by J. David Mihamlé, Yaoundé, Cameroun, janvier 1998
THEME = SPORT
Qui conduira les "Lions
indomptables",
l'équipe nationale de football du Cameroun,
à la prochaine coupe du monde? Le débat est relancé
A peine le Cameroun avait-il obtenu son passeport pour la prochaine coupe du monde, en battant le 17 août 1997, à Harare, le Zimbabwe par deux buts à zéro, que le débat sur le profil de l'entraîneur des Lions indomptables a été relancé.
Tout est parti de l'interview accordée à l'hebdomadaire 'France Football' du 19 août, par Jean-Claude Suaudeau, ex-entraîneur du FC-Nantes. Le Français ne cachait pas son ambition de conduire le Cameroun en France, à la prochaine coupe du monde. Dans cette entreprise, il souhaitait associer Jean Vincent, un autre entraîneur français, qui avait dirigé les Lions indomptables à la Coupe du Monde de 1982, en Espagne. Il n'en fallait pas plus pour provoquer la colère d'une opinion visiblement hostile à l'arrivée d'"un entraîneur étranger". La presse sauta sur l'occasion et en fit ses choux gras. Sentencieux, le 'Messager', un tri-hebdomadaire édité à Douala, trancha: "Le Cameroun n'a pas besoin d'un entraîneur blanc". Plus subtil, 'Mutation', un hebdomadaire de Yaoundé, s'interrogea: "Le Cameroun a-t-il besoin d'un entraîneur blanc?"
Prié de se prononcer sur cette question au cours d'un
entretien télévisé, le ministre de la Jeunesse et des Sports,
Samuel Makon Wehiong, s'empressa d'affirmer que le recrutement
d'un nouvel entraîneur n'était pas à l'ordre du jour. Il
adressa même une lettre de félicitations au quatuor
d'entraîneurs camerounais, conduit par
En dépit de "ces gestes et propos d'apaisement", le public sportif demeure sceptique. Et pour cause! Le Cameroun a la fâcheuse habitude d'écarter à la dernière minute les entraîneurs qui l'ont pourtant qualifié, au terme d'éliminatoires parfois épiques.
Le Yougoslave Zutic Branco en fit la triste expérience en 1982. Après avoir obtenu la qualification pour la coupe du monde en Espagne, il fut écarté comme un malpropre, au profit de Jean Vincent, venant du club français de Nantes. En deux mois de travail, ce dernier empocha un pactole estimé à 500.000 FF, primes et autres avantages exclus. Son bilan: trois matchs nuls, contre le Pérou, la Pologne et l'Italie.
En 1994, le même scénario se reproduisit. Le Camerounais Léonard Nseke fut "chassé" de la direction technique des Lions indomptables, en dépit de la qualification obtenue de haute lutte pour la coupe du monde 1994, en Amérique. Il fut remplacé par Henri Michel, ancien entraîneur de l'équipe de France lors de la coupe du monde 1986, au Mexique. Son bilan fut désastreux. Le Cameroun sortit prématurément de la compétition dès le premier tour. Il concéda 11 buts et en marqua 3, lors des rencontres contre la Suède (2-2), le Brésil (0-3) et la Russie (1-6). L'unique but camerounais contre la Russie, on s'en souvient, portait l'estampille de l'infatigable Roger Milla, alors âgé de 38 ans.
Cette propension à choisir des entraîneurs expatriés à la veille de la coupe du monde peut s'expliquer par un contexte socio-culturel défavorable aux "nationaux". A priori, un étranger est à l'abri de certaines pressions politiques ou tribales, nuisibles à une équipe de haute compétition. Durant son séjour chez les Lions indomptables (1984- 1988), l'entraîneur français Claude Le Roy alignait régulièrement huit joueurs originaires de l'ethnie bassa. Rien que sur la base du talent et de la compétence. Avec un entraîneur camerounais, la chose aurait été difficile, voire impossible: on aurait crié au tribalisme primaire.
A quelques mois de l'ouverture de la coupe du monde, le 12 juin 1998, les Camerounais, dans leur majorité, sont hostiles à l'arrivée d'un étranger à la direction technique de leur équipe nationale. Ils font confiance aux leurs. Xénophobie? Chauvinisme? Manipulation? Difficile à dire. Dans un pays où le football est considéré comme une religion, on voit mal comment le ministre de la Jeunesse et des Sports se risquerait à provoquer un public acquis au staff technique actuel. D'ailleurs, durant les dernières élections présidentielles, le quatuor d'entraîneurs camerounais (Manga Onguéné, Sadi Jean-Pierre, Wansi Dominique et Akono Jean-Paul) s'aligna derrière le président Biya. Sous l'instigation de Jean-Paul Akono, ils organisèrent une bruyante "marche de soutien" (fortement relayée par les médias d'Etat) dans les rues de la capitale. Les observateurs interprétèrent cela comme un vibrant appel du pied à l'attention des décideurs qui, pour le moment du moins, leur retournèrent l'ascenseur.
Dans ce contexte, l'offre de service de "Coco" Suaudeau arrive, pour ainsi dire, en dernière ligne. Mais au Cameroun, ne sait-on jamais, un spectaculaire retournement de situation n'est pas à exclure. Alors, "wait and see".
END
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