ANB-BIA SUPPLEMENT

ISSUE/EDITION Nr 344 - 15/04/1998

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Burkina Faso

Réforme globale de l'administration


by Sarah Tanou, Burkina Faso, février 1998

THEME = POLITIQUE

INTRODUCTION

Pourquoi une réforme globale de l'administration?
Quel est son contenu? Qu'entendent par là les autorités?

Après les révisions du statut général de la fonction publique de 1986 et 1988, les Burkinabè en sont aujourd'hui à l'heure d'une réforme globale de l' administration publique. Des assises nationales ont réuni plus de 500 délégués représentant toutes les couches socio-professionnelles, les départements ministériels et institutionnels, les autorités coutumières et religieuses. Ils se sont penchés, quatre jours durant sur "Le rôle et les missions de l'Etat". Pourquoi cette réforme? Quel est son contenu? Qu'entendent par là les autorités?

La nécessité de réformer l'administration publique au Burkina Faso n'est pas nouvelle. Le problème s'est posé depuis le début des indépendances, plus particulièrement depuis 1966 où des études réalisées ont pu servir de base à certaines décisions politiques. Il s'agit donc d'une préoccupation ancienne. Loin d'être un simple produit de laboratoire, une mode ou une utopie, la réforme globale de l'administration décidée par les autorités burkinabè est une nécessité urgente, justifiée par des considérations d'ordre économique, social et politique, et aussi par des facteurs internes à l' administration elle-même.

Une nécessité urgente

Au plan économique, la crise persistante qui domine au Burkina et la rareté des ressources, surtout publiques, suscitent le scepticisme quant aux capacités de l'Etat de pouvoir apporter une solution à tous les problèmes. Une des conséquences de cette situation est un mouvement de repli de l'Etat sur ses missions "régaliennes", en cours depuis le tournant des années 1990.

L'administration publique étant au service de l'exécution des missions assignées par l'Etat, la réforme en cours est une conséquence nécessaire du redimensionnement de l'Etat.

Au plan social, depuis les indépendances, la société burkinabè a profondément changé tant au plan quantitatif que qualitatif: accroissement de la population, augmentation du taux de scolarisation, urbanisation croissante, ouverture du pays sur le reste du monde, constitution d'une opinion publique nationale. Ces mutations ont déjà provoqué des changements profonds dans la relation administration-population. Longtemps l'administration est restée dans une position privilégiée: elle n'était pas comptable de sa gestion devant la société.

Aujourd'hui, les gens veulent de plus en plus un service public de qualité. Ils remettent en cause une administration, seule garante de l'intérêt général ou national. Des fonctionnaires demandent eux-mêmes des changements pour un meilleur fonctionnement de l'administration. D'où le risque d'une rupture de confiance entre l'administration burkinabè et les citoyens, qui se demandent à quoi bon continuer à se soumettre à ses contraintes si elle ne peut en retour justifier sa place et son rôle dans le développement national.

Devant ce risque de divorce, la réforme est plus que souhaitable pour donner naissance à une nouvelle administration plus ouverte aux citoyens, plus proche et plus accessible à tous et beaucoup plus préoccupée de satisfaire leurs besoins que de son propre développement.

Au plan politique, le Burkina évolue dans un contexte international et national en pleine mutation, dans lequel l'appareil administratif ne peut rester en marge.

Au plan international, l'ouverture des frontières et l'accélération de la compétition dans les ensembles régionaux et sous-régionaux imposent une nouvelle administration évoquant plus la flexibilité, l'efficacité et la rentabilité, que les contraintes administratives, la bureaucratie étouffante et le protectionnisme.

Au plan national, le contexte politique depuis 1991 est marqué notamment par l'instauration de l'Etat de droit et la décentralisation de la gestion publique. Dans ce cadre, l'administration n'a pas de légitimité propre mais doit être un instrument au service du pouvoir exécutif. Cela demande également de professionnaliser les fonctions administratives et de créer un espace favorable à l'expression des critiques formulées contre l'administration.

Par ailleurs, de nouveaux acteurs de développement (société civile, collectivités territoriales, opérateurs économiques privés) revendiquent le droit de jouer un rôle réel dans le développement du pays à travers la reconnaissance d'une espace d'autonomie où seront rétablies et développées l'initiative et la responsabilité des individus.

Des facteurs propres à l'administration appellent aussi à une réforme globale. A tort ou à raison, les Burkinabè ont toujours mis l'administration publique au banc des accusés. On lui reprochait de multiples insuffisances l'empêchant d'être l'instrument catalyseur du développement.

Les deux conférences de l'administration publique de 1993 et 1995, et surtout les audits organisationnels de tous les ministères réalisés de juin 1994 à juillet 1995, ont clairement identifié les sources des maux dont souffrait l'administration publique burkinabè. Elles se situent à trois niveaux: les missions, attributions et structures des administrations publiques; les méthodes et procédures de travail dans l'administration; la gestion des ressources humaines matérielles et financières.

Double emploi et laxisme

Des dysfonctionnements d'organisation ou de gestion ont été soulignés à maintes reprises: confusion, double emploi, conflits de compétence... Ils entraînaient des gaspillages de ressources.

Au niveau des méthodes et procédures de travail, on constatait que les programmes d'activité n'étaient pas toujours établis, entraînant ainsi une exécution du travail sans objectif précis à atteindre; souvent les rapports d'activité n'étaient pas dressés et ne faisaient donc pas l'objet de réaction de la part du supérieur hiérarchique; la concentration excessive des pouvoirs de décision imposait aux dossiers un long circuit de traitement et une lenteur dans la prise des décisions, entraînant une mauvaise utilisation des cadres. Tout ceci a mené à un certain laxisme dans l'administration, d'où une baisse de la qualité des prestations fournies. L'absence d'un véritable réseau de liaisons propre à l'administration rendait difficile la circulation de l'information entre les structures centrales et les autres.

