by Alain Agboton, Dakar, 23 avril 1998
THEME = ELECTIONS
Le cardinal Thiandoum, chef de l'Eglise sénégalaise
craint que les élections du 24 mai ne soient agitées.
A Pâques, il a souhaité des élections "libres, pacifiques, démocratiques et
transparentes".
L'appel du cardinal Hyacinthe Thiandoum pour des élections "libres et transparentes" fait suite à un autre appel, lancé dans les mêmes termes, quelques jours plus tôt, par la société civile.
Quelques jours après Pâques, le cardinal unissait sa voix à celles des autres évêques du Sénégal, pour réitérer la même exhortation. Lors de la dernière consultation, en 1993, le cardinal Thiandoum avait, conjointement avec les imams sénégalais, appelé à une consultation sans heurts. Les scrutins de 1993 et de 1996, entachés d'irrégularités, avaient été troublés par de nombreux incidents. "Je ne suis pas le seul inquiet", a-t-il déclaré à la presse nationale, expliquant que l'acuité de "l'enjeu" lors d'une compétition électorale provoque les "soubresauts et les remous" qui rythment généralement les élections.
Le contexte politique d'aujourd'hui est chargé de tensions. Le Parti socialiste (PS), au pouvoir, est secoué par une grave crise. A l'origine, l'émergence d'un mouvement dissident, apparemment populaire, appelé "Renouveau", animé par M. Djibo Ka, ancien apparatchik.
Le Parti de l'indépendance et du travail (PIT) a également connu une scission. D'autres partis, comme la Convention des démocrates et des patriotes (CDP) du professeur Iba Der Thiam, et le Parti démocratique du Sénégal (PDS) de Me Abdoulaye Wade, principal parti d'opposition, sont confrontés à des embarras, suite surtout à la confection des listes de députables.
Dans ce contexte, il faut situer la mise sur pied, l'année dernière, de l'ONEL (Observatoire national des élections), avec mission de "superviser" et de rendre les élections transparentes, une institution bien accueillie par la majorité de la classe politique. Elle survenait en lieu et place d'une CENI (Commission électorale nationale indépendante) réclamée pendant longtemps au Sénégal, à l'instar de la plupart des pays africains.
En outre, une vive polémique agite, actuellement, la scène politique à quelques jours du début de la campagne (le 3 mai). Elle oppose le ministre de l'Intérieur, (qui garde certaines responsabilités en matière d'organisation des élections,) et l'ONEL sur la question du fichier électoral. Des généraux de l'armée dirigent le ministère et l'ONEL.
Autre fait marquant, cette année, à l'orée des élections législatives du 24 mai prochain où vont s'affronter 18 partis en lice pour 140 députés, il n'y a pas eu (ou pas encore) de "ndigueul" (consigne de vote lancée généralement par la très influente et activiste confrérie mouride). Le khalife, Serigne Saliou Mbacké, chef de ladite confrérie, s'est abstenu d'en lancer. Aucun soutien mercenaire donc au Parti socialiste comme cela a pu être fait par ses prédécesseurs.
Pour la première fois, nombre de listes d'investitures de partis dits représentatifs, comme le PDS, comportent des guides religieux, des "marabouts". Indubitablement, une nouvelle donne qui se déploie dans un contexte singulier.
Les guides religieux ou leurs affidés sont parfois investis, souvent à des places de choix, à la place de militants de la première heure, provoquant la grogne chez ces derniers.
Pour les prochaines consultations, le cardinal Hyacinthe Thiandoum a exclu l'idée que des hommes d'Eglise sénégalais figurent sur des listes de partis. "Un poste politique ne sied pas au prêtre qui doit être un rassembleur", a-t-il affirmé avec force. Allusion claire à l'abbé Diamacoune Senghor, leader du parti séparatiste casamançais (sud du pays), un interminable conflit sanglant vieux de 16 ans. Mais "l'islam a ses règles et je ne suis pas habilité à juger les musulmans, devait-il se défendre. Nous ne voyons pas les choses de la même façon".
Il faut rappeler que la Constitution interdit la création de partis sur une base religieuse. Le Sénégal compte environ 90% de musulmans et 10% de catholiques et d'animistes. Depuis la période coloniale, la politique et le religieux cheminent ensemble, rappelle-t-on volontiers. Des relations généralement tumultueuses. Ces derniers temps, beaucoup de marabouts ont pris leurs distances avec le Parti socialiste, à l'instar du plus charismatique d'entre eux, un phénoménal leader d'opinion, Serigne Cheikh Tidiane Sy, de la confrérie tidiane à laquelle appartient le chef de l'Etat. Ses conférences sur "l'unicité de Dieu" drainent des foules immenses, parfois en transes, et sont l'occasion de critiquer avec virulence le régime de M. Abdou Diouf.
Est-ce le signe que, de plus en plus, les guides religieux prennent de l'importance et en ont conscience? Conscients de leur force, d'être porteurs de voix, ont-ils désormais choisi de monnayer autrement leur conscience citoyenne, de se faire entendre, de rouler pour eux-mêmes? Ou alors, autre hypothèse, certains guides religieux voudraient-ils, en retardant l'échéance (annonce de la consigne de vote), faire monter les enchères?
D'aucuns ont regretté qu'"aucune force sociale organisée, aucune personnalité intellectuelle n'ait encore osé élever la voix pour dénoncer l'incursion des marabouts dans les confrontations électorales passées, présentes et à venir". Face à cette "politisation religieuse" qui prend une envergure différente et une autre dimension, ils font valoir que "l'une des plus graves menaces à la stabilité constitutionnelle de l'Etat sénégalais réside précisément dans l'ambivalence des relations entre les pouvoirs temporel et islamique, entre politiciens et ecclésiastiques, entre la laïcité proclamée des institutions et l'ubiquité du champ religieux dans l'hémisphère politico-administratif affairiste et social". Propos alarmistes, catastrophistes? Il reste, apparemment, que la question fondamentale, en définitive, est de savoir si une dérive dangereuse pour la démocratie sénégalaise n'est pas en train de s'amorcer aujourd'hui?
Autre foyer de menaces, les affrontements mortels intervenus, récemment, entre des réfugiés mauritaniens et des populations locales, dans le sud-est du pays. Des menaces qui ont autorisé le déplacement du président de l'Assemblée nationale à la tête d'une mission parlementaire. On craint des débordements dans les deux pays. Les relations entre le Sénégal et la Mauritanie sont en délicatesse depuis la profonde et meurtrière crise de 1989. Malgré ses appréhensions, le cardinal Thiandoum souhaite que les élections se déroulent dans la "paix et la sérénité", en disant son espoir que "force reste à la loi d'amour", pour "l'honneur de la nation sénégalaise, car elle doit avoir la victoire à l'issue des prochaines élections".
END
CONTENTS | ANB-BIA HOMEPAGE | WEEKLY NEWS
PeaceLink 1998 - Reproduction authorised, with usual acknowledgement