by Tshibambe Lubowa, Kinshasa, RDC, mars 1998
THEME = FINANCES
Les préalables pour le lancement du franc congolais persistent
L'image de feu le président Mobutu Seseko semble refuser de disparaître de la vue des Congolais. Dix mois après l'avènement de Laurent Kabila et de l'AFDL (Alliance des forces démocratiques de libération), le zaïre- monnaie, avec son effigie, continue à être utilisé comme monnaie nationale, dans les transactions commerciales et les opérations financières. La réforme monétaire et le lancement du franc congolais, annoncés d'abord pour le 30 juin et reportés ensuite au 31 décembre 1997, tardent encore à se concrétiser. La question posée étant de savoir si on voulait faire, selon l'expression du monétariste Tshianza Mbiye, une réforme-remède ou une réforme-couronnement.
Le franc congolais est devenu un mythe: les Congolais sont convaincus qu'il est le seul salut pour sortir du gouffre où la mauvaise gestion monétaire et financière de l'ex- Zaïre de Mobutu les a conduits. Pour bien illustrer la profondeur de la catastrophe monétaire de l'ex-Zaïre, voyons quelques chiffres.
A sa création, le 24 juin 1967, le zaïre-monnaie (Z) valait 2 dollars et donc un dollar était égal à 0,5 Z.. Avec la réforme monétaire du 22 octobre 1993, le dollar valait 3 nouveaux zaïres (NZ), et un NZ trois millions d'anciens zaïres; ce qui donnait, pour un dollar, 9 millions d'anciens zaïres. Aujourd'hui, après avoir atteint 185.000 NZ à la veille de l'entrée de Kabila à Kinshasa, le dollar équivaut à 130.000 NZ... On peut mieux mesurer la profondeur de la dérive en se référant au zaïre-monnaie du départ: le dollar, qui coûtait 0,5 zaïre en 1967, vaut à ce jour 390 milliards d'anciens zaïres...
Une pareille monnaie a perdu toute la confiance de la population. La Conférence nationale souveraine avait proposé le retour au franc congolais, et le gouvernement AFDL tient à mettre en circulation une nouvelle monnaie: le franc congolais.
M. Jean-Claude Masangu, ancien patron de la City Bank/Congo et actuel gouverneur de la Banque centrale du Congo, a convaincu les autorités politiques du pays à ne pas confondre le franc congolais de l'époque coloniale - assis sur une économie florissante, des finances publiques saines et des excédents importants de la balance des paiements - , avec celui qu'elles voudraient lancer dans une économie totalement effondrée.
S'adressant à la communauté des hommes d'affaires congolais et belges, le gouverneur Masangu n'a pas manqué de relever les espoirs de tout un peuple pour le franc congolais. "Les banques espèrent retrouver leur rôle d'intermédiaire financier; les opérateurs économiques attendent la relance du crédit à l'économie, la fin de la thésaurisation et, peut- être, aussi celle de la dollarisation; les fonctionnaires espèrent la liquidation de leurs arriérés et le paiement régulier de leurs salaires... De manière générale, l'opinion publique voit, à travers l'avènement du franc congolais, l'occasion de doter l'économie d'une monnaie stable, fiable, pratique et acceptée par tous".
Mais la stabilité du franc congolais a un prix. Il faut une réforme monétaire profonde, qui remette de l'ordre dans le secteur monétaire et bancaire. Dans la foulée des mesures d'assainissement bancaire qui ont l'appui de la Banque mondiale, il y a la mise à l'écart des banques et des institutions financières insolvables et susceptibles de perturber le bon déroulement des opérations. Parmi celles-ci, on cite la Nouvelle banque de Kinshasa, la Banque de crédits agricoles, la Banque congolaise de commerce extérieur, etc.
Pour la solidité de la nouvelle monnaie, il faudra aussi la reprise économique et la stabilité du cadre macro-économique. La croissance escomptée pour 1998 est 2,5%. Mais la réalisation de cet objectif requiert des pouvoirs publics le renforcement de la stabilité économique, la suppression des tracasseries administratives et judiciaires ainsi que l'amélioration du climat social et politique.
Sur ce dernier terrain, le pouvoir de Kinshasa semble se constituer des barrières à la réussite de sa réforme monétaire. La création des cours martiales pour juger des politiciens, parmi lesquels Mathieu Kalele (UPDS); la suspension des activités politiques et la primauté du parti unique (l'AFDL); l'arrestation de plusieurs hommes politiques, dont Etienne Tshisekedi, Joseph Olenghankoy et Arthur Z'Ahidi Ngoma entre autres, ressuscitent l'image de l'ancien régime de Mobutu.
Le gouverneur de la Banque centrale a bien rappelé à la Belgique sa promesse de financer l'impression du franc congolais. Mais le gouvernement belge ne semble pas pressé de s'exécuter, eu regard des conditions qu'il pose, à savoir: l'approbation du projet de réforme par le Fonds monétaire international (FMI), la poursuite du processus de démocratisation, et la garantie du respect des droits de l'homme par les dirigeants congolais.
La position du gouvernement belge apparaît constante et conforme à la volonté commune des quinze de l'Union européenne, rendue publique le 28 novembre et réitérée le 5 décembre 1997. Le conflit entre la R.D. Congo et ses amis étrangers serait d'ordre politique: le pouvoir AFDL doit partager la gestion des responsabilités nationales avec les autres formations politiques congolaises. C'est le même discours que tient Washington, qui demande à Kinshasa de libéraliser la vie politique et de créer un climat favorable aux investissements étrangers au Congo.
Kinshasa veut, quant à elle, être aidée d'urgence, sans délai et sans contrainte. Le président Kabila l'a répété lors de son allocation de clôture de la conférence sur la territoriale, le 14 février 1998. Il se dit déterminé à relever le défi avec les ressources internes.
Avec, d'un côté, le contentieux politique, et, de l'autre, les contraintes techniques, le gouvernement réussira-t-il à lancer le franc congolais? Jean- Claude Masangu est déterminé à réaliser ces préalables pour le lancement du franc congolais dans un temps record. Et, dans les milieux gouvernementaux, on parle du 30 juin 1998, comme date définitive retenue pour le lancement du nouveau franc congolais.
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