Le talon d'Achille et le noeud gordien

De façon constante, les ressources humaines, matérielles et financières constituent le talon d'Achille et le noeud gordien de l'administration publique burkinabè. De son indépendance à nos jours, le Burkina Faso n'a pas fait l'effort d'une réglementation qui tienne véritablement compte de ses réalités culturelles et socio-économiques.

Malgré les réformes de 1986 et de 1988, le pays continue d'entretenir une base légale et réglementaire de gestion de ses agents marquée par un système de "carrière" prédominant. Les fonctionnaires (39.091 sur un effectif de 40.729 agents publics de l'Etat selon le recensement de 1995) profitent largement des avantages de ce système: stabilité de l'emploi, garanties administratives diverses comme les avancements d'échelon et/ou de grade, les promotions internes et la retraite, alors que l'administration est loin d'en tirer les profits qu'elle est en droit d'en attendre: une meilleure exécution de la mission de service public et un grand loyalisme envers l'Etat et les institutions.

On note en outre un système d'emploi flou, consacré par l'existence d'agents contractuels que seuls des initiés peuvent différencier des fonctionnaires, tant la différence de situation juridique et administrative entre les deux est marginale.

Des insuffisances sont constatées aussi dans la base réglementaire. Le système de rémunération demeure rigide et injuste du fait d'une nette indifférenciation au plan des performances individuelles. Par ailleurs, au plan budgétaire, il favorise un gonflement d'année en année de la masse salariale. Ainsi, d'un niveau de 33,8 milliards en 1985, la masse salariale a progressivement évolué pour atteindre en 1995 un niveau de 61,6 milliards de francs CFA, soit un accroissement de 82,4%. En 1989, la masse salariale a absorbé à elle seule 82,3% des recettes fiscales.

En outre, le système d'évaluation des performances manque d'objectivité; la formation professionnelle, loin d'être un moyen de renforcement des capacités techniques des services, n'est plus qu'une simple voie de promotion des agents. Les procédures de sanctions sont lourdes mais inefficaces.

Vers une réforme

Ces constatations sont graves et les appels pour une autre administration se font de plus en plus pressants. Le 27 novembre dernier, lors de la 2e session ordinaire du Conseil économique et social, le président du Burkina, Blaise Compaoré, affirmait: "La concertation que nous avons engagée sur la réforme globale de l'administration devra jeter les bases d'une administration capable de mobiliser et de canaliser les énergies collectives et les ressources internes au service du développement durable de notre peuple, l'objectif étant que, partout, l'Etat soit respecté et au service de tous les citoyens.".

Pour le président Compaoré, l'administration ne pourra s'acquitter de ses missions que si nous parvenons à susciter un consensus national sur les objectifs et les finalités du développement, et sur la répartition de ses charges et de ses avantages. Cela constitue une interpellation à toutes les composantes de la société.

Des propositions de remèdes qui visent à corriger les insuffisances dans le fonctionnement de l'administration ont été conçues. Elles s'articulent autour de quatre grands volets: le volet macro- organisationnel, la gestion des ressources humaines, le volet macro-institutionnel et la valorisation de l'expérience nationale.

Le fruit d'une longue réflexion

Ces différents projets de textes sont le résultat des réflexions menées à partir d'orientations données par le séminaire gouvernemental de Tenkodogo des 15 et 18 octobre 1996, et finalisés par la prise en compte des amendements faits par les partenaires et groupes sociaux.

Des rencontres sous forme d'ateliers de concertation ont été organisées en 1997, respectivement du 22 au 24 janvier à Goundi avec les organes de presse publics et privés nationaux, du 5 au 7 février à Koudougou avec les organisations syndicales des travailleurs; du 14 au 16 février à Bobo- Dioulasso avec les hauts commissaires et les maires; et du 23 au 24 juin à Ouahigouya avec les conseillers municipaux. Les rencontres ont été complétées par la soumission de différentes propositions aux membres de Conseil économique et social au cours de leur session tenue à Ouagadougou du 27 novembre au 5 décembre 1997.

Le point culminant de ces rencontres a été la tenue, les 18 et 21 décembre 1997, d'assises sur: "Le rôle et les missions de l'Etat". Dix-neuf propositions de textes ont été soumises aux participants pour amendements et pour assurer la cohérence de l'ensemble. Des observations ont été faites sur certains textes, des lacunes relevées dans d'autres. Des réserves ont aussi été exprimées. Après ces échanges fructueux, les délégués ont décidé d'y ajouter deux recommandations, l'une relative à l'octroi de facilités administratives d'évaluation et l'autre relative à la création d'une structure administrative plus légère.

Mais, même si ces assises se sont bien terminées, il n'en demeure pas moins qu'un consensus général n'a pas été obtenu. Certaines organisations syndicales (notamment la Confédération générale du travail du Burkina et ses affiliés) ont boudé les assises, jugeant cette réforme "démagogique et anti-travailleurs". Des manifestations sont prévues.

Mais en attendant, les responsables de la réforme sont au stade du "toilettage" des textes afin de les soumettre aux députés pour légiférer; et déjà, certains points de la réforme ont commencé à être appliqués dans certains ministères. Car même si un consensus n'est pas obtenu, il est indéniable que la réforme est une nécessité.

END

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