by M. Djibo Alfari, Niger, mars 1998
THEME = POLITIQUE
Bien des Nigériens semblent désirer
une certaine décentralisation du pouvoir.
Mais les idées diffèrent et les difficultés ne manquent pas.
Bien avant la tenue de la Conférence nationale souveraine du Niger en 1991, on parlait déjà de l'urgence d'une certaine décentralisation pour mieux impliquer les Nigériens dans la gestion quotidienne de leurs propres affaires, locales et régionales. Dans le programme du parti- Etat que fut le MNSD (Mouvement national pour la société de développement), au temps du régime d'exception du président Seyni Kountché, le thème de la décentralisation se traduisait par le concept omniprésent de "développement à la base". Partant du village ou du hameau pour monter vers l'arrondissement et la région, l'ensemble était représenté sous la forme d'un arbre, pour montrer que tout développement commence à la base (les populations elles-mêmes) et non forcément à la cime (les décideurs politiques). Avec la démocratisation de la vie politique, le MNSD a toujours retenu le schéma initial de développement local.
Avec la Conférence nationale, un pas a été franchi avec la reconnaissance officielle et unanime d'un impératif de décentralisation dans la gestion politique et économique du pays. Ce faisant, il était temps qu'on abandonne la voie facile d'une centralisation excessive, improductive et anachronique. En effet, la Constitution de la 3e République qui a vu l'élection du président Mahamane Ousmane, a consacré les principes d'une décentralisation systématique pour un véritable développement du pays. Mais il y a un fossé entre les grandes déclarations d'intention et la volonté politique. Cette dichotomie entre les intentions et les faits s'explique à notre avis par trois raisons majeures:
1. La décentralisation implique qu'on associe les populations locales, qu'on les place en première ligne dans l'exécution des programmes. Cela suppose une redéfinition territoriale qui n'est pas toujours aisée quand on connaît l'attachement séculaire des uns et des autres à leurs terroirs.
2. La deuxième raison, et c'est là assurément un handicap majeur, est la permanence chez bon nombre de fonctionnaires du réflexe bureaucratique. Ils sont tellement habitués au centralisme étatique, que la majorité d'entre eux ne peuvent prendre les décisions urgentes et ponctuelles qu'exigent les situations régionales. Pour eux, s'en référer systématiquement aux autorités centrales est une mesure de prudence!
3. La troisième raison est encore plus contraignante. Il s'agit du manque d'argent qui rend caduque et aléatoire toute ambition véritable de développement dans nos pays. Il y a des priorités qu'on ne peut pas mettre sous le boisseau, de crainte d'enflammer toutes les velléités de perturbations sociales.
Dans cette optique, la décentralisation semble donc être, pour le moment, un voeu pieux. Néanmoins, le gouvernement de la 3e République et celui de la 4e République ont oeuvré, chacun en ce qui le concerne, à l'édification d'un Etat décentralisé.
On a beaucoup épilogué dans ce pays sur les deux concepts décentralisation/déconcentration, en se demandant ce qu'il fallait retenir comme système d'administration territoriale, tout en sauvegardant l'Etat unitaire de la République du Niger. Qu'entend-on par là?
La déconcentration consiste à déléguer les pouvoirs centraux à des entités administratives, aux rôles et fonctions bien définis. Il s'agit en fait d'un transfert de compétences, pouvant faciliter la prise de décisions pour le bon fonctionnement de l'appareil administratif. Cette compétence donne aux reponsables régionaux la possibilité de faire face, ponctuellement, à des problèmes locaux requérant des solutions urgentes, sans faire recours à l'avis d'un quelconque chef hiérarchique situé à mille lieues des préoccupations des populations concernées.
La décentralisation est un tout autre concept administratif et politique. Dans ce cas, il ne s'agit pas d'un simple transfert de compétences définies et limitées, mais de laisser les populations elles-mêmes prendre en main leur destinée. Ceci suppose qu'on organise des "élections libres et démocratiques au niveau régional". La différence majeure avec la déconcentration, c'est le système de vote sanctionnant le choix du peuple. Pour être un véritable représentant local ou régional, il faut avoir été élu par la base. Ce qui suppose une connaissance approfondie des problèmes nombreux et divers que rencontrent quotidiennement ces populations. Il n'est plus question dès lors d'envoyer, par décret anonyme, un administrateur dans une zone qui n'est pas la sienne et dont il ignore fondamentalement les problèmes spécifiques.
Il s'agit donc de deux concepts différents. Cependant, on s'en rend aisément compte, il y a et il y aura toujours une interaction et une interrelation perpétuelle entre les deux notions. Celles-ci ne peuvent être que complémentaires dans des pays où l'Etat n'est pas encore fort et où la nation se construit encore. Du reste, les technocrates en ont conscience, car la Constitution (qui fut suspendue le 27 janvier 1996 après le coup d'Etat du colonel Baré Maïnassara Ibrahim) avait retenu en ses principes "la décentralisation et la déconcentration comme principes fondamentaux de l'organisation territoriale de la République du Niger".
