by Yacinthe Diene, Sénégal, mars 1998
THEME = ONU
La primauté du droit humanitaire international et l'urgence de la
future Cour pénale internationale
semblent ne pas être une priorité pour certains pays africains
"La Cour pénale internationale permanente sera-t- elle à la hauteur de nos aspirations?" Cette interrogation de Georges Soros, directeur de l'Open Society Institut en février dernier, à Dakar, traduit la préoccupation de tous ceux qui travaillent activement pour l'établissement d'une Cour pénale internationale (CPI). Il faut en effet souligner qu'elle ne rencontre pas l'adhésion de tous les Etats africains.
Au sein du groupe africain, le projet suscite un débat de fond quant à son autonomie et à sa relation avec le Conseil de sécurité de l'ONU. Or, la nécessité de la mise en place de cette cour n'est plus à démontrer. Notre siècle finissant a enregistré plus de 250 conflits, avec 130 millions de victimes, dont 5 génocides: l'extermination des Arméniens par les Turcs, en 1918; celle des juifs par les nazis allemands, en 1936-44; le massacre de Khmers rouges par leurs compatriotes cambodgiens, en 1975; la tragédie rwandaise, en 1994; le massacre, en 1995, de milliers de civils musulmans, théoriquement sous la protection de l'ONU, par les Serbes. Pour les trois premiers génocides, ce sont les vainqueurs qui ont jugé les vaincus; pour les deux derniers, c'est la communauté internationale qui a tenté de faire justice, avec le Tribunal pénal international pour le Rwanda à Arusha (Tanzanie), et le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie à La Haye (Hollande).
L'idée d'une CPI remonte aux négociations de la convention de Genève (Suisse) de 1949; mais l'initiative fut phagocytée par la guerre froide. Depuis la fin de celle-ci, le droit humanitaire international a connu des avancées qualitatives. Dans la période qui va de l'après- guerre à la fin des années 80, en effet, les Nations unies considéraient que les violations du droit humanitaire à l'intérieur des Etats ne relevaient pas des affaires internationales, en raison du principe de la souveraineté et de la non-ingérence. Mais, aujourd'hui, la communauté internationale n'admet plus, dans certains cas, que les responsables des crimes atroces demeurent impunis.
En plus, malgré les résultats limités des tribunaux d'Arusha et de La Haye, elle s'engage à tout faire pour réprimer certaines violations du droit humanitaire international. La 51e assemblée générale de l'Onu du 17 décembre 1996 avait adopté une résolution demandant à un comité préparatoire de rédiger les statuts de la CPI et de convoquer une conférence diplomatique pour juin 1998, à Rome. Lors de la 52e assemblée générale, un débat fut ouvert sur la CPI et un appel international a été remis au secrétaire général, Kofi Annan.
Les Nations unies veulent aller plus loin, et instaurer de façon durable la primauté du droit et de la liberté sur toutes les violations, de quelle que nature qu'elles soient.
La primauté du droit humanitaire international nécessite la création d'une CPI pour éviter la multiplication des tribunaux spéciaux, certes, mais aussi pour remédier au manque de coopération des Etats dans l'arrestation ou l'extradition des responsables et des prévenus. Cette cour enquêtera et inculpera les auteurs de génocides et autres crimes contre l'humanité ou de guerre. Et cela, chaque fois que les tribunaux nationaux se seront révélés absents ou inefficaces.
"La Cour pénale internationale est tout d'abord conçue comme complémentaire aux systèmes nationaux de justice pénale, quand ceux-ci se révèlent impuissants ou inefficaces. Cette disposition est destinée à assurer que la cour ne remplacera pas les tribunaux nationaux, à qui il incombe au premier chef de poursuivre en justice les personnes accusées des dits crimes", déclarait le commissaire européen, Mme Emma Bonino, au quotidien sénégalais "Le Soleil" du 4 février 1998. Et de préciser: "La cour doit avoir une juridiction propre: c'est la condition nécessaire pour qu'elle puisse poursuivre les crimes qui relèvent de sa compétence, sans avoir le consentement des Etats".
Les ONG africaines et internationales soutiennent et encouragent sa création immédiate. Pour cela, elles ont organisé un forum en marge du colloque de Dakar, les 5 et 6 février 1998, et suggéré au comité préparatoire:
La réunion ministérielle de Dakar a montré que certains pays africains sont hésitants. Si la majorité des pays africains acceptent l'idée d'une CPI, ils se font plus prudents quant à la finalité et au type de cour à instaurer.
Le Sénégal a pris conscience de l'importance d'un engagement plus direct et a entrepris de sensibiliser les gouvernements du continent pour que toutes les équivoques soient levées et qu'une position continentale remplace l'indécision de certains Etats.
Où faut-il chercher les raisons de cette indécision?
En définitive, nous retiendrons que la CPI ne peut souffrir de délai, car elle répond à une demande pressante de la communauté internationale. Il faut pouvoir juger les auteurs et les responsables de génocides ou d'autres grands crimes de guerre contre l'humanité. Au- delà de l'échéance de sa mise en place, il s'agit de faire prévaloir le droit humanitaire international sur la souveraineté des Etats. La détermination et la volonté de l'ONU, doublées de la sensibilisation faite par les organisations africaines et internationales, finiront par vaincre toutes les réticences. La rencontre de Dakar n'a été qu'une contribution dans ce sens.
END
CONTENTS | ANB-BIA HOMEPAGE | WEEKLY NEWS
PeaceLink 1998 - Reproduction authorised, with usual acknowledgement