique. Il est également indispensable d'imaginer des formes d'éducation familiale qui pourraient détourner les jeunes des actes de violence. En somme, disent certains travailleurs sociaux, à une culture de la violence et de l'insécurité qui se développe de plus en plus, il faudra substituer une culture de la paix et de la sécurité collective par des programmes d'éducation et de formation, conçus avec des partenaires sociaux, religieux en particulier. C'est tout le système éducatif qu'il faudrait revoir, ajoutent-ils, car tout le monde s'accorde aujourd'hui à douter de son efficience.
END
PeaceLink 1998 - Reproduction authorised, with usual acknowledgement