On se le rappelle, l'un des griefs essentiels de la rébellion touarègue au Niger fut la dénonciation du caractère hautement centralisé de l'Etat nigérien, qui ne permet pas aux citoyens de participer librement à la gestion de leurs affaires publiques. Voilà pourquoi, un chef rebelle comme Rhissa Boula (aujourd'hui secrétaire d'Etat au ministère du Tourisme dans le dernier gouvernement nigérien) a toujours proclamé la nécessité d'un système politique fédéral au Niger.
Il n'était pas le seul, du reste. Des partis politiques comme l'UDPS-Amana (Union pour la démocratie et le progrès social) et le PUND-Salama (Parti pour l'unité nationale et la démocratie) ont tous réclamé à cor et à cri le principe du fédéralisme politique et étatique, malgré le caractère unitaire de l'Etat nigérien. Autrement dit, pour ces partis politiques, la décentralisation envisagée ne suffit pas. Ce qu'il faut, c'est le fédéralisme.
Comme arguments, ils avancent la multiplicité des entités ethno-régionalistes, qui exigent chacune le respect de leurs valeurs de civilisation dans tout projet de développement national. Le fédéralisme, consacrant de fait et de droit l'autonomie des régions, est le seul système, d'après eux, apte à répondre aux aspirations des uns et des autres. Ils nient en outre que le fédéralisme au Niger soit synonyme de partition du pays. L'exemple souvent invoqué par ces partis est le système fédéral de notre grand voisin, le Nigeria, qui semble avoir jugulé les démons de la sécession par l'autonomie de ses nombreux Etats fédérés.
Il faut toutefois reconnaître que plusieurs fronts de la rébellion touarègue elle-même semblent admettre aujourd'hui, qu'à défaut de fédéralisme, la voie de la décentralisation poussée peut constituer un remède aux maux dont souffre le pays. Ils ont donc, subrepticement, abandonné les thèses - pas toujours convaincantes - du fédéralisme, pour épouser celles d'une vraie décentralisation. L'une des exigences pour la fin du conflit armé au nord, brandies par la rébellion armée lors du dernier "accord additif de paix" d'Alger - signé le 28 novembre 1997, entre le gouvernement et la coalition rebelle de la UFRA ( Union des forces de la résistance armée, Touaregs) et des FARS (Forces armées révolutionnaires du Sahara, Toubous), ndr - , est précisement l'application effective de la décentralisation! Mais quelle décentralisation, et dans quelles conditions?
Nous l'avons dit: les velléités pour la décentralisation n'ont pas manqué au Niger. Mais les problèmes politiques et autres préoccupations urgentes de l'heure l'ont aisément emporté sur ce désir de décentraliser la vie administrative du pays.
Cependant, dans la Constitution de la 3e République du 26 décembre 1992, la décentralisation et la déconcentration sont expressément mentionnées comme principes d'organisation de l'administration territoriale. Et ces principes ont été repris par la Commission nationale créée à cet effet et installée le 3 janvier 1995, et coulés dans les lois N. 96-04 et 96-05 du 6 février 1996.
Trois objectifs majeurs étaient à l'origine de cette décision:
Toutefois, les difficultés pour la mise en application ne manqueront pas. On peut d'abord se demander où l'Etat du Niger pourrait se procurer les 140 millards de francs cfa pour mettre en oeuvre ce projet! Les multiples problèmes et difficultés de tous genres auxquels ce pays est confronté, ne permettent guère d'envisager à court ou moyen terme la réalisation effective de cette décentralisation.
Une autre difficulté consiste dans la réticence même de certaines populations qui ne semblent guère apprécier le fait qu'elles se retrouvent sous une nouvelle tutelle géographique ou politique. Durant la période de sensibilisation, elles ont montré leur hostilité à une fragmentation de leur territoire. Certes, une évolution remarquable a eu lieu dans ce domaine, tant il est vrai que l'inconnu est toujours une source d'inquiétude pour ceux qui sont concernés...
Enfin, il faut reconnaître qu'il y a encore beaucoup d'esprits, dans la classe même de l'intelligentsia, qui ne semblent pas croire tout simplement à l'instauration d'une vraie décentralisation. La raison en est peut-être qu'ils ont été lontemps habitués à travailler dans un système fortement centralisé où l'initiative locale des populations n'était guère encouragée ou demandée. Ils ont été formés à l'école de la centralisation étatique, toujours soumis à des ordres venant de "là-haut" et exécutant au jour le jour des décisions dont les commanditaires même de l'instance centrale n'avaient guère une idée précise!
Concluons. Oui, il y a de réelles difficultés dans la mise en oeuvre de ce projet, chacun en conviendra. Cependant, nous ne pensons pas que cela constitue fondamentalement un empêchement absolu à sa réalisation. Le problème majeur aujourd'hui, c'est le manque de stabilité politique et sociale du pays, sans laquelle il est illusoire d'envisager un quelconque projet de développement. Mais avec la récente signature de "l'accord additif de paix" d'Alger, on est en droit d'espérer une nouvelle ère de paix propice au développement régional du pays.
Il restera tout de même à régler définitivement des problèmes d'ordre institutionnel qui fragilisent gravement l'Etat nigérien.
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