by Alexis Kalambry, Mali, février 1998
THEME = EGLISE
Les adieux d'un peuple, à grande
majorité musulman,
à un homme d'une autre foi
"Nous témoignerons pour toi: de ce que tu es, et de ce que tu as été": c'est ce qu'a dit le président de la République, Alpha Oumar Konaré, en faisant l'oraison funèbre, le lundi 16 février, à l'inhumation de l'archevêque de Bamako, Mgr. Luc Sangaré.
Le mercredi 11 février 1998, vers 11 heures, la nouvelle est tombée: Mgr Luc Sangaré n'est plus. Coup dur pour l'Eglise catholique de Mali; coup dur pour le peuple malien tout entier. Mgr. Sangaré, était parti à Abidjan (Côte d'ivoire) pour participer au Comité permanent de la CERAO (Conférence épiscopale régionale de l'Afrique de l'Ouest), du 2 au 8 février 1998. C'est là que la mort l'attendait.
Sa silhouette élancée, presque frêle, était devenue familière dans tout le Mali. Ses traditionnels voeux au président de la République étaient attendus avec fébrilité. Oui, qui ne connaissait pas Mgr. Sangaré?
Luc Sangaré est né le 20 juin 1925 à Ségou. Il fut ordonné prêtre le 12 septembre 1954, parmi les tout premiers fils du pays à embrasser la prêtrise. Dès son ordination sacerdotale, il fut d'abord nommé à Ouelessebougou (60 km au sud de Bamako) et, ensuite, vicaire à la paroisse cathédrale de Bamako.
En 1959, il est envoyé à Rome pour y faire des études théologiques. Et, le 4 avril 1962, il devient le premier archevêque malien de Bamako. Il sera sacré le 26 mai de la même année par Mgr Jean-Marie Maury, alors délégué apostolique, et intronisé le lendemain. Très rapidement, comme évêque, fils du pays, il va assumer la présidence de la Conférence épiscopale du Mali. En tant qu'évêque, son souci constant sera l'épanouissement d'une Eglise en dialogue avec les autres confessions religieuses, ainsi qu'avec le monde en général.
Tous les Maliens connaissent Mgr Sangaré à travers ses "Paroles de nouvel an" (Ed. Jamana, 1988), adressées au président de la République. Mgr Sangaré était un patriote qui aimait profondément son pays, comme l'atteste clairement cette parole de la préface de ce livre: "Oh, avec quelle force je voudrais assurer tous les Maliens de notre volonté ferme de leur être présents d'une présence positive et quotidienne, partageant toutes leurs joies et toutes leurs peines, ressentant jusque dans notre coeur de chair tous leurs problèmes, oeuvrant de notre mieux à la prospérité du pays comme à son unité, tout en nous maintenant strictement dans le domaine propre à notre vocation particulière".
Mgr Sangaré est particulièrement connu pour son rôle de "médiateur" et de "facilitateur". Il faisait partie du Comité des responsables religieux, qui a joué un important rôle de médiation dans les diverses crises qui ont secoué notre pays ces derniers temps. Tous les Maliens pleurent en Mgr Sangaré l'homme qui avait su cultiver un esprit de tolérance et de dialogue.
Dans un cérémonial mariant à la fois le rite catholique romain, les coutumes tradtionnelles et un protocole administratif, Mgr Sangaré a été conduit à sa dernière demeure. Il y avait plus de 100 prêtres, plus de 10 évêques venant de tout le pays et de la sous-région: du Togo, de la Guinée, de la Mauritanie et de la Côte d'Ivoire. Ce dernier pays était fortement représenté, car c'est là qu'il a rencontré son destin. Le ministre ivoirien des Affaires religieuses, Léon Konan Koffi, dira d'ailleurs l'affliction de son pays. Le Vatican était représenté par le nonce apostolique.
La dépouille de l'archevêque est arrivée au stade Omnisports de Bamako, où l'attendait une foule nombreuse, au son des flûtes traditionnelles et des coup de fusils des chasseurs. Aussitôt, il sera élevé, à titre posthume, au rang de "Commandeur de l'ordre national du Mali", la plus haute distinction de notre pays, par le président Alpha.
Pour Mgr Mory Parie Sidibé, évêque de Ségou, officiant en sa qualité de doyen, "le grand arbre s'est couché après avoir, 36 ans durant, fait profiter le pays de son ombre".
La cérémonie sera émaillée par des témoignages de coreligionnaires, de protestants, de musulmans, de proches collaborateurs... Chacun dira les liens privilégiés qui le liaient avec l'illustre disparu. "Dieu lui avait accordé le don et le courage de dire la vérité avec amour", dira de lui le pasteur Kassoum Keita, de l'Eglise protestante. "Aujourd'hui est un jour de prière", dira, dans son oraison funèbre, le président de la République. "Monseigneur a su conquérir la sympathie d'un peuple qui ne partageait pas ses convictions religieuses".
Au Mali, les chrétiens ne représentent que 1% de la population (sur 10 millions d'habitants). Tout en rappelant le parcours de l'homme, le président Alpha dira qu'il nous laisse orphelins. S'adressant directement au mort, il ajoute: "Te voilà libéré de ta dette", car Monseigneur "est mort à la tâche", pour le Mali, ce pays qu'il a chéri au-delà de tout, pendant 50 ans d'apostolat, "50 ans qui ont sauvé le pays du doute". En concluant, il dira: "c'est un homme qui fait que l'on soit fier d'être homme".
Dans sa mort, Monseigneur a réussi l'exploit de réunir tous les politiciens divisés de notre pays, car ils étaient tous là, ceux de la majorité comme ceux de l'opposition.
END